Depuis les années de la grande crise, les organisations américaines de gauche radicale les plus connues, comme le Parti communiste, le Parti socialiste et des groupes anarchistes comme les « Industrial Workers of the World » (IWW), concentraient leurs énergies sur la mobilisation de la classe ouvrière industrialisée, ou encore le prolétariat. Cette classe était présente dans les grandes usines de l’aciérie et du textile, les abattoirs, les mines, les chemins de fer, les ports sur les côtes est et ouest, les industries du bois, etc. C’est ici que se trouvaient les militants et les militantes des groupes de gauche radicale, qui y menaient leur travail d’éducation populaire pour répandre les idées marxistes, communistes et socialistes et organiser des cellules. Cette période s’inscrivait dans le prolongement de la Révolution industrielle qui a traversé les États-Unis depuis la période de Reconstruction après la Guerre civile, et qui a encouragé l’expansion du pays vers l’ouest pour exploiter les nouvelles ressources naturelles et favoriser le développement du capitalisme américain.
Après la Deuxième Guerre mondiale, les deux partis encore emblématiques de la gauche radicale (Parti communiste et Parti socialiste) continuaient à cibler ces mêmes éléments de la classe ouvrière qui dominaient le monde industriel après 1945, comme General Motors (GM), l’industrie des chantiers maritimes, les industries aéronautiques et la construction des infrastructures (autoroutes, ponts) nécessaires pour soutenir le capitalisme d’après-guerre.
La définition du prolétariat avant et après la Deuxième Guerre mondiale s’est élargie avec le travail mené par la communauté afro-américaine. Avec le mouvement des droits civiques, un vaste front uni s’est développé. Une nouvelle génération a ensuite développé une contre-culture, avec l’opposition à la guerre du Vietnam, les hippies et une nouvelle vague du féminisme. Les perspectives de Malcolm X, Stokely Carmichael et les Black Panthers ont largement inspiré ce mouvement. Cette nouvelle génération, ces nouvelles idées, cette nouvelle conjoncture et ces nouvelles contradictions ont ainsi donné naissance à la Nouvelle gauche (New Left) et au NAM.
Avec cette émergence de plusieurs mouvements et de nouveaux concepts pour mener la lutte, nous avons été témoins d’une nouvelle analyse, mise de l’avant notamment par Hubert Marcuse. Marcuse, après un court séjour à Paris en mai 1968, est revenu aux États-Unis pour avancer une nouvelle analyse de la lutte anticapitaliste. Déjà influencé par le mouvement « Free Speech » à Berkeley, avec Mario Savio, il a vu naître une nouvelle stratégie qui émergeait sur les campus à travers le monde. Les étudiants et les étudiantes portaient, selon lui, une nouvelle stratégie de lutte, qui allait plus loin que simplement des changements dans le fonctionnement des universités. La lutte étudiante était devenue politique et donnait au marxisme une nouvelle direction pour cette période.
Cette analyse de Marcuse ne déclarait pas l’avènement d’une nouvelle classe sociale, comme certains l’auraient voulu, ni d’un nouveau parti politique, mais plutôt d’un mouvement de masse pouvant aller au-delà des étudiants et des étudiantes vers la classe ouvrière, afin de donner au marxisme un nouvel élan adapté à cette période dans la lutte des classes. Ce constat par Marcuse remettait en question les pratiques des anciennes générations de communistes et de socialistes, ce qui a évidemment provoqué des frictions entre la « vieille garde » et les nouvelles générations qui s’impliquaient dans la Nouvelle gauche et le NAM.
Nous assistons aujourd’hui à un phénomène similaire avec la stratégie du DSA pour un vaste mouvement de front uni socialiste, basé sur la tactique que nous pouvons qualifier de « réforme et révolution » (Rosa Luxembourg). En somme, une tactique qui critique le Parti démocrate, mais qui utilise les élections à tous les niveaux tout en prônant une révolution anticapitaliste, avec une adaptation nouvelle du marxisme dans la nouvelle conjoncture du 21 e siècle.
Nous voyons encore aujourd’hui les relents de certains groupes communistes et socialistes qui ne cherchent pas à adapter ce que veulent dire le communisme et le socialisme au 21e siècle. Plusieurs groupes, comme le Parti communiste des États-Unis et les socialistes internationalistes, continuent à tenir un message dogmatique, sans analyser et critiquer les erreurs du passé. Certes, comme le souligne Richard Wolff, nous devons continuer à utiliser le concept de socialisme dans nos luttes, mais si nous sommes de véritables marxistes, nous devons aussi critiquer les erreurs du passé et les régimes qui en ont sorti. En définitive, nous devons apprendre du passé pour mieux nous adapter au présent.
Certains groupes dogmatiques continuent à dénoncer le DSA et à fonder de nouveaux partis avec une plateforme qui nous ramène au passé. Ceci n’aide pas le développement de la lutte des classes, mais aide surtout la bourgeoisie capitaliste avec leur objectif de diviser pour mieux régner.
Le marxisme est une idéologie qui se base sur les contradictions réelles et leur évolution au sein du système capitaliste. Il faut certes apprendre des luttes du passé, comme la Commune de Paris en 1871, les différentes révolutions et les luttes anti-impérialistes du 20 e siècle, sans toutefois oublier que les débats stratégiques contemporains doivent prendre en compte la conjoncture. Le DSA adapte le marxisme au contexte actuel, tout en reconnaissant l’histoire de la lutte des classes. Le marxisme, si nous y croyons encore comme un guide pour la révolution anticapitaliste et anti-impérialiste, doit être recréé et appliqué en fonction des conditions du 21e siècle. Nous devons non seulement parler du socialisme, mais aussi parler de l’écosocialisme et de son développement en fonction des contradictions du 21 e siècle.
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