Dernièrement, Stéphane Forget de la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ) a écrit un court texte. Il y défend l’idée qu’une augmentation du salaire minimum jusqu’à l’atteinte de la cible de 15 $ de l’heure est une solution simpliste pour lutter contre la pauvreté.
Dans son texte, on retrouve deux arguments souvent répétés quand vient le temps de débattre du salaire minimum. Premièrement, les travailleurs et travailleuses au salaire minimum seraient essentiellement des jeunes travaillant à temps partiel. Les aider aurait donc un faible impact sur la pauvreté de la population plus générale. Deuxièmement, l’augmentation du salaire minimum ne permettrait pas de lutter efficacement contre la pauvreté. Ce seraient plutôt « les programmes sociaux, les crédits d’impôt et la fiscalité que les gouvernements doivent utiliser pour lutter contre la pauvreté ».
Disons-le : la FCCQ se goure dans ses chiffres. Le fait d’utiliser uniquement la catégorie de travailleuses et travailleurs au salaire minimum pour parler de ce débat est une erreur méthodologique en soi. Nous l’avons déjà dit et nous le répétons encore : une personne qui gagne le salaire minimum en vigueur (10,75 $ de l’heure en ce moment) et une personne qui gagne, par exemple, 20 ȼ de plus par heure vivent sensiblement la même expérience économique, et ce, même si la seconde n’est pas considérée comme une personne qui travaille au salaire minimum.
C’est pour cette raison que l’Institut de la statistique du Québec (ISQ) utilise plutôt la catégorie de « bas salariés ». En ce moment, le seuil de l’emploi à bas salaire selon l’ISQ est de 13,60 $ de l’heure au Québec. En-dessous que ce seuil, la travailleuse ou le travailleur est considéré comme un bas salarié. Au-dessus de ce seuil, on sort de cette catégorie ou, pour reprendre le concept mis de l’avant par l’IRIS, le salaire est viable. Il est intéressant de noter que le salaire viable d’un travailleur ou d’une travailleuse qui fait partie d’un ménage de quatre personnes à Montréal est de 13,98 $ en 2016, à peine 0,38 $ de plus que le seuil du bas salaire. L’ISQ semble donc valider le concept de l’IRIS.
La FCCQ affirme que 61 % des employé·e·s au salaire minimum travaillent à temps partiel et que le même pourcentage a moins de 25 ans. Si on prend la catégorie plus large des bas salarié·e·s, on obtient un tout autre portrait de la situation. En effet, moins de la moitié (47 %) des personnes recevant un bas salaire ont moins de 25 ans et à peine plus du tiers (36 %) travaille moins de 22 heures par semaine. Seulement 23 % des emplois à bas salaires sont temporaires alors que les autres sont permanents.
Il est donc important de tenir compte de toute la catégorie des bas salarié·e·s et uniquement des personnes qui travaillent au salaire minimum, au sens strict du terme. Une hausse du salaire minimum vise une meilleure répartition de la richesse non seulement pour les salarié·e·s qui travaillent en échange de ce taux horaire, mais bien pour l’ensemble des bas salarié·e·s. En effet, on peut imaginer que, si le salaire minimum atteint 15 $ l’heure, ceux et celles qui gagnent déjà ce montant ou qui gagnent un peu plus pourront négocier leurs salaires à la hausse par la suite.
Il nous semble également dangereux d’évaluer la justesse du salaire minimum en fonction du statut familial ou de l’âge d’une personne. Si on établit le salaire d’une personne en fonction du fait qu’elle soit mariée à un individu qui gagne plus d’argent ou qu’elle habite chez ses parents, on ouvre la porte au fait d’offrir un salaire moindre aux femmes ou aux jeunes. Ces salaires moindres enchaineraient les personnes qui les reçoivent à des relations de dépendance économique. De toute manière, le salaire d’une personne devrait représenter sa part des gains de productivité issus de son travail. L’endroit où elle habite ou la composition de son ménage ne concerne pas ce partage.
Le deuxième argument qu’emploie la FCCQ, c’est que la bonification des transferts gouvernementaux comme, par exemple, le crédit d’impôt pour solidarité ou la prime au travail permettraient de combattre efficacement la pauvreté. Soulignons qu’il faudrait que ces transferts soient bonifiés substantiellement pour que les bas salarié·e·s puissent se retrouver avec un revenu qui leur permette de se sortir la tête de l’eau. Une amélioration de ces transferts serait certes souhaitable dans la mesure où elle aiderait les travailleurs et travailleuses pauvres à respirer un peu.
Notons toutefois que l’enjeu de l’augmentation du salaire minimum n’est pas celui de la lutte contre la pauvreté. C’est plutôt une mesure de transition qui met en place un meilleur partage des gains de productivité entre employeurs et employé·e·s, donc, une réduction des inégalités. Sur le long terme, c’est quelque chose qui pourra ouvrir la porte à une économie qui ne soit pas dépendante d’emplois qui confinent à la pauvreté pour son développement. En ce sens, la FCCQ et bien d’autres passent à côté des concepts clés et des enjeux de ce débat en se complaisant dans un discours creux.
Dans les faits, le patronat ne cherche qu’à maximiser ses profits en versant, dans la mesure du possible, à ses employé·e·s des salaires non viables. L’existence même du salaire minimum est une reconnaissance implicite qu’il y a un rapport inégal entre capital et travail. En effet, l’État impose un seuil minimum légal parce qu’autrement les entreprises auraient le rapport de force nécessaire pour en imposer un encore plus bas aux personnes à leur emploi.
Depuis trop longtemps, l’État québécois a été complaisant envers les intérêts du patronat en permettant un salaire minimum non viable. Il fermait ainsi les yeux sur les conditions d’existence des travailleurs et travailleuses pauvres. Il est maintenant temps de passer à autre étape et de penser à une manière intelligente d’instituer un salaire minimum qui permette de bien vivre tout en réduisant les inégalités.