Édition du 17 décembre 2024

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Canada

Reconnaître le génocide et le déni de l'État canadien

Une entrevue avec la juriste et universitaire Crie Tamara Starblanket. Tiré de la revue Canadian Dimension

Tamara Starblanket est une NehiyawIskwew (femme Crie) de la nation Crie Ahtahkakoop dans le cadre du traité 6. Elle est interviewée ici par Aziz Choudry, un écrivain et universitaire basé à Johannesburg, en Afrique du Sud, sur l’histoire du génocide au Canada, les échecs de la réconciliation et l’impératif de la décolonisation. Aziz Choudry est décédé le 26 mai dernier à Johannesburg, peu de temps après avoir réalisé cette entrevue.

Tamara Starblanket est une NehiyawIskwew (femme Crie) de la nation Crie Ahtahkakoop dans le cadre du traité 6. Elle détient un LLM de l’Université de la Saskatchewan et un LLB de l’Université de la Colombie-Britannique. Elle est la doyenne des études au Native Education College. Elle a remporté le prix Nora and Ted Sterling Prize In Support of Controversy pour son livre Suffer the Little Children : Genocide, Indigenous Nations and the Canadian State . Elle est également invitée sur les terres et les voies navigables des nations xʷməθkwəy̓əm (Musqueam), Skwxwú7mesh (Squamish) et Səl̓ílwətaʔ / Selilwitulh (Tsleil-Waututh).

Elle est interviewée ici par Aziz Choudry, un écrivain et universitaire basé à Johannesburg, en Afrique du Sud, sur l’histoire du génocide au Canada, les échecs de la réconciliation et l’impératif de la décolonisation.
Aziz Choudry est décédé le 26 mai dernier à Johannesburg peu de temps après avoir réalisé cette entrevue. Originaire de Nouvelle-Zélande, il s’est joint à l’Université McGill en 2008 et était professeur agrégé au Département d’études intégrées en éducation jusqu’à récemment, lorsqu’il est devenu professeur invité à la Faculté d’éducation de l’Université de Johannesburg.

Entrevue de Tamara Starblanket par Aziz Choudry 5 mai 2021(1)

Cela fait maintenant quelques années que ClarityPress a publié votre livre, Suffer the LittleChildren : Genocide, Indigenous Nations and the Canadian State. Qu’est-ce qui vous a amenée à écrire ce livre ?

Les pensionnats et les systèmes de protection de l’enfance ont dévasté ma famille et mon entourage, c’est ce qui a inspiré la recherche juridique de ma maîtrise en droit, qui est ensuite devenue le livre. Ma famille a subi des déplacements forcés inhumains de la part du gouvernement. Plus de quatre générations ont subi les transferts d’enfants par le gouvernement dans les pensionnats et les systèmes de protection de l’enfance. En termes plus exacts on devrait vraiment et absolument nommer ces deux systèmes des camps de concentration institutionnels. Nos enfants ne sont pas des "individus", mais des enfants des Original Nations of our Great Turtle Island.

Dans le cadre du plan visant à détruire leurs identités nationales, les jeunes subissent un lavage culturel et sont reconfigurés selon la vision prévue par le gouvernement. Comme l’a déclaré John A. MacDonald à la Chambre des communes en 1883 au sujet de l’influence soi-disant "sauvage" des parents autochtones : "Les enfants indiens devraient être soustraits le plus possible à l’influence de leurs parents, et la seule façon d’y parvenir serait de les placer dans des écoles industrielles centralisées de formation où ils acquerront les habitudes et les modes de pensée des hommes blancs ; ainsi, après les avoir tenus à l’écart de l’influence parentale pendant un certain nombre d’années jusqu’à la fin de leur éducation, ils pourront retourner dans leur bande avec l’état d’esprit, l’éducation et l’industrie qu’ils auront acquises dans ces écoles." Le déferlement de violence et d’endoctrinement forcé du gouvernement et de l’église, en somme, la destruction, est manifeste dans ma famille et dans nos Nations à une échelle énorme.

