Le manifeste – qui exige une renationalisation des chemins de fer, de la poste royale et des services de distribution de l’eau – est le plus radical [du parti] depuis 1983. Ces engagements étaient en outre avancés avant la défaite des mineurs [grève de mars 1984 à mars 1985 dont la figure publique fut Arthur Scargill] lors d’un sommet d’une lutte – politique et industrielle – du XXe siècle.
Pour la première fois après de longues années de politiques crypto-conservatrices [Tories], une réelle alternative est présentée à ces élections. Elle s’oppose aux politiques d’austérité, aux coupes des budgets sociaux, aux bas salaires, à l’insécurité de l’emploi, aux contrats zéro-heure [contrat de travail sur un appel] et aux banques alimentaires. Il s’agit là d’une opportunité unique pour la gauche. Il s’agit d’un manifeste qui rompt avec le mur de fumée du Brexit que May souhaite utiliser pour tenter de remporter une majorité conservatrice.
Le texte ne contient pas tout ce que nous pourrions souhaiter, mais il s’agit d’une rupture radicale avec les politiques servies par les directions travaillistes depuis Kinnock [dirigeant du parti, et de l’opposition, entre 1983 et 1992, il a également été vice-président de la Commission européenne entre 1999 et 2004], suivi par Blair, embrassant un « nouveau réalisme », en d’autres termes le néolibéralisme.
Il ne reste que quelques semaines pour, sur la base de ce manifeste, changer la dynamique et élire un gouvernement sous direction travailliste le 8 juin. Les sondages commencent à indiquer une hausse du soutien envers le Labour ainsi qu’un enthousiasme répandu en faveur des politiques que nous promouvons [le sondage électoral effectué par YouGov, les 30 e 31 mai 2017, donne les résultats suivants : conservateurs : 42% ; travaillistes : 39% ; libéraux-démocrates : 7% ; UKIP : 4% – Réd. A l’Encontre]. Nous appelons nos partisans à mouiller leur chemise, à s’engager pleinement, à faire tout ce qui est possible pour permettre une victoire travailliste.
Ce n’est pas une tâche facile. L’UKIP (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni) s’est effondré, ce qui a engendré un Parti conservateur « ukipisé ». T. May tente de séduire les 17 millions de personnes qui ont voté en faveur du Brexit : qu’elles votent pour elle si elles veulent que la décision référendaire soit pleinement appliquée. Dans un contexte de crise sociale provoquée par sept ans d’austérité Tory, tout reste en jeu.
Une victoire des conservateurs signifierait un désastre. Elle impliquerait une poursuite à toute vapeur des politiques d’austérité du Tory ainsi qu’une sortie de l’Union européenne sous une ligne brutale, contre la classe laborieuse, avec tout ce que cela signifie de modifications des conditions politiques et sociales en Grande-Bretagne pour longtemps. Ainsi que l’affirme Corbyn, il s’agit d’une politique de la peur plutôt que de l’espoir.
Le message est clair : si vous désirez que vos salaires continuent à être gelés, si vous voulez la destruction du NHS et si vous voulez qu’il n’y ait toujours aucun droit au travail, si vous voulez un « hard » Brexit : votez Tory.
La droite du Labour n’a pas abandonné ses tentatives de saboter Corbyn. Tony Blair, Peter Mandelson [membre du gouvernement sous Blair et Gordon Brown puis commissaire européen entre 2004 et 2008, siège à la Chambre des Lords !] et Roy Hattersley [dirigeant du Labour de 1983 à 1992] font de leur mieux en ce sens. Ils ont toutefois été giflés de manière retentissante par John Prescott [ce dernier collabora avec Blair et Brown, et fut au gouvernement durant des années, avant d’être anobli], dans le Sunday Mirror, lequel exigeait une unité derrière Corbyn et leur signifiait qu’ils devaient choisir entre « endurer ou la fermer ». Prescott affirmait qu’une campagne unifiée placerait le Labour en tête car la popularité des propositions prenait de l’ampleur. Depuis lors, des parlementaires comme Ben Bradshaw [ancien de la BBC, il est devenu secrétaire d’état de la culture, des médias et des sports entre 2008 et 2010] refusent de reconnaître le manifeste travailliste.
Une bataille aux proportions importantes se déroule au sein du Labour afin de défendre la direction Corbyn contre les saboteurs de la droite de Labour. Cette bataille continuera probablement, avec même une plus grande intensité, quel que soit le résultat des élections – le parti travailliste les remportant ou essuyant une défaite – et nous invitons avec insistance tous les activistes qui le peuvent à s’impliquer dans ce combat.
