Des constats importants, mais très partiels
Le document identifie le désabusement à l’égard de la classe politique. Cela se reflète tout particulièrement par le renforcement de l’abstention aux différentes élections. L’accès à une information diversifiée et de qualité n’est pas disponible. Cela est dû principalement à la concentration des médias qui favorise la commercialisation de l’information, le recul d’une information répondant à l’intérêt public comme le journalisme d’enquête et à la place occupée par les nouveaux médias comme google et Facebook qui se contentent de relayer des informations produites par d’autres.
Les recommandations répondent à ces constats :
« Afin de renforcer la démocratie, la CSN propose de revendiquer en priorité :
– un mode de scrutin proportionnel mixte pour le Québec ;
– Une aide financière publique adéquate et des mesures réglementaires pour assurer la production d’une information de qualité et diversifiée au Québec »
Nous pouvons comprendre la volonté de déboucher sur des revendications prioritaires. Mais, il nous semble que l’ampleur de la crise de la démocratie représentative mériterait une analyse plus globale de cette crise débouchant sur des revendications s’attaquant au cœur du problème du « renforcement de la démocratie ».
Nos constats : néolibéralisme et crise de la démocratie représentative
Pourtant, la démocratie actuelle souffre de nombreuses limites : un système électoral non réellement représentatif, des partis politiques financés de façon illégale, la puissance des lobbys des grandes entreprises auprès du gouvernement, les passages des responsables gouvernementaux à la direction des grandes entreprises et inversement, un État ligoté par les pouvoirs financiers, le maintien de la domination masculine sur les postes de pouvoir, une sous-représentation chronique des femmes parmi les éluEs...
Non seulement une minorité restreinte participe activement à la vie politique. Mais une minorité encore plus restreinte exerce directement le pouvoir. Et le pouvoir dans notre société ne se concentre pas seulement et même principalement chez les éluEs, mais les élites économiques accaparent une partie importante de ce pouvoir.
Avec l’ouverture de la crise du néolibéralisme en 2008, les carences de la démocratie dans les États capitalistes avancés deviennent de plus en plus importantes. La classe capitaliste (banquiers, grands industriels, grands commerçants) impose de plus en plus ouvertement son pouvoir sur l’ensemble de la société.
A. La domination du capital financier et le recul du pouvoir démocratique du peuple.
La période néolibérale a été marquée par une pression continue des élites économiques pour diminuer sa contribution fiscale aux revenus de l’État. Ces pressions ont permis non seulement une défiscalisation des hauts revenus et des patrimoines, mais également une transformation de la fiscalité où l’impôt est devenu de moins en moins progressif (diminution des paliers d’imposition) et où les taxes indirectes ont occupé une place plus importante dans la structure des revenus de l’État. Non contentes d’avoir obtenu cette défiscalisation qui a coûté des milliards au trésor public, les banques et les grandes entreprises ont développé une politique d’évitement fiscal et de fraude fiscale avec l’appui des politiciens à leur service. C’est ainsi qu’on a multiplié les possibilités des évitements fiscaux et les fuites de capitaux vers les paradis fiscaux afin de cacher leurs revenus et éviter le fisc.
N’ayant plus de revenus suffisants, l’État s’est endetté auprès des banques et autres institutions financières. Ces créanciers, qui n’avaient pas payé leur dû, sont de nouveau passés à la caisse en demandant des intérêts importants sur leurs prêts. Pour s’assurer que les États ne fassent pas défaut sur leurs dettes et qu’ils soient remboursés, ces créanciers ont demandé aux États de couper dans les dépenses sociales et de privatiser leurs institutions publiques pour ouvrir de nouveaux champs à l’accumulation du capital. Et ils menacent les États qui ne répondraient pas à leurs exigences de les décoter et de rendre encore plus coûteux les nouveaux emprunts qu’ils seraient amenés à faire. Ils font ainsi pression pour que soit instaurée une politique d’austérité permanente.
La dette est devenue un instrument au service de la domination du capital financier sur les États et sur les peuples. C’est ainsi que la souveraineté du capital financier a commencé à peser davantage sur les choix gouvernementaux que la souveraineté populaire elle-même. “Le néolibéralisme est .[...] incompatible avec un État démocratique, si par démocratie on entend un régime qui intervient, au nom de ses citoyens, avec l’autorité de la puissance publique, dans la répartition des biens économiques résultant des événements de marché.” [1]
Depuis les années 80, les gouvernements se sont ralliés au libre-échange et ont signé des traités qui favorisent le renforcement du pouvoir des multinationales. Le libre-échange, c’est d’abord la libre circulation des capitaux, les pressions à la privatisation, mais également la limitation des pouvoirs des États à favoriser sa population. C’est ainsi que les traités de libre-échange (l’ALENA ou le CETA avec l’Europe) donnent aux compagnies privées la capacité de poursuivre les gouvernements qui introduiraient des mesures destinées à protéger l’environnement ou les droits sociaux. Ces ententes constituent donc une atteinte directe à la souveraineté populaire. Elles sont donc profondément antidémocratiques.