Nos Nations dépendent de nos enfants pour transmettre nos langues, notre spiritualité, nos cultures, les lois concernant nos sociétés et nos relations entre nous et, surtout, avec nos terres, ainsi que notre identité et notre responsabilité. Cependant, au lieu de cela, des modèles massifs de traumatisme et de confusion, de chagrin et de douleur sont transmis, ce qui entrave gravement la capacité de nos Nations originelles à se perpétuer pour les sept prochaines générations.

Le traumatisme génocidaire des pensionnats a façonné la vie de mes grands-parents et des générations suivantes de ma famille. Mes grands-parents maternels et paternels, ma mère, mes tantes et mes oncles ont été placés dans des pensionnats et des systèmes de protection de l’enfance de Thunderchild, Birtle et Prince Albert et ont subi des traitements inhumains et brutaux, ont subi la famine, de la violence sexuelle, du travail forcé et de la torture. Les effets sur mes grands-parents, ma mère, mon père, mes tantes et mes oncles ont été dévastateurs.

Ma génération a été témoin des effets à long terme du génocide causé par ces transferts forcés. Les traumatismes émotionnels, mentaux et corporels qui ont débuté dans le système des pensionnats ont affecté toutes les générations de ma famille. Sans que mes parents, mes tantes ou mes oncles n’y soient pour rien, le traumatisme était la norme. En l’espace de neuf ans, ma mère, mon père et mes frères et sœurs sont décédés - en bref, le génocide a étouffé leur vie et leur droit inhérent à la naissance d’être des Nehiyaw heureux et en santé.

Tout en vivant un immense chagrin et la perte de ma propre famille, j’ai vu d’autres familles subir ce traumatisme génocidaire. Dans ma jeunesse, il était douloureusement évident que les non-autochtones n’avaient pas les mêmes problèmes. J’ai intériorisé les théories déshumanisantes de la domination et la violence raciales. Je n’avais pas confiance en moi. J’ai souffert de traumatismes complexes, d’endoctrinement, de peur, de dégoût de soi, d’anxiété, d’insécurité, de culpabilité du survivant, d’un intense chagrin et d’une grande confusion quant à mon identité nationale, ma spiritualité et ma culture Nehiyaw.

Un jour, j’ai commencé à remettre en question et à examiner de plus près ce traumatisme génocidaire et sa source à une échelle beaucoup plus grande. Pendant que j’entreprenais mes études postsecondaires et juridiques, j’ai examiné quels en étaient les fondements. L’orientation de mon enquête a été dirigée vers l’oppression gouvernementale et la réappropriation illégitime de nos terres non cédées, de nos cours d’eau, nos montagnes, notre espace aérien et nos minéraux.

Nous avons la responsabilité de protéger la vie, et pas seulement la vie humaine sur cette Terre pour les générations futures. Ainsi, ma vie et celle des autres peuples autochtones sont affectées par l’intention du gouvernement de détruire nos identités nationales en volant nos terres et en assimilant nos identités dans l’État canadien par le biais des effets de ses programmes génocidaires. Tant que nous ne comprendrons pas toutes les implications de l’intention de l’État de détruire nos nations, nous continuerons à subir les conséquences catastrophiques de ce processus.

Pouvez-vous expliquer pourquoi il est important de comprendre l’histoire et la politique qui sous-tendent la définition du génocide ?

Le Canada se dépeint comme un État humanitaire pacifique, et cette image est essentielle à son image sur le plan international et national. Mais lorsqu’on examine les dessous de cette façade, l’histoire et la politique racontent une histoire différente. Par exemple, ce que j’ai décrit précédemment n’est pas compris comme un "génocide", en raison des manœuvres de l’État canadien pour masquer la réalité du génocide en formulant la question à l’aide de mots qui entravent et qui occultent tels que "abus", "mauvais traitements" et "négligence" physiques, émotionnels et sexuels. Le Canada transfère de force nos enfants vers le système de protection de l’enfance en raison des traumatismes, de la douleur et de la dévastation engendrés par le système des pensionnats. Les conditions qui en découlent, telles que le traumatisme parental, deviennent la base des renvois massifs en cours aujourd’hui. Mais cela n’est pas considéré comme un génocide en raison des jeux de mots auxquels se livre l’État canadien.