Des propositions radicales
Outre la renationalisation des chemins de fer, des postes (Royal Mail), des services d’approvisionnement en eau ainsi que d’une partie de l’industrie énergétique, le manifeste propose un renversement majeur des coupes menées par les conservateurs dans les budgets sociaux : l’abandon de « l’impôt sur la chambre à coucher » [Bedroom tax, mesure introduite en 2013 qui réduit les allocations en matière de logement à ceux qui en bénéficient qui ont des « chambres libres »] et le Work Capability Test [mesure visant à déterminer le degré d’incapacité au travail, avec des réductions d’allocation], une augmentation de 17% de la Carer’s Allowance [allocation pour garde, soit le versement d’allocations aux personnes – en large majorité des femmes – qui s’occupent de personnes handicapées plus de 35 heures par semaine] et suivant le modèle social du handicap.
Sur l’économie : le renversement des réductions d’impôt mises en place par les conservateurs à hauteur de 72 milliards de livres sterling, une hausse des impôts sur les personnes aisées comprenant une augmentation de l’impôt sur le revenu de 45% pour les contribuables qui gagnent plus de 80’000 livres sterling par année ainsi qu’une hausse du taux de 50% supplémentaire pour ceux qui gagnent plus de 123’000 livres. Un impôt « Robin des Bois » sur les transactions financières en faveur du financement du NHS. Une augmentation d’un tiers des impôts sur les entreprises ainsi qu’un impôt « gros bonnet » pour les firmes qui versent des très gros salaires. En tirant parti des faibles taux d’intérêt, le Labour entend procéder à un investissement de 250 milliards de livres sur dix ans afin d’assurer un système de transport, énergétique et une infrastructure numérique dignes du XXIe siècle.
Sur les droits des travailleurs : un salaire minimum de 10 livres, l’abrogation du Trade Union Act [introduit en 2016, cette loi rend beaucoup plus difficile les grèves et les actions collectives, en particulier dans le secteur public, en requérant des taux de participation très élevés pour qu’une grève soit légale], la fin des contrats zéro-heure, un terme au gel des salaires dans le secteur public, la jouissance des droits à l’emploi dès le premier jour, le droit à une représentation syndicale, la fin du licenciement des femmes enceintes, une obligation faite aux employeurs de publier les différences de salaires selon le genre, l’abolition des frais dans les procédures de prud’hommes, le salaire pour les stagiaires, une garantie de l’accès syndical des places de travail ainsi qu’un différentiel salarial maximal de 20:1 dans le secteur public et dans les entreprises bénéficiant de contrats d’état.
Sur le NHS : l’abrogation du Health and Social Care Act [datant de 2012, c’est une contre-réforme de très grande ampleur contre le NHS], un financement supérieur annuel de 6 milliards de livres par le biais d’un impôt sur le revenu frappant le 5% des contribuables les plus aisés, une hausse de l’impôt sur les assurances médicales privées, une hausse des investissements et la fin de la privatisation, un terme à toutes les propositions de fermeture des services d’urgence ainsi qu’une réintroduction des bourses NHS.
Sur les aides sociales : un supplément de 8 milliards de livres au cours de la prochaine législature, comprenant 1 milliard au cours de la première année, la fin des visites de soins de 15 minutes ainsi qu’une garantie à ce que les travailleurs sociaux voient leur temps de déplacement payé.
Sur l’éducation : un renversement des coupes budgétaires des conservateurs dans le secteur de l’éducation, la réduction de la taille des classes, le gel de l’ouverture de nouvelles écoles privées ou des grammar schools [degré le plus élevé du système tripartite inégalitaire de l’éducation au Royaume-Uni], des repas scolaires gratuits, l’abolition des taxes d’études ainsi que la réintroduction des subventions d’entretien. Une garde d’enfant gratuite de 30 heures par semaine pour les enfants âgés de 2 à 4 ans.
Sur le logement : la construction d’un million de logements sur une période de cinq ans, dont la moitié de logements sociaux, une action contre les propriétaires « filous » afin d’assurer que le logement en location soit adapté à l’habitation humaine, une limitation de la hausse des loyers, l’abrogation des coupes d’allocations pour le logement des personnes âgées entre 18 et 21 ans.
Sur l’environnement : un soutien entier à l’accord de Paris, la fin de la fracturation hydraulique, une nouvelle loi sur la qualité de l’air, des « ceintures bleues » de zones maritimes au large de la Grande-Bretagne ainsi qu’une interdiction des néonicotinoïdes [produits toxiques utilisés dans les insecticides qui portent atteinte à des espèces comme les abeilles et les papillons, polluent les sols et affectent la santé humaine]. Le Labour projette d’isoler 4 millions de maisons, débuter la décentralisation de la fourniture en énergie en plaçant le réseau national sous propriété publique. Il y aura au moins une compagnie énergétique publique dans chaque région ; c’est-à-dire dirigée localement, devant rendre des comptes, agissant afin d’empêcher la pauvreté énergétique [le non-accès au chauffage] et retournant les profits aux consommateurs par le biais d’une réduction des tarifs.
