Tiré du blogue de l’auteure.
Shell va prospecter à 20 kilomètres de la côte des provinces du Cap oriental et du Kwazulu-Natal, sur une superficie de 6000 km2 entre 700 et 3000 mètres de profondeur à la recherche de réserves d’hydrocarbures. Le navire Amazon Warrior va faire les recherches à partir du mois de décembre 2021 et pendant quatre à six mois en faisant des sondages sismiques assourdissants. Scientifiques et défenseurs de l’environnement craignent des conséquences désastreuses pour les baleines, dauphins et toute la vie marine de ces eaux et de la côte qui les borde.
Les baleines à bosse fréquentent la baie de Zavora tout au sud du Mozambique pour s’accoupler et mettre bas, après avoir quitté les eaux froides de l’océan antarctique. Le spectacle d’une baleine donnant naissance à son petit est unique, tout comme le passage des baleines pendant les mois d’aout, septembre et octobre au large des côtes sud-africaines. Les baleineaux n’ont que quelques mois pour apprendre à devenir autonomes avant la grande migration vers les eaux froides. Pendant leur apprentissage ils communiquent avec leurs mères par de légers bruits. Le bruit des détonations de la prospection pourrait perturber cette communication et les désorienter.
Le responsable de Shell South Africa, qui a grandi près de cette côte sauvage, affirme que si cette prospection était néfaste ou dangereuse, Shell ne la ferait pas. « Nous devons coexister avec la nature et chez Shell nous faisons de notre mieux pour ne pas faire de mal à l’environnement ». Sauf qu’en mars 2011 Shell avait l’intention d’explorer puis d’exploiter les immenses réserves de gaz de schistes du Karoo, une région semi désertique avec une flore et une faune unique au monde, en utilisant la fracture hydraulique. Shell avait juré qu’après cette exploitation, la compagnie quitterait le Karoo en meilleur état qu’il l’avait trouvé en arrivant et que cette industrie permettrait la création de 700 000 emplois. La mobilisation populaire pour dénoncer ce projet et les efforts des associations et de leurs avocats avaient d’abord obtenu un moratoire, puis l’abandon du projet.
http://renapas.rezo.net/spip.php?article569
http://renapas.rezo.net/spip.php?article658
La mobilisation contre l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures dans l’Océan Indien n’est pas sans rappeler la mobilisation des militants anti-apartheid néerlandais qui avaient initié le boycott de Shell. Dans les années1980, le régime d’apartheid avait un besoin impératif de pétrole pour alimenter son industrie et de carburants pour son armée et sa police. Pour faire face aux sanctions globales et obligatoires votées par les Nations unies, le géant pétrochimique Sasol avait fabriqué de l’essence à partir du charbon, une méthode déjà utilisée par les Nazis pendant la seconde guerre mondiale. L’Afrique du Sud regorgeait et regorge toujours de réserves de charbon, mais ignorait à l’époque l’existence de réserves de gaz et de pétrole au large de ses côtes. Total, Elf à l’époque, Exxon, BP avaient aussi allégrement violé les sanctions onusiennes pour voler au secours du régime d’apartheid sans aucun état d’âme. Toutes les actions pour isoler le régime d’apartheid et exiger l’application des sanctions faisaient partie de la stratégie de l’ANC et toutes les actions des mouvements anti-apartheid allant dans ce sens étaient fortement encouragées par le mouvement de libération, sans compter l’attaque menée par ses militants en Afrique du Sud contre la raffinerie de Sasol en mai1980 et celle contre un dépôt de Shell en juin 1981.
Aussi la déclaration de l’actuel ministre des ressources minières et de l’énergie, Gwede Mantasha comparant le militantisme contre Shell à une « forme d’apartheid et d’un colonialisme d’un type spécial » parce qu’il s’opposerait au développement économique du pays, à la création de richesses, à la création d’emplois a beaucoup choqué, comme son affirmation que la défense de l’environnement contenue dans la section 24 de la Constitution est garante de son application.
L’industrie minière est un pilier de l’économie sud-africaine, la présence massive de charbon a conduit à la création de centrales thermiques qui ont certes fourni l’électricité dont le pays avait besoin à bas coût, mais sans tenir compte de la pollution des sols dans des régions entières, des maladies liées à l’extraction minière et sans compter les accidents mortels. Aujourd’hui les enjeux sont tout autres. Lutter contre le réchauffement climatique, encourager la transition énergétique vers des formes d’énergie moins polluantes exigent un courage politique qui semble faire défaut au gouvernement actuel et qui contredit les engagements pris à la dernière conférence sur le climat. Shell, comme les autres multinationales du pétrole, disposent de moyens de pression sur les gouvernements qui dépassent de loin la force des manifestations pour la défense des baleines à bosse. Sauf que la défense de la planète prend de l’ampleur et que l’opinion publique n’a pas dit son dernier mot.
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