Il ne suffit pas de dire qu’il existe un traumatisme "intergénérationnel". Il faut le nommer et le décrire pour ce qu’il est. Les enfants sont encore en train de développer leur cerveau, leur identité et leur langue à l’âge de 4-5 ans. Au lieu de profiter de parents affectueux et d’apprendre les traditions et les langues de leur propre peuple, les enfants des peuples autochtones ont subi une incroyable agression de terreur coloniale déshumanisante. Les enfants terrorisés par des actes brutaux n’auront pas eu la chance de se forger une saine et humaine identité Nehiyaw. Au lieu de cela, ils transmettront le traumatisme, la confusion et le chagrin aux futures générations de peuples autochtones et, en fin de compte, à nos Original Nations.

Les Travaux préparatoires (le compte rendu officiel des négociations de la Convention des Nations Unies pour la prévention et la répression du crime de génocide - Convention des Nations Unies sur le génocide) soulignent l’importance de la survie d’un groupe humain pour ses enfants. Les Nations autochtones dépendent de la génération volée d’enfants pour leur continuité dans le futur. Lorsqu’on l’examine de ce point de vue, toutes les ramifications sont évidentes. Les Nehiyaw et les multiples nations ne peuvent transmettre leurs spiritualités, leurs cultures, leurs langues, leurs responsabilités envers leurs terres à cause de la " profonde destruction du corps et de l’esprit " massivement répandue, qui a connu son origine dans le système des pensionnats et qui persiste maintenant dans le système de protection de l’enfance. Les transferts forcés sont une abomination criminelle dont le sens doit être compris s’il doit y avoir peut-être un jour un changement authentique et substantiel. Le phénomène catastrophique de suicides, de dépendances, des taux d’incarcération, de pauvreté et de désespoir collectif de nos nations sont évidents pour tous. Il est temps de retourner l’objectif vers l’État auteur du génocide.

Le fait que la définition du génocide culturel ait été supprimée révèle l’intention politique et l’histoire de la participation du Canada à la rédaction de la convention des Nations Unies sur le génocide. Premièrement, le Canada a joué un rôle déterminant dans la suppression de la définition du génocide culturel. C’était le seul point avec lequel il avait manifesté son désaccord avec véhémence. Il a menacé d’émettre une "réserve" si le génocide culturel était maintenu dans la convention des Nations unies sur le génocide. Le Canada, le Royaume-Uni et d’autres pays ont réussi à supprimer ce crime, et le Canada a par la suite recadré la version finale acceptée en droit international dans ses lois nationales. En 1965, le comité de propagande haineuse était conscient que le système des pensionnats constituerait un acte de génocide, sur la base de la recommandation de l’Association canadienne des libertés civiles. En 1970, le gouvernement canadien a exclu du Code criminel les articles 2 (b), (d) et (e), des actes de génocide dans lesquels il s’est ouvertement engagé pendant plus de 127 ans.

Qu’est-ce qui est en jeu ici ? Quel a été le rôle de l’État canadien dans la manière dont le génocide a été défini ? Quelles en sont les implications pour l’autodétermination des peuples autochtones ?

