1- Je dirais que ma préoccupation se résume au constat suivant, très terre-à-terre : l’industrie des hydrocarbures de roche-mère (gaz et pétrole de "schiste" dans le langage courant) n’existe par le seul fait d’une opportunité découlant de l’absence complète de règles adaptées à l’émergence d’une nouvelle technologie. Les règles existantes ont été conçues pour des gisements conventionnels ; elles sont déjà jugées très laxistes quant à la gratuité d’accès à l’eau, l’atmosphère et aussi la mer pour les rejets polluants non comptabilisés dans les plans d’affaires. Ce qui s’ajoute dans le cas des gisements non conventionnels est la notion d’écrémage : 10 à 20% dans le cas du gaz de schiste, 1 à 3 % dans le cas du pétrole dans les shales. Et les nouvelles (et encore inconnues) conséquences environnementales de cet écrémage.
2- La fracturation met en branle un processus dont la durée est d’ordre géologique : un débit élevé au début qui diminue initialement très rapidement après les premières années. La coupure qui marque la fin de la rentabilité dans ces courbes de production se situe à un niveau qui laisse encore en place dans le réseau des nouvelles fractures, plus de 80% du gaz et plus de 97% du pétrole. Les puits sont bouchés et l’industrie lègue le tout à l’État en fin d’opération.
3- Les États ont tous des règles similaires pour gérer cette transition, des règles hyper-laxistes établies à une autre époque : le plan d’affaire des exploitants s’arrête là où arrive la fin du permis d’exploitation. Cette "rentabilité" pour les exploitants amène bien sûr des redevances aux gouvernements ; tous semblent donc y trouver leur compte. C’est ainsi que cela fonctionne et ce serait de l’angélisme que de croire qu’avec nos deux seuls petits gisements d’ici (Utica pour le gaz et Anticosti pour le pétrole) qu’on va inverser ce mode traditionnel de fonctionnement. Il n’y a qu’à voir le plan de travail de l’ÉES* qui suit fidèlement le modèle en vigueur et a même refusé d’analyser les questionnements que j’ai soulevés quant à la durée de vie des puits. Oui, les puits bouchés et abandonnés en fin de permis selon le plan d’affaire à Anticosti comme ailleurs, qu’arrivera-t-il ? En tant qu’ingénieur, je ne pose que cette seule question très terre-à-terre : d’un côté un shale totalement modifié par la fracturation nouvelle, écrémé des hydrocarbures qui se sont écoulés en quelques années, mais où 97% des hydrocarbures vont néanmoins continuer leur migration vers ces fractures. Pour les gisements conventionnels ce même processus a mis 10 000 ans ou 10 millions d’années. Les bouchons en béton tiennent combien de temps ? La moitié de la durée de vie d’un viaduc selon les données qu’on a pour 15000 puits conventionnels. Il y a ce "bug" énorme dans l’industrie des gisements non-conventionnels.
4 -Je n’aime pas trop, tant qu’on y aura pas répondu, "noyer" cette question dans toutes les autres considérations de politique énergétique, d’acceptabilité, sociale, d’écologie, questions pertinences certes, mais où des tonnes d’encre peuvent s’écouler avant qu’on arrive à une conclusion bien définitive. La discussion sur la cohérence, souhaitable certes dans les politiques énergétiques, ne peut servir à masquer ce gros "bug" de l’industrie des gisements non-conventionnels."
Marc Durand, lien : http://www.facebook.com/notes/marc-durand-doct-ing-en-g%C3%A9ologie-appliqu%C3%A9e/r%C3%A9sum%C3%A9-des-questions-techniques-gaz-et-p%C3%A9trole-de-roche-m%C3%A8re/565755236789395