Tiré du blogue de l’auteur.
Les mots sont pour chacun chargé de mémoire et peuvent, de ce fait, perdre la simplicité de leur première signification à laquelle vient s’ajouter toute une histoire qui éloigne jusqu’à les opposer des utilisateurs en manque de réflexion.
La compréhension de l’être nous situant dans l’infini (v. dernier billet) nous sommes assurés de vivre, dans un temps qui s’éloigne tant que nous nous refusons de rendre vrai notre regard, l’époque où l’humanité aura retrouvé la voie de son accomplissement. A cette époque sera donné un nom. Mon grand âge me porte vers ces noms peut-être du passé, socialisme et communisme. Il me revient le souvenir d’une velléité de répondre à Daniel Bensaïd qui venait d’écrire un texte à la gloire du terme communisme pour défendre le mot socialisme. Je le défendrais encore aujourd’hui.
Le livre à grand succès de Kohei Saito « MOINS », Seuil, septembre 2024, cité KS, démontre que le capitalisme est la cause principale de tous les maux qui accablent la planète. Il nous invite à abandonner ce mantra qui nous paralyse : « qu’il n’y a pas d’alternative, alors que ce capitalisme commence à se fissurer » (p.125). L’auteur est marxiste et a pour horizon le communisme. Sa critique, très riche en informations sur les faits, s’appuie sur les dernières réflexions de Marx. Le discours est empirique et abandonne le recours à des principes qui en fonderaient la vérité en raison. Ainsi en était-il du matérialisme historique considéré un temps comme ayant valeur scientifique. Il nous assurait que l’état des forces productives constituait une infrastructure qui gouvernait nos institutions sociales, superstructures dépourvues de véritable autonomie. Les faits, même les plus évidents, pouvant toujours être contestés et la cécité de certains pour refuser d’y consentir étant grande, mieux vaut établir quelques principes avant d’en connaître.
Principes
Principe de vérité
La vérité est partout bafouée et le mensonge est roi. La revendiquer comme seule lieu où échanger des paroles a encore un sens est dérisoire. Les clientèles qui consolident un pouvoir sont manipulées grâce à l’usage immodéré qui est fait de la fausse information. Il est au moins une imposture, une tricherie intellectuelle à la base de l’institution qui permet aux fauves qui peuplent notre jungle de saccager le jardin que de pacifiques travailleurs tentent d’aménager pour le bonheur de vivre ensemble. Cette institution est la propriété privée et le capitalisme. Avoir fait de cette propriété un droit est le coup de force le mieux réussie de l’histoire des hommes, la force s’y étant déguisée en juste (v.billet du 1er avril 2024), au point que ce dimanche 13 octobre, sur LCP, dans un débat qui posait encore la question de savoir si l’écologie pouvait être de droite, personne n’a osé prononcer le mot capitalisme pour désigner l’institution qui, au travers de la recherche frénétique du profit, constitue le facteur le plus contraire à l’objectif que tous les interlocuteurs désignaient comme le leur : maîtriser la croissance.
Les appellations gauche/droite, purement géographiques, n’ont plus guère de sens dans notre pays sans vérité. L’écologie ne peut qu’être anticapitaliste, et l’être constitue même à mon sens la condition pour se dire de gauche. Seule la prétention nulle part justifiée du capitalisme à constituer la norme peut situer l’anticapitalisme dans une zone qualifiée « extrême », c’est-à-dire privée de légitimité par ceux qui ont établi la norme qui fonde leur domination.
Principe d’universalité
La disqualification du prétendu droit de propriété est sans appel possible. Un système juridique qui reconnaît ce droit ne peut se recommander du Droit, un Droit qui, sortie de l’emprise d’un déterminisme matérialiste de l’histoire a retrouvé son autonomie et dont Hans Kelsen a décrit ce qu’il a appelé sa pureté et dont Jacques Bouveresse a tenté de dire la vérité (v.billet précité).
Le principe d’universalité se déduit d’une option. A chacun d’adhérer à l’une ou à l’autre, à la condition, cette option tenant d’un chois de raison, de conduire sa rationalité jusqu’au bout. Je vais énoncer la première, celle que je propose. Je dirai ensuite un mot de la seconde. Ne pas choisir est, selon moi, emprunter la seconde.
La première option repose sur le refus qu’il puisse y avoir une génération spontanée. Il y a quelque chose, de l’existant, un ou des univers. Il n’y a donc pas « Rien ». Quelque chose ne pouvant sortir de rien, il y a donc toujours eu quelque chose. « Être », qui représente l’objet philosophique par excellence, exprime ce toujours. Ce qui est n’est pas précédé, ne peut disparaître, peut varier dans ses modalité, ses modes d’existence, nous situe dans un infini, lequel ne nous est pas étranger et que nous sommes invités à vivre, l’ayant pensé et disposant d’une liberté pour édifier un monde pouvant l’accueillir. Tout cela fait l’objet de la méditation qu’est ce blog, méditation jamais terminée et qui ne peut s’accomplir qu’en multitude.
Être nous invite à chaque jour croître en être et en liberté. Aucun humain ne doit être exclu de cette croissance. Là est le lieu de l’universalité.
La seconde option admet la génération spontanée. Sa définition appartient à ceux qui la prennent. Je ne pense pas trop la trahir en la résumant : dans un monde qui surgit de rien il appartient à l’entreprise des malins de fixer un cap, pour bien qu’assoiffés d’infinitude, il faille vivre la finitude inscrite dans le hasard d’un surgissement.
Malins, c’est un compliment, ils sont intelligents, entreprenants et leur mégalomanie nourrit l’admiration et la soumission. C’est aussi une crainte de démonisme, nature de celui qu’on a nommé le Malin.