Le Canada revendique l’appropriation de nos terres non cédées, mais il ne peut pas le prouver. Ce fait est évident au vu de la question posée par le Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD) au Canada en 2012. (1) Le Comité CERD a demandé au Canada de fournir la preuve juridique des titres territoriaux non cédés, et l’État n’a toujours pas fourni cette preuve en 2021, près de neuf ans plus tard. Les lois et les politiques qui forcent le déplacement de nos enfants concernent nos terres et la manière d’obtenir la domination sur les terres, les minéraux, les eaux et l’espace aérien. Le gouvernement a tenté d’imposer une dénationalisation forcée, également connue sous le nom de génocide, par un endoctrinement forcé massif et généralisé. Il ne fait aucun doute que la violence intense et les afflictions déshumanisantes répétées dans leur cerveau en développement endoctrinent les jeunes de force. Par conséquent nos enfants ne comprennent pas leurs responsabilités, leurs langues, leurs cultures, leur spiritualité, leurs lois, leur lien direct avec nos terres et leur devoir de protéger nos terres pour les générations futures.

Ce sont des crimes d’État et ils devraient être reconnus comme tels. Le débat sur la clause coloniale et la suppression du génocide culturel ont un double effet sur le crime de génocide et la compréhension des peuples. La clause coloniale révèle que la colonisation des terres et territoires d’autres peuples est par nature une entreprise criminelle. Les commentaires des représentants des États de Yougoslavie, de Pologne, de l’Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS) et de la République Socialiste Soviétique d’Ukraine (RSSU) en 1948 démontrent que les territoires coloniaux ont été laissés vulnérables avec la suppression du génocide culturel de la Convention des Nations Unies sur le génocide. L’État continue de transférer de force nos enfants dans ce cadre colonial destructeur. Le Canada est le produit de son imagination humaine coloniale. Il s’est créé à partir du génocide et de la tentative de génocide de nos nations sur la Great Turtle Island. Il se nourrit de nos terres, de l’oppression et de la dévastation qui perdure, dont nous sommes forcés de vivre les effets au quotidien. Ma recherche juridique reformule l’État et la société canadienne en tant que corps politique prédateur. L’État est un prédateur parce qu’il s’attaque à nos terres et à nos peuples pour se façonner lui-même. Il emploie de nombreuses personnes dans cette société dans les domaines de la justice pénale, du travail social, de la santé, de l’exploitation des ressources, de l’éducation, du droit et d’autres domaines en se nourrissant de la terre et des peuples et nations autochtones sous occupation coloniale.

Les implications pour l’autodétermination des peuples et des nations autochtones sont énormes si l’État poursuit sa trajectoire consistant à dévorer complètement nos terres et nos identités dans son cadre étatique. Connu aussi sous le nom d’assimilation, qui est un euphémisme pour génocide, la plupart des gens ne savent pas que le gouvernement a presque mis en œuvre le Livre blanc de 1969. (2) L’État bénéficie des effets du génocide parce qu’il utilise les peuples autochtones pour confectionner un consentement. En d’autres termes, le gouvernement a endoctriné les peuples autochtones en attaquant de toutes parts l’identité nationale des enfants, qui pensent et parlent désormais selon une vision du monde et une langue occidentales. L’imposition de cet endoctrinement a provoqué des conséquences désastreuses du fait que les accords sont conclus sous la domination de la politique de revendications territoriales ainsi que d’autres politiques et lois d’occupation. Sans réflexion critique ni examen attentif des implications pour les générations futures, les accords conclus dans le cadre des politiques d’État les conduisent à céder et abandonner leurs terres et leur mode de vie. L’État colonial tire ainsi profit de ses programmes de génocide.

Le génocide doit cesser sous toutes ses formes. Les nations autochtones et la Couronne doivent mettre en œuvre les traités conformément à leur esprit et à leur intention d’origine. Nous sommes des nations, pas des sous-parties de l’État canadien. Nous avons promis de vivre en paix. Nous ne violons pas la paix, mais le colonisateur le fait à chaque occasion. Deuxièmement, le colonisateur doit nous laisser tranquilles et rester de son côté. Nous savons ce qui doit être accompli pour guérir nos nations.