Le recul de la démocratie, on peut le constater dans toutes les actions des élites économiques et politiques qui arrachent le contrôle de la population sur des secteurs de la vie publique et sur la possibilité de contrôler son propre destin. Que ce soit les prétentions du capital financier à discipliner l’État à coup de diktats ou de menaces, que ce soit l’irresponsabilité des entreprises pétrolières à développer des énergies qui sont la cause du réchauffement climatique et la détérioration de l’environnement … ces faits démontrent que nous faisons face à une véritable expropriation de notre souveraineté populaire et de nos droits démocratiques de décider collectivement de notre avenir.
B. Un État qui cuirasse et renforce ses moyens de répression et limite les libertés démocratiques
Les mouvements sociaux font face à l’utilisation systématique de moyens visant à affaiblir la résistance populaire. C’est ainsi que le mouvement syndical a vu se multiplier les lois spéciales interdisant le droit de grève, obligeant le retour au travail et fixant le niveau des salaires. Le gouvernement fédéral a été très actif à cet égard. Mais les gouvernements péquiste et libéral n’ont pas hésité à utiliser le même arsenal contre les grèves.. Le mouvement étudiant a fait face à une police qui n’a pas hésité à interdire les manifestations et à opérer, à plusieurs reprises des arrestations massives. Les juges ont multiplié les injonctions pour rendre des grèves étudiantes illégales. La surveillance des citoyenNEnes jugés à risque se systématise.
Pour protéger leurs entreprises de spoliation des richesses partout dans le monde, les gouvernements occidentaux ont fait de la lutte contre le terrorisme et la recherche de la sécurité des priorités. Le gouvernement central utilise la guerre pour justifier les restrictions aux droits démocratiques. Des lois plus répressives sont proposées et adoptées. Elles donnent plus de pouvoir aux forces policières et renforcent leur coordination. Cette restriction des droits démocratiques est couverte par une campagne contre des minorités religieuses (Islam particulièrement) présentées comme le bouc émissaire des difficultés vécues par la population. Ottawa mène des campagnes pour construire le soutien à l’armée et à ses différentes aventures militaires dans le monde . Toutes politiques participent de la criminalisation de la résistance sociale et de la restriction des droits démocratiques.
C. Une centralisation bureaucratique d’institutions politiques dévoyées par la corruption et la collusion
Le néolibéralisme multiplie les occasions d’acoquinements entre les entreprises privées, les hauts fonctionnaires et les responsables politiques. La généralisation des privatisations place des entrepreneurs privés dans une situation de concurrence exacerbée. La privatisation qui a correspondu au renforcement de la sous-traitance a été si loin qu’elle a favorisé la migration des expertises des institutions publiques vers le privé. Ce mouvement d’ampleur place des ministères comme le Ministère des Transports dans l’incapacité d’évaluer et de contrôler les ouvrages qu’ils confient aux entreprises privées. Le culte du secret, le refus de la transparence, le culte des acoquinements rentables, c’est l’essence de la corruption en système capitaliste en cette période néolibérale. Cette corruption n’est pas d’abord le résultat de la criminalité du petit nombre, mais le fruit de l’irresponsabilité sociale des puissants et de leur volonté de régner sans à rendre compte à leurs commettants.
Ce sont les symptômes d’institutions politiques marquées par des failles importantes : le renforcement du pouvoir des lobbies qui deviennent de véritables cogestionnaires des actions gouvernementales, des représentantEs du peuple qui se recrutent essentiellement parmi les plus riches ou les couches professionnelles, la circulation des élites du secteur public au secteur privé pour le plus grand bien de ces derniers, l’absence totale de contrôle des électeurs et des électrices sur les mandataires, un sous-développement permanent de mécanismes de démocratie directe comme les référendums révocatoires, ou les projets de loi d’initiative populaire...
Il faudrait insister que la démocratie ne peut s’arrêter à la porte des entreprises... et on pourrait ajouter des grands services et des grandes administrations publiques. Là aussi, le pouvoir n’a pas à être concentré dans les mains des propriétaires ou des experts. Sinon la majorité des décisions importantes pour la vie de la société échappe au choix de la majorité de la population.
La centralisation des pouvoirs vers Ottawa ou Québec est le réflexe bureaucratique le plus assumé. La loi 10 sur la réforme du système de santé en est un exemple quasi délirant. Tous les pouvoirs ont été concentrés dans les mains du ministre de la Santé. La liquidation des CLD s’inscrit dans la volonté de limiter la participation démocratique des citoyens et des citoyennes et la prise en charge socio-économique par des actions de solidarité locales et régionales. En fait, ce à quoi s’attaquent les gouvernements, ce sont les espaces démocratiques autonomes axés sur la solidarité qu’étaient parvenues à construire des démarches citoyennes. Le pouvoir sans entrave de l’oligarchie voici l’essentiel de l’objectif poursuivi.
