Tiré du blogue de l’auteur.
Ce jeudi 14 mai, le gouvernement s’est insurgé contre les propos du PDG de Sanofi Paul Hudson : « ce serait inacceptable qu’il y ait un accès privilégié de tel ou tel pays sous un prétexte qui serait pécuniaire » a affirmé la secrétaire d’Etat à l’économie Agnès Pannier-Runacher. La déclaration du PDG de Sanofi aurait même beaucoup « ému » le Président de la République. L’Elysée précise que « le vaccin doit être un bien public mondial et extrait des lois du marché ».
Le dire c’est bien. Le faire serait mieux. Cela tombe bien, il est possible de ne pas laisser Sanofi et Big Pharma (les autres laboratoires pharmaceutiques) restreindre l’usage d’un éventuel vaccin, ou d’éventuels médicaments. Mais, pour cela, il faudrait que l’Elysée et Matignon fassent un peu plus que s’émouvoir ou, comme cela est annoncé, convoquer les représentants du groupe pharmaceutique à l’Elysée la semaine prochaine.
« Chat échaudé craint l’eau froide » . On se souvient en effet que Bruno Le Maire, refusant d’interdire les dividendes, avait prié les patrons du CAC40 de faire œuvre de « modération ». Résultat ? Il n’a rien dit lorsque Sanofi a décidé de verser presque 4 milliards d’euros à ses actionnaires, alors que plus de 80% de son chiffre d’affaires en France est le fruit des remboursements de la Sécurité sociale.
Dans cette déclaration Garantir l’accès mondial, l’innovation et la coopération sur les biens médicaux, des organisations du monde entier ont posé des principes génériques : 1) L’innovation pour tou·te·s ; 2) L’accès pour tou·te·s ; 3) Solidarité et coopération mondiale ; 4) Bonne gouvernance et transparence.
Plus concrètement, voici une typologie à grand trait des quatre grandes options possibles, non exclusives les unes des autres, pour s’assurer que l’éventuel vaccin devienne « un bien public mondial » et soit « extrait des lois du marché » :
1. Nationaliser Sanofi et créer un pole public du médicament
La première option est assez simple sur le papier, mais sans doute pas la plus simple à réaliser dans le contexte actuel : nationaliser purement et simplement Sanofi ; techniquement, une simple loi suffit, à charge pour le législateur de déterminer les conditions (modalités d’application, indemnisation éventuelle des actionnaires, restructuration de l’entreprise, réorganisation de la production, etc) et, mais ce n’est pas un détail, s’assurer que le résultat des recherches en cours sur le vaccin (y compris dans les unités de Sanofi non situées en France) revienne au domaine public et soit rendue disponible ; si ce n’est pas Sanofi qui met au point le vaccin ou les médicaments attendus contre la Covid-19, cette option ne résout pas le problème posé : s’assurer d’un accès universel et garanti au vaccin (ou aux médicaments) ; néanmoins, la question d’un pôle public de recherche et production des médicaments reste pleine et entière.
2. Casser les brevets des laboratoires pharmaceutiques
La seconde option est sans doute la plus efficace à l’échelle d’un pays comme la France : doter les pouvoirs publics des moyens juridiques pour casser les brevets des laboratoires pharmaceutiques. Il n’y a là rien de bien nouveau en la matière. En 2007, le président Lula a cassé le brevet de Merck sur l’antirétroviral Efavirenz et ainsi des entreprises brésiliennes ont pu produire des versions génériques, et moins chères, du traitement. D’autres exemples pourraient être cités (voir cet article de la journaliste Rachel Knaebel de Basta). Concrètement, il faut user de ce qu’on appelle une « licence d’office ». Les licences d’office sont des actes de la puissance publique qui permettent d’exploiter des brevets lorsque l’intérêt de la santé publique le justifie (article L.613-16 du Code de la propriété intellectuelle). L’accord de l’OMC sur la propriété intellectuelle (ADPIC) a tenté de restreindre l’usage de ces licences d’office : la licence obligatoire est une flexibilité qui permet de suspendre le monopole d’exploitation associé à la détention d’un brevet et autoriser la production de médicaments génériques, sous certaines conditions. L’Allemagne vient de faire modifier sa loi pour que le ministre de la Santé puisse prendre une telle décision dans le cadre de la lutte contre la Covid-19 : le gouvernement d’Emmanuel Macron aurait pu rappeler, même symboliquement, qu’il prendrait toutes les mesures nécessaires en ce sens dans le cadre de la loi d’urgence sanitaire. L’utilisation de cette licence d’office est sans doute la voie d’accès la plus rapide pour extraire un vaccin breveté des lois du marché et le faire produire sur le territoire national à un coût abordable. Il faut pour cela accepter d’affronter les intérêts des laboratoires pharmaceutiques qui peuvent tenter de faire valoir leurs droits devant les tribunaux d’arbitrage des mécanismes de règlements des différends entre investisseurs et Etats (ISDS & co).