Dans Suffer the LittleChildren, vous remettez en question l’intention et la politique de L’État canadien concernant sa politique et ses pratiques de réconciliation, en écrivant que :"Il aurait été considéré comme absurde pour tout autre régime s’engageant dans des crimes de génocide contre les enfants d’autres peuples, d’éluder ses crimes au niveau international et national, puis, en tant qu’auteur du crime, de mettre en place un autre processus destructeur prétendant enquêter sur la question et chercher à la résoudre. Mais telle était la soi-disant Commission de vérité et de réconciliation, un organisme créé par le gouvernement, auteur de ces crimes." (p. 274) Pouvez-vous nous en dire plus sur la politique, le langage et le cadre de la "réconciliation" et les problèmes qu’elle pose ?

Le Canada est l’auteur du crime de génocide. Depuis plus de 127 ans, l’État continue de nous retirer nos enfants. Le gouvernement a créé les conditions atroces concernant les transferts forcés en cours dans le système de protection de l’enfance. La création d’une législation telle que le projet de loi C-92 et la mise en place de ce système monstrueux sous le couvert de la " réconciliation " ne répondent pas à la norme du consentement préalable libre et éclairé de nos nations. La loi viole notre compétence inhérente et ne fournit pas les ressources appropriées pour guérir et briser le cycle qui permettrait de se remettre du génocide, du traumatisme intergénérationnel et des effets de ces crimes sur la capacité de nos nations à se perpétuer. La vérité concernant le crime de génocide est balayée par la rhétorique et le jeu de mots de la réconciliation.

En vertu du droit international, un auteur de génocide ne peut pas enquêter sur lui-même en créant un soi-disant processus de vérité et de réconciliation. Le gouvernement canadien a violé le droit international coutumier, l’article 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités, en ne faisant pas preuve de transparence quant à la non-inclusion d’éléments essentiels de la Convention des Nations Unies sur le génocide dans son code pénal national. Il a omis les articles 2 (b) portant atteinte grave à l’intégrité physique et mentale ; (d) empêchant les naissances au sein du groupe ; et (e) transférant de force les enfants du groupe à un autre groupe. Il a redéfini la Convention des Nations Unies sur le génocide et l’a rendue inapplicable dans l’État canadien. Il est clair que le gouvernement a omis les actes de génocide auxquels il s’est livré avant et pendant la rédaction de la Convention des Nations Unies sur le génocide de 1946 à 1948 et après qu’elle soit devenue loi en 1948. Il serait illégal ailleurs dans le monde qu’un État se livre au crime de génocide pendant plus d’un siècle et qu’il mette ensuite en place un processus d’enquête sur lui-même dans le cadre d’une CVR. Le comportement de l’État est un crime international et doit être considéré comme tel.

La "réconciliation" n’est pas un processus pacifique. C’est un sophisme qui projette l’illusion que " nous ", c’est-à-dire les " Canadiens ", avons résolu le problème et que c’est ainsi que nous réparons les " torts ". Nous pouvons ajouter ce mot à la liste des mots déjà établis depuis longtemps qui minimisent la conduite génocidaire de l’État. Il dissimule une intention mortelle et destructrice d’anéantir nos nations et de voler nos terres. Le terme est un oxymore le plus total. Il est dénué de sens.

Quel genre d’impact votre livre a-t-il eu ? Je sais que vous avez donné un certain nombre d’exposés et de conférences au cours des dernières années et qu’en 2020, l’Université Simon Fraser vous a décerné le Nora and Ted Sterling Prize In Support of Controversy. Quelle a été la réaction au livre et aux arguments que vous y avez avancés ?

