Édition du 19 novembre 2024

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Féminisme

Reculs des conditions de vie des femmes au Québec en 2015

Dans le dernier numéro du Bulletin de liaison (1) de la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec (FAFMRQ), c’est le titre de l’article de Valérie Gilker Létourneau (2) qui résume l’étude publiée par L’R (3) en avril 2016. Notez qu’il n’est pas nécessaire d’être membre de la FAFMRQ pour s’abonner à son Bulletin.

Reculs des conditions de vie des femmes au Québec en 2015

Une guerre de mots a occupé une partie de l’attention médiatique dans l’actualité récente, visant à savoir si l’austérité est, ou non, une violence envers les femmes. D’un côté, l’opposition officielle en matière de condition féminine, en la personne de Carole Poirier, brandissait l’étude produite par L’R des centres de femmes du Québec, accusant le gouvernement de violence envers les femmes. De l’autre, la ministre à la Condition féminine, Lise Thériault, rétorquait qu’il est grossier et inadmissible de formuler pareilles accusations, allant même jusqu’à demander la démission de Madame Poirier. Au cœur de cette joute trônait une question d’intérêt pour les femmes du Québec, à savoir celle de l’amplification de la discrimination systémique des femmes, un phénomène abstrait dont les impacts, violents, sont pour leur part bien réels. Mais peut-on vraiment parler de violence systémique ? Peut-on affirmer que l’austérité amplifie la discrimination systémique des femmes ? bien que ces mots soient forts et qu’ils évoquent des images inconfortables, la réponse demeure positive.

Lorsqu’on écoute ce que les femmes racontent au sujet des changements de leurs conditions de vie, la réponse à ces questions est indubitablement oui. Lorsque l’on observe les effets conjugués qu’ont les politiques économiques du gouvernement sur les femmes, la réponse à ces questions est indubitablement oui. L’R des centres de femmes du Québec a écouté ce que les femmes avaient à dire, puis a analysé les effets conjugués des impacts dont elles parlaient. Entre janvier et décembre 2015, des discussions régionales ont eu lieu partout au Québec, des groupes de discussions locaux ont été animés dans une dizaine de centres de femmes, et des témoignages individuels venant de 198 femmes ont été compilés. Ces 501 femmes ont identifié les impacts des politiques d’austérité sur leurs conditions de vie. La compilation et l’analyse de ces données met en lumière plusieurs répercussions des politiques d’austérité, ainsi que certains effets de la conjugaison de ces différentes conséquences directes. Par exemple, si une femme a un emploi dans le secteur de la santé et des services sociaux, qu’elle est monoparentale, qu’un de ses trois enfants a un trouble de l’humeur, que les deux autres sont d’âge préscolaire et qu’elle habite en région rurale, elle vivra de multiples impacts des réformes récentes, et ce, simultanément.

« L’austérité me touche parce que je suis une mère monoparentale de trois enfants. Les enfants ont des handicaps invisibles ainsi que des TDAH. Ils doivent être dans des classes ADAPTéEspour leurs conditions particulières !!! Le matériel coûte cher en plus. De plus, l’école exige des collations santé... Puisque je vis de l’aide sociale, il m’est parfois difficile, dans certaines parties du mois, de me procurer des denrées FRAÎCHEs... Les prix sont parfois exorbitants. Tant que leurs handicaps leur nuiront, je me dois pour eux de rester à la maison, à la disposition de l’école. » - Estrie

Ce que disent Les femmes

Les 501 femmes qui ont participé à la démarche ont abordé plusieurs thèmes, et ce, de leur propre gré. Les questions qui leur ont été posées étaient toujours ouvertes, pour ne pas orienter leurs réponses. On leur demandait par exemple : Quels sont les impacts de l’austérité dans votre communauté ? à ces questions ouvertes, les femmes ont donné plusieurs réponses : diminution de l’accessibilité aux services publics, diminution de la satisfaction des besoins de base, diminution de l’autonomie économique, augmentation du travail invisible et augmentation de l’isolement.

