Tiré du site du CADTM.
La manière dont l’État français s’est engagé auprès du régime génocidaire étant connue et documentée depuis longtemps, ce rapport ne contient rien de véritablement nouveau. En travaillant à partir d’un matériau parcellaire (les archives versées uniquement), la commission ne pouvait pas mener l’enquête approfondie qui aurait permis d’éclairer certaines zones d’ombre. Pour cela, il aurait fallu qu’elle croise les documents avec d’autres sources (témoignages en particulier) et qu’elle les confronte avec les travaux existant sur la question pour tirer les conclusions qui s’imposent.
Des points cruciaux ne sont abordés que de manière superficielle, comme la formation du Gouvernement Intérimaire Rwandais sous la houlette de l’ambassade de France, ou l’abandon à leurs tueurs de 2 000 Tutsis à Bisesero, sans que la hiérarchie militaire ne donne l’ordre de les secourir [1]. De plus, les aspects les plus controversés de la présence française au Rwanda sont occultés, comme le rôle éventuel joué par des militaires ou des mercenaires français dans l’attentat du 6 avril 1994 et dans la défense de Kigali entre avril et juillet 1994, les raisons de la présence officieuse de soldats français pendant le génocide, les livraisons d’armes pendant le génocide, l’ordre donné de réarmer les auteurs du génocide une fois ceux-ci passés au Zaïre, ou encore le soutien apporté par les autorités françaises au projet de reconquête du Rwanda par le régime génocidaire.
Par ailleurs, en désignant des boucs émissaires, l’état-major particulier du chef de l’État et l’ambassadeur de France à Kigali notamment, la commission attribue l’essentiel des responsabilités de la faillite de la politique française au Rwanda au président Mitterrand, aujourd’hui décédé, à ses conseillers militaires, à l’ambassadeur Georges Martres, sans qu’un lien soit fait avec la politique ordinaire de la France en Afrique.
Car si ces acteurs, prisonniers de représentations idéologiques erronées – ethnicisme, lutte d’influence avec les « Anglo-Saxons » - se sont montrés incapables de prendre en compte le génocide en préparation puis en cours, beaucoup d’éléments montrent que ces représentations n’étaient pas le propre de Mitterrand et d’un petit cercle de conseillers. Elles étaient largement partagées au sein du Quai d’Orsay et de l’état-major des armées. Cette analyse des réalités africaines en termes ethnicistes et de rivalité géopolitique avec les Anglo-Saxons remonte à la colonisation et imprégnait en 1994 toutes les structures de l’Etat ayant à faire avec l’Afrique. La commission s’exonère ainsi d’évoquer la Françafrique et de questionner le fonctionnement global des institutions.
Pour finir, c’est une « responsabilité accablante » qui est évoquée, mais en rejetant toute idée de complicité. La commission donne pour cela une définition très étroite de la complicité de génocide, selon laquelle le complice doit partager l’intention. La commission exclut donc que les autorités françaises aient pu se rendre complices des auteurs du génocide. Cette définition est erronée. Se rend en effet complice celui qui aide le criminel, en connaissance de cause, avec un effet sur le crime commis, sans pour autant partager son intention. A l’évidence la commission est sortie de son rôle d’analyse historique pour endosser un rôle politique au service du pouvoir.
Source : Survie
Notes
[1] Ils seront secourus à l’initiative de militaires français. Sur cet épisode, voir cet article
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