3. Socialiser la production de vaccins et de traitements au niveau mondial
La troisième option consiste à ne pas regarder uniquement le territoire national (ou l’UE), comme nous y invite la « licence obligatoire », mais la totalité de la planète ; le Costa-Rica vient de faire la proposition de créer un mécanisme de mutualisation des recherches au niveau international qui, grosso-modo, mettrait tout dans un pot commun (brevets, secrets de fabrication, financements éventuels, etc) qu’une institution internationale s’assurerait de gérer au nom de l’intérêt général ; l’OMS est citée par les promoteurs de cette proposition, qui sont en général des pays pauvres n’ayant pas les moyens de produire des médicaments génériques sur leurs territoires ; ils ont donc besoin d’un échelon international qui tienne compte de leurs spécificités et qui leur fournisse vaccins et médicaments nécessaires ; l’option 2 peut d’ailleurs convaincre un certain nombre de labos de jouer le jeu et d’ouvrir leurs brevets et secrets de fabrication ; comme il s’agit in fine de socialiser la production de vaccins et de traitements au niveau mondial, cette option revient à accepter de s’affronter en même temps au pouvoir de Big pharma mais aussi à celui du président des Etats-Unis (et autres pays aux tendances nationalistes exacerbées) ; bien-entendu, des niveaux intermédiaires de coordination sont envisageables.
4. Ne plus financer de recherches de laboratoires privés sans conditionnalités pour conserver les résultats dans le domaine public
La 4ème option devrait être appliquée sans même être mentionnée ; elle relève simplement du bon usage des deniers publics. En effet, la plupart des recherches sur les vaccins ou les médicaments font appel à des financements publics, quand bien même elles sont (pour partie) menées par des laboratoires privés. Sans même parler des dispositifs de réduction d’impôts comme le Crédit impôt recherche (1,5 milliards € en 10 ans pour Sanofi), beaucoup d’argent public est en effet mobilisé pour financer des recherches publiques, mais aussi publiques-privées et même uniquement privées. Or, même dans le cas d’un partenariat entre laboratoires publics et privés, les molécules efficaces ne restent généralement pas dans le domaine public ; elles sont alors brevetées pas des entreprises privées. Il suffirait donc de s’assurer que l’accès à ces financements soit conditionné et que les résultats soit laissés dans le domaine public (transparence des données, molécules efficaces, etc) pour ne plus dépendre des laboratoires. Malheureusement, la Commission européenne ne l’exige pas, alors qu’elle finance de très nombreux programmes, y compris sur la Covid-19.
Puisse donc le débat public s’organiser autour de ces enjeux et non autour d’un stérile spectacle montrant Emmanuel Macron hausser les épaules face au PDG de Sanofi mais ne rien changer sur le fond. Placer la santé « hors des lois du marché » comme annoncé début mars mérite mieux que de gesticuler sur le perron de l’Elysée.
(conseil de lecture : si vous n’êtes pas un fin connaisseur des Big Pharma, lisez donc ces articles de la série Pharma Papers de Basta et l’Observatoire des multinationales)
Maxime Combes, économiste et porte-parole d’Attac France. Auteur de « Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition » (Seuil, 2015).
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