Elles ont moins accès aux services publics dont elles et leur famille ont besoin, dans une proportion de 47%.

L’impact des mesures d’austérité dont parlent le plus les femmes, c’est la diminution de l’accès aux services publics. La privatisation, l’augmentation des tarifs, le temps d’attente, la proximité des centres de santé ou, tout simplement, la disponibilité des spécialistes sont des facteurs qui diminuent l’accès aux services. Certaines éloignent les rendez-vous chez le dentiste, chez l’optométriste ou arrêtent tout simplement d’y avoir recours. Certaines d’entre elles se trouvent même obligées de se priver des médicaments dont elles ont besoin pour satisfaire leurs besoins de base. « L’austérité me touche parce que lorsqu’il faut choisir entre la nourriture ou les médicaments faute de budget suffisant, on n’aide aucune personne à améliorer sa santé physique et mentale. Le Québec est bien malade avec tous ces “docteurs” à la tête du gouvernement, “docteurs” qui ont toujours raison, bien entendu ! » - Montérégie

Dans toutes les régions du Québec, en rencontres régionales, les travailleuses de centres de femmes disent recevoir beaucoup de visites de femmes ayant des difficultés de santé mentale qui sont dirigées vers les centres de femmes par les Csss. Ces derniers demandent même régulièrement aux travailleuses de centres d’assurer un suivi. Les femmes ayant besoin d’aide psychologique (dont certains cas sont très lourds) sont également dirigées par les Csss aux centres de femmes de leur région. C’est également le cas pour le soutien aux femmes âgées. Il y a donc une déresponsabilisation de l’état et une responsabilisation des centres communautaires qui n’ont pas toujours les moyens financiers suffisants pour assurer le service.

Elles ont plus de difficulté à satisfaire leurs besoins de base, dans une proportion allant jusqu’à 18%, selon le besoin.

Revendiquant plus de logements sociaux et dénonçant l’augmentation de l’itinérance des femmes, certaines femmes mentionnent débourser jusqu’à 80 % de leur revenu pour payer leur logement. Il y a également un manque flagrant de logements adaptés aux besoins des femmes, notamment chez les femmes monoparentales qui doivent répondre aux exigences de la cour pour conserver la garde de leurs enfants, en ce qui concerne le nombre de pièces. De plus, les logements à prix abordables sont souvent ceux qui sont loin des services et des écoles. Cela peut augmenter les coûts de transport et l’isolement de certaines femmes qui n’ont pas les moyens de se loger près des services dont elles et leur famille ont besoin.

D’autres répondantes ont parlé de leur misère à chauffer leur logis à cause de l’augmentation d’Hydro. Elles baissent la température de leur logement et de leur réservoir d’eau chaude, sèchent leur linge sur la corde l’hiver, coupent leur ligne téléphonique pour arriver à payer leur compte d’Hydro. D’autres diminuent la qualité et la quantité de nourriture achetée à cause de leur appauvrissement et de la hausse du panier d’épicerie. Des mères monoparentales vivent une grande détresse devant leur incapacité à nourrir convenablement leurs enfants.

« L’austérité me touche parce que la viande coûte trop cher donc je suis végétarienne par obligation. Maintenant, les légumes augmentent, qu’est-ce que je vais manger ? Des cannes et de la bouffe congelée ? Mauvais au goût et mauvais pour la santé. Vous hypothéquez notre santé. » - Montréal

Sans détailler tous les autres sujets qu’elles ont abordés, il m’apparaît nécessaire d’insister quand-même sur ces quelques faits saillants :

• Elles vivent les conséquences de la diminution des services publics destinés aux jeunes et aux enfants dans une proportion de 27% ;

• Elles s’appauvrissent ou observent l’appauvrissement de leur communauté dans une proportion de 26% ;

• Elles vivent le recul de l’égalité entre les femmes et les hommes dans une proportion de 15% ;

• Elles font plus de travail invisible dans une proportion de 5%.