Sur le Brexit : une déclaration unilatérale que les citoyens de l’UE qui vivent ici auront le droit de rester ; une opposition à un Brexit « dur » ; un vote de la Chambre des communes au terme du processus ; une tentative de rester dans l’union douanière ; un accès hors taxe au marché unique, au travers d’un accord commercial, la liberté de mouvement de ceux qui disposent d’une offre de travail, l’abandon du Great Repeal Bill [qui devrait intégrer une large partie de l’acquis communautaire qui n’est pas contraignant à l’échelle nationale] et son remplacement par une loi positive qui assure que le Brexit ne signifiera pas une perte de droits.
La réponse des conservateurs et des médias a consisté à vilipender Corbyn une fois de plus. L’argument est simple : quelles que soient les politiques du Labour, sa direction est incapable de les mettre en œuvre ou ne sait comment les financer.
Le manifeste contient sans aucun doute des aspects regrettables ; la règle de crédibilité budgétaire [Fiscal Credibility rule qui implique une politique budgétaire rigide] et le soutien apporté à l’énergie nucléaire, la promotion d’une technologie de capture du carbone qui ne fonctionne pas, une expansion du nombre d’aéroports, la poursuite de la construction du HS2 [train à grande vitesse, entre Londres et Birmingham, puis vers Manchester et Leeds] et son extension. Notons encore la conservation de Trident [programme d’armement balistique nucléaire pour sous-marins initié dans les années 1980] – une bataille que la gauche n’est pas parvenue à gagner depuis que Corbyn est devenu dirigeant ; la formulation du programme met l’accent sur une stratégie multilatérale de désarmement nucléaire, mais l’opposition au programme Trident a été amoindrie suite aux différends internes lors de la conférence du Labour portant sur le Manifeste.
C’est en outre une grande erreur de ne pas inclure la représentation proportionnelle au Parlement dans les propositions d’une convention constitutionnelle ainsi qu’une Chambre des Lords élue. Un tel engagement attirerait non seulement beaucoup de suffrages en faveur du Labour provenant du grand nombre de personnes qui désespèrent que soit changé un système grossièrement non démocratique, mais au regard des changements de la structure politique du pays, le système « le premier qui passe emporte tout » devient de plus en plus non démocratique.
Le paquet d’ensemble reste toutefois un défi sérieux au programme d’austérité et une bonne base sur laquelle commencer à reconstruire une politique de gauche dans ce pays – en particulier lorsqu’il survient dans une époque de déplacement à droite sous l’impact du Brexit.
Une alliance contre l’austérité
Dans la mesure où le Labour continue de défendre une position unioniste en ce qui concerne l’Ecosse et à s’opposer à un vote Oui lors d’un deuxième référendum sur l’indépendance, sa position électorale ne changera pas – en réalité il se pourrait bien qu’elle empire. Cela signifie qu’une majorité absolue travailliste à la Chambre des communes est extrêmement difficile de telle sorte qu’une victoire travailliste signifie en réalité que le Labour sera le plus grand parti au gouvernement avec le soutien d’autres partis opposés à l’austérité : c’est-à-dire le Scottish Nationalist Party, Plaid Cymru [parti nationaliste gallois] et les Verts. L’hostilité actuelle de Corbyn à cette alliance ne fait pas sens et doit changer. Si le Labour devient le plus important parti à la suite des élections, le seul choix alternatif sera d’inviter les conservateurs à former un gouvernement – ce qui est inacceptable.
Mais qu’il s’agisse d’une coopération avec les élections ou ensuite, avec le Labour comme plus grand parti, nous parlons d’une alliance contre l’austérité et non d’un concept ambigu « d’alliance progressiste » définie et soutenue, par exemple, par le think tank travailliste Compass. C’est malheureusement aussi en ce sens qu’agit le parti écologiste : une alliance qui inclurait les libéraux-démocrates (ces mêmes libéraux-démocrates qui ont renforcé les conservateurs pendant cinq ans en leur permettant d’imposer leur programme d’austérité dont la fin brutale est mise en œuvre en ce moment).
Ce n’est pas un message qui galvanisera les centaines de milliers de personnes qui sont restées à la maison lors des élections récentes, ceux qui considèrent qu’il n’y a pas de différence entre les politiciens quelle que soit leur orientation. Ils seront mobilisés plus efficacement autour d’un message clair contre l’austérité.
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