Principe de liberté
De la liberté il a beaucoup été question dans ce blog. La liberté y est consubstantielle à l’être. La liberté ici diffère sans doute beaucoup de celle dont les malins parlent, la capturant chacun à leur profit, la refusant le plus possible à l’autre. J’ai condensé l’idée de liberté en adhérant pleinement au cri de Franz Fanon : « Ma liberté m’a été donnée pour édifier le monde du toi ».
Je me limite ici à me réjouir que K. Saito ait une conception de la liberté très proche. Notre auteur ne s’embarrasse pas de nuance. La liberté du capitaliste est de choisir la voie de l’autodestruction, c’est une « mauvaise liberté » (p. 239). C’est la vision de Marx à la fin de sa vie, d’un Marx revenu à cet humanisme qui était le sien avant 1845. Le regard qu’il porte sur les choses est immensément humain et bénéficie de l’autorité d’un homme de génie, qui s’est lourdement trompé mais dont l’erreur a été terriblement amplifiée par des hommes qui portaient déjà en eux de la malignité, d’un homme qui a élevé très haut sa préoccupation pour l’homme. Il convient de souligner que Marx dans le Capital a déjà amorcé un tournant écologique et perçu les perturbations de l’environnement causées par le capitalisme (p. 138/140) et qu’il est à la recherche d’une nouvelle rationalité mettant l’accent sur la durabilité et l’égalité (p. 160 et s.).
Faits
Le regard est subjectif, les faits sont réels. Les relier à des principes a paru leur donner une petite chance supplémentaire pour acquérir de l’objectivité , être entendus. Le sens de l’humain a été atrophié, anesthésié par des décennies, voire des siècles, d’une culture encensant un certain type d’homme, caricature du véritable. De même que l’on naît poète et que l’on devient orateur, le sens de l’humain tient à l’inné, la raison peut être éduquée.
En grand accusateur du capitalisme, K. Saito s’appuie essentiellement sur une lecture des faits qui me paraît avoir la vérité de l’évidence. Certaines pages cependant devraient être plus rigoureusement renseignées pour emporter l’adhésion. Si l’essor du capitalisme réalisé « sur le démantèlement des communs » peut apparaître aujourd’hui appauvrir davantage qu’il n’enrichit il a pu un temps être regardé comme une voie, nécessairement couteuse, pour libérer certaines couches de la population de modes de vie oppressives. Ce temps a malheureusement était prolongé par les malins qui font tout pour empêcher les oreilles naïves d’entendre les voix raisonnables. Si le démantèlement des communs a bien permis « l’accumulation primitive » du capital, lieu de la tricherie fondatrice, reste à chiffrer « l’augmentation artificielle de la rareté » que cela a provoquée (p.209/210).
Saito rend compte tout d’abord du lien quasi inhérent au triste génie du capitalisme qui conduit celui-ci à saccager notre environnement et à bouleverser notre climat. Il montre ensuite qu’un certain type de décroissance est nécessaire. Le phénomène migratoire étant devenu le prétexte d’une alliance mortifère entre un peuple abusé et le capitalisme, où plutôt d’une capture du premier par le second, je me limiterai à ce que l’auteur dit à son sujet.
Dès le début de son ouvrage le « pillage de l’environnement » se révèle accompagné d’un « pillage de l’humanité » (p. 51). « La dégradation des conditions de vie des populations du Sud a permis le capitalisme » (p. 24). « L’externalisation » des coûts du Nord vers le Sud sera par la suite richement informée. Le lien avec la tolérance d’inégalités astronomiques, destructrices de toute unité du genre humain est établi. « En refusant de limiter les injustices, le capitalisme réduit la probabilité de survie de l’humanité » (p. 99). Le capitalisme et le train de vie qu’il a permis à une parie de l’humanité conduit inexorablement une autre partie à l’exode. Au mouvement d’hospitalité que la reconnaissance de leur égale humanité devrait faire naître s’ajoute une dette que nous ne pourrons jamais solder. Si l’hospitalité a pour limite nos « possibilités » et la satisfaction que nous devons également aux marginaux du Nord, ces possibilités sont à apprécier à l’aune d’une justice aussi réparatrice que reconnaissante.
De façon purement anecdotique me revient le mot de l’expert qui en cette soirée du 13 octobre évoquée ci-dessus, était invité à donner une opinion informée. Pensant dire un mot qui à la fois préservait la bienveillance et la rigueur, il appelait à ne pas confondre migrants et immigrants. J’ai, malveillant, entendu que les migrants étaient des gens très biens, sauf quand ils nous demandaient un partage.
La restauration des communs
« Le communisme, c’est restaurer les communs » écrit Saito (p. 228). Le socialisme doit également restaurer les communs, à grande échelle. Mais il ne fait pas de ceux-ci l’unique univers de l’homme. Le communisme peut également préserver cette part inaliénable qui doit permettre le déploiement des subjectivités dans leurs singularités les plus amples, le mot socialisme me paraît simplement convenir mieux. Est social ce qui donne une part juste à tous, ce qui permet au regard de se détourner de la contemplation de soi-même pour envelopper le monde dans sa préoccupation.
La propriété de nos codes emporte les droits de disposer, d’user, de bénéficier des fruits, l’abusus, l’usus et le fructus. Le fructus peut être rattaché à l’abusus (exemple des loyers) et disparaître avec lui, ou à l’usus, au droit subjectif d’usage.
Tous les penseurs soucieux de vérité ont vu en l’usage le mode par excellence permettant d’avoir avec les choses que les juristes alors nomment des « biens » un rapport humain. Humain et ne fermant pas à tout avenir comme le fait le capitalisme. C’est pourquoi la référence s’impose au petit livre de Gaël Giraud et Felwine Sarr, lequel insiste sur l’usage, et a pour titre : « L’économie à venir ».
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