Étonnamment, l’accueil a été positif. Il y a plusieurs critiques. Elles sont charmantes et expriment avec respect l’importance cruciale de l’ouvrage. L’une d’entre elles en particulier, rédigée par le Dr Alfred de Zayas, avocat et expert en droits de l’homme, m’a stupéfaite. Au début de la critique, il écrit :

Il existe des livres qui devraient nous faire réfléchir et réévaluer notre façon de considérer l’histoire et son impact sur le monde d’aujourd’hui. Parmi ces livres, citons le révolutionnaire American Holocaust de David Stannard (Oxford 1992) et la thèse de Tamara Starblanket qui révèle le processus continu d’extinction physique et culturelle des Nations Originaires d’Amérique du Nord. Le potentiel de ces livres serait atteint si les historiens et les médias s’engageaient à présenter la vérité dans son intégralité et dans le bon contexte et s’ils abandonnaient les doubles standards, l’indignation sélective et l’arme la plus efficace : le silence. La Damnatio memoriae ne s’est pas produite seulement à l’époque romaine, elle a été pratiquée par toutes les civilisations. La nôtre perpétue la tradition par la censure directe et indirecte.

C’est un honneur absolu de voir cette recherche juridique examinée et comparée au travail de David Stannard dans son ouvrage American Holocaust et d’avoir le soutien d’autres universitaires de renom dans les domaines de l’éducation, de l’histoire, du droit et de la criminologie. Ce soutien est exceptionnel. C’est un immense honneur de recevoir le prix Sterling. Nous devons commencer à affronter la vérité et cesser d’occulter l’horreur du génocide. Remporter ce prix est un pas positif dans la direction de la confrontation avec la réalité.

Outre le mot "réconciliation", un autre mot dont nous entendons beaucoup parler est "décolonisation". Certaines universités et autres organisations et institutions parlent de leur engagement en faveur de la décolonisation, qu’il s’agisse de la connaissance ou d’un autre aspect. Pouvez-vous aborder la politique et les implications, les usages et les abus de la "décolonisation", y compris dans le cadre éducatif ?

La décolonisation appartient aux Original Nations of Great Turtle Island. Les universités postsecondaires sont des institutions coloniales. Que signifie s’engager à décoloniser dans une université postsecondaire ? C’est un autre processus oxymore. Les institutions cooptent la discussion et en font une entreprise académique. Elles aussi se nourrissent du génocide créé par l’État canadien. Des millions de dollars sont consacrés à la recherche sur la " réconciliation " et la décolonisation, des sommes qui devraient aller aux Original Nations, et non aux établissements d’enseignement.

Plutôt que de détourner la discussion sur la décolonisation, les universités devraient examiner de manière critique leur complicité dans le génocide. Le "langage de la décolonisation" présente cette discussion sous la forme d’un soi-disant examen critique du "privilège blanc". Le privilège est un autre mot qui mérite une mention spéciale ici. Il est défini comme "un droit, un avantage ou une immunité appartenant à une personne ou à une classe". Qu’est-ce qui a conduit à ce soi-disant droit, avantage ou immunité ? L’académie devrait poser cette question cruciale, mais elle ne le fait pas. Nier la vérité immunise le colonisateur contre la possibilité de discuter de la réalité.

La seule raison de ce soi-disant privilège est le génocide, qui se poursuit aujourd’hui. Il n’est pas impossible de discuter de la complicité dans le génocide dans le milieu universitaire ; il suffit d’en avoir la volonté. Le système éducatif joue un rôle immense dans la création d’un dialogue sincère ou dans la perpétuation de l’ignorance.

Traduction André Frappier
Avec la courtoisie de la revue Canadian Dimension
https://canadiandimension.com/articles/view/reckoning-with-genocide-and-the-denialism-of-the-canadian-state

Notes
(1) Soumission de la Nation Crie d’Onion Lake au Comité pour l’élimination de la discrimination raciale Quatre-vingtième session (13 février-9 mars 2012) Assemblée générale des Nations Unies Comité pour l’élimination de la discrimination raciale (CERD). Le vice-président Noureddine Amir, lors de la quatre-vingtième session du CERD à Genève en février 2012, a demandé au Canada : " Sur quelle base juridique le Canada revendique-t-il un titre sous-jacent sur les terres autochtones ? "
La politique du Livre blanc de 1969 était une tentative de se débarrasser des traités et d’assimiler les peuples "indiens" et leurs terres dans la société et l