D. La monopolisation des débats publics par les élites médiatiques
La concentration de la presse est très poussée au Québec. La majorité des moyens de communication de masse (journaux, radios, télévision) sont dans les mains de grands magnats de la presse. (Quebecor/Gesca). Cette monopolisation par les élites économiques bloque les débats démocratiques. Les points de vue de l’oligarchie économique et politique sont omniprésents.
Les mouvements sociaux sont le plus souvent dénigrés. La tendance à l’information spectacle empêche que les débats sociaux et politiques soient faits avec sérieux. Durant les campagnes électorales, les points de vue de gauche sont tus. Les médias ne se gênent pas à utiliser les sondages politiques pour manipuler l’opinion. C’est grâce aux médias sociaux plus facilement accessibles qu’une autre parole réussit à se faire entendre. Les débats publics véritablement démocratiques nécessiteraient que soient remis en question ces monopoles de presse. Le texte de la CSN souligne très clairement cette dimension de la crise de la démocratie au Québec.
E. La dimension nationale de cette remise en question de notre souveraineté populaire
Que ce soit le contrôle de notre monnaie, le type d’énergie que nous voulons développer, le fait d’être régi ou non par un traité de libre-échange, le contrôle de nos moyens de transport ferroviaire, maritime ou aérien, le contrôle des télécommunications par Ottawa et le contrôle des choix que nous voulons faire à ces niveaux, notre statut actuel de minorité politique, exclut notre capacité de faire des choix dans une série de secteurs essentiels de notre économie, de notre société et de notre culture et démontre que l’actualisation de notre souveraineté populaire ne pourra se faire sans qu’on lève les obstacles dressés par l’État fédéral à son épanouissement.
Sans parler de la négation de notre droit à l’autodétermination, de la proclamation que les seuls constituants pouvant modifier la constitution canadienne sont les premiers ministres du Canada et des provinces.La rupture avec le fédéralisme (le projet d’indépendance) permettrait une ouverture démocratique et pourrait donner une impulsion à la souveraineté populaire.
Nos recommandations pour renforcer la démocratie
Ces recommandations s’articulent aux cinq niveaux de constats précédents :
A. La démocratisation l’économie
La démocratie économique nécessite qu’on en finisse avec la croissance des inégalités économiques. Elle passe par :
– une réforme de la fiscalité permettant une véritable redistribution de la richesse ;
–la généralisation de la gratuité des services publics (santé, école, transport) ;
– la fin des lobbys et du pantouflage, le blocage de la privatisation des services publics et de la sous-traitance ;
–et l’appropriation sociale de nos richesses naturelles et de l’ensemble des ressources permettant de donner au peuple le contrôle de la nécessaire transition énergétique.
B. Une véritable démocratie politique passe par l’élargissement des cadres de la démocratie représentative.
Ce passage exige :
– la réforme du mode de scrutin et l’introduction d’un système proportionnel mixte tout en luttant pour la parité de genre dans la représentation politique
– l’interdiction de la circulation des élu-e-s entre les responsabilités politiques et les postes de direction des entreprises privées ;
– la mise en place de mécanismes permettant le contrôle populaire des représentant-e-s lus à l’Assemblée nationale (mandats impératifs, procédure de révocation des élu-e-s s’opposant aux mandats reçus…)
– le soutien au développement de partis politiques en rupture avec l’oligarchie régnante et en lien avec les organisations syndicales et populaires.
C. La lutte contre la criminalisation de l’opposition sociale et pour la défense des libertés individuelles et collectives
Cette lutte vise :
– l’élargissement des droits syndicaux (pour faciliter l’accès à la syndicalisation, une reconnaissance véritable du droit de grève et l ‘interdiction du droit de lock out)
– l’abrogation des lois comme la loi c-51 et des lois facilitant la criminalisation de toute résistance sociale
D. La lutte contre la monopolisation des débats publics par les élites médiatiques
Au-delà d’une aide financière publique et de mesures réglmentaires pour assurer la production d’une information de qualité
Une véritable liberté de presse passe par :
– Le démantèlement des monopoles médiatiques privés
– La mise en place d’un système des médias publics avec des bases dans les régions et responsables devant des assemblées citoyennes.
E. Le combat pour l’indépendance est un combat démocratique, c’est un combat pour la souveraineté populaire
Un projet de société démocratique implique qu’on en finisse avec le pouvoir de l’État canadien sur le Québec et cela nécessitera
– la défense du droit à l’autodétermination du Québec et des nations autochtones
– le contrôle des citoyens et des citoyennes du Québec sur les grands choix économiques et politiques (politiques énergétiques, de transport..)
– le soutien à un mouvement pour une assemblée constituante concrétisant la souveraineté populaire pour se donner la constitution d’un Québec indépendant.