Les femmes vivent d’importantes dégradations de leurs conditions de vie.

Ce que l’analyse féministe fait ressortir

Les politiques d’austérité entravent la capacité des femmes de réaliser leurs droits économiques, sociaux et culturels, tels que le droit à la sécurité sociale et aux assurances sociales, le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant, le droit à une alimentation suffisante, le droit à un logement suffisant, le droit de chaque personne à la santé physique et mentale, le droit à l’éducation (Fortin-Legris, 2005).

En effet, les politiques d’austérité limitent la capacité des femmes de satisfaire leurs besoins de base, elles augmentent leur chômage et diminuent leur autonomie économique. Pour certaines, cet appauvrissement général a l’effet de les maintenir en situation de violence conjugale. De plus, les politiques d’austérité diminuent l’accessibilité aux services publics dont elles, leurs enfants ou leurs parents ont besoin, ce qui contraint les femmes à consacrer plus de temps pour soutenir bénévolement leur famille. Cette augmentation de leur travail invisible, conjointement à leur appauvrissement, les ramènent dans l’espace domestique. Éloignées de l’espace public, elles vivent plus d’isolement, ce qui affecte directement leur santé mentale.

La contrainte économique et l’obligation de travailler bénévolement pour soutenir la famille exercent une pression sur le groupe social des femmes vers sa position historique traditionnelle, une position domestique dévalorisée économiquement, politiquement et socialement. Parce qu’elles sont des femmes, elles sont contraintes de vivre cet assujettissement. Il s’agit de discrimination sexiste. De plus, ces rapports de force s’inscrivent dans le cadre des violences faites aux femmes, puisqu’ils causent aux femmes un préjudice, les privent de leur liberté dans la vie publique comme dans la vie privée, les obligeant à faire des choses qu’elles n’ont pas choisies. Dans ce contexte global, elles sont plusieurs à développer des stratégies pour maintenir leur autonomie, pour exercer leur libre arbitre, que ce soit en créant des projets visant à subvenir à leurs besoins de base, que ce soit en luttant contre les politiques d’austérité ou en refusant de jouer les rôles sociaux qui les contraignent. L’R continuera pour sa part à porter la voix des femmes rejointes par les centres de femmes, pour que cessent toutes les violences envers les femmes, pour améliorer leurs conditions de vie et pour réaliser l’égalité de fait pour toutes.

FORTIN-LEGRIS, Pierre-Louis et Marie-Ève RANCOURT. Guide d’introduction aux droits économiques, sociaux et culturels : connaître nos droits pour en revendiquer le respect. Ligue des droits et libertés, Montréal, 2015, consulté le 17 janvier 2016, [en ligne], [http://liguedesdroits.ca/wp-content/fichiers/pac-guide_intro-duction_desc2.pdf].

LIGUE DES DROITS ET LIBERTÉS (LDL), Les droits économiques, sociaux et culturels : nature, contenu, obligation des états, applicabilité internationale et nationale, 1998, consultée le 14 mars 2016, [en ligne], [http://liguedesdroits.ca/wp-content/fichiers/PAC-1998-09-00-DESC.pdf].

L’R DES CENTRES DE FEMMES DU QUÉBEC, Reculs des conditions de vie des femmes au Québec, en 2015, avril 2016, Montréal, 55 p.

1- http://www.fafmrq.org/2016/06/08/une-societe-en-mal-de-justice-sociale/

2- http://www.fafmrq.org/wp-content/uploads/2016/06/Bul-411-p5-6.pdf

3- http://www.rcentres.qc.ca/public/reculs-des-conditions-de-vie-des-femmes-au-quebec-en-2015.html

Valérie Gilker Létourneau

Co-coordonnatrice de L’R des centres de femmes du Québec.

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