Édition du 17 décembre 2024

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Le blogue de Pierre Beaudet

Se souvenir de Dublin

On est en 1916 en plein milieu d’une boucherie sans précédent appelée la Première Guerre mondiale. Les puissances impérialistes s’affrontent sur le dos des peuples. Au début, ceux-ci sont désarçonnés par l’ambiance nationaliste et le discours « patriotique ». « C’est la faute aux Anglais ». « C’est la faute aux Allemands ». La presse réactionnaire et les intellectuels-mercenaires se déchaînent contre ceux qui osent dire, « cette guerre, ce n’est pas nôtre ».

Mais ici et là, on sent que la terre commence à trembler. En Russie dans les tranchées, les soldats désertent en masse. Les paysans se retournent contre les seigneurs et dans les villes, les ouvriers et surtout les ouvrières (les hommes sont conscrits) entendent l’appel lointain mais persistent des socialistes dont un certain Vladimir Lénine. Non seulement est-il contre la guerre, mais il affirme audacieusement que c’est une occasion pour en finir avec les seigneurs.

Et alors surgit de nulle part un mouvement populaire en Irlande. C’est un pays occupé militairement depuis des centaines d’années. Le pouvoir colonial a réduit les Irlandais à une famine semi-permanente. En Angleterre où ils affluent vers les manufactures, ils sont les damnés de la terre, les opprimés des opprimés, à la fois comme ouvriers et comme Irlandais.

Le mouvement socialiste et les syndicats anglais, puissants à l’époque, regardent les Irlandais de haut, Ils sont perçus comme des sortes de sauvages. On rit de leurs revendications d’émancipation nationale. Ce faisant, une grande partie des socialistes anglais deviennent de facto des supplétifs de l’Empire, des admirateurs de l’horrible système colonial imposé à l’Irlande, mais aussi à une grande partie de l’Afrique, de l’Inde, etc.

Les Irlandais par ailleurs tiennent tête. En Angleterre, ils sont souvent les fers de lance des mouvements militants. Et en Irlande, les ouvriers et les paysans, de même que les couches moyennes, ne démordent pas d’un projet qui combine à la fois émancipation nationale et sociale. Les mouvements refusent les offres britanniques d’ « accommodement » qui consistent à « offrir » aux Irlandais une autonomie tronquée. Ils sont prêts à passer à l’action et effectivement au moment du congé de Pâques de 1916, c’est ce qu’ils font.

À Dublin ils occupent des bâtiments publics et ils confrontent la police. James Connolly, un leader socialiste et syndicaliste, est à la tête de l’ « armée des citoyens ». Il pense que la libération de l’Irlande est nécessaire pour le peuple irlandais, mais aussi pour la cause sociale en Angleterre et en Écosse où les dominants manipulent constamment l’oppression nationale pour consolider leur pouvoir de classe, ce que Marx à l’époque avait lui-même constaté. Finalement, l’Empire britannique est sans pitié, craignant que l’Irlande contamine les autres colonies britanniques. La répression est terrible, l’insurrection est vaincue.

En Angleterre, la population est passive. La gauche travailliste et syndicale n’a rien de mieux à faire que de condamner la « violence » et accepte même l’argument que c’est un complot allemand pour affaiblir la glorieuse Albion. À peu près en même temps, le mouvement national indien se lève sous l’inspiration du Mahatma Gandhi, qu’on accuse également de « trahison » en Angleterre.

Une chance que certaines personnes sauvent l’honneur de l’Angleterre, comme la suffragette et socialiste Sylvia Pankhurst qui condamne le discours « patriotique » et la répression, affirmant même que la vraie solution, c’est l’indépendance de l’Irlande.

Après la fin de la guerre, le mouvement national irlandais reprend la lutte sous l’égide de l’Iris Republican Army, l’IRA. Encore une fois, l’Angleterre résiste aux assauts, réprime les combattants et réussit à diviser le mouvement national dont une partie accepte la partition de l’Irlande et la perpétuation de sa subjugation à l’Empire. C’est une longue histoire qui continue jusqu’à aujourd’hui.

Il y a quelques leçons à retenir de l’insurrection de 1916. D’abord et simplement, le droit est du côté du peuple : on a raison de se révolter. Des mouvements peuvent commettre des erreurs, s’engager dans des actions désastreuses, mais cela ne change rien à la légitimité de la cause. Trop souvent ceux qui critiquent les mouvements sont contre ces causes, pas seulement contre des erreurs ou des défaillances.

Deuxième leçon, un peuple a le droit de confronter les dominants, y compris en se défendant par les armes. Ce droit comporte des « angles morts », car parfois, la résistance armée tourne mal et conduit à de grandes défaites. On ne peut pas faire l’apologie de la résistance armée, mais on ne peut pas dire non plus qu’elle n’a pas sa place. Demandez-le aux Vietnamiens ou aux Palestiniens.

Enfin, les peuples qui luttent contre la domination se heurtent souvent à d’autres peuples qui finissent pas intérioriser les valeurs des dispositifs coloniaux et impérialistes. On observe ainsi des Anglais de gauche cracher sur les Irlandais. En France, des socialistes et même des communistes prennent leur distance avec les luttes de libération, en Algérie notamment. Il est nécessaire de confronter ce « racisme » et ce mépris des peuples dominés, qui s’expriment souvent avec des termes tordus : défense de la « civilisation » contre la « barbarie », hostilité au « terrorisme », quand ce n’est pas, comme récemment au Moyen-Orient et en Afghanistan, au nom des « droits des femmes ».

Alors aujourd’hui on pense à tout cela et on se souvient de James Connolly et d’une poignée de héros irlandais qui sont morts pour la liberté de l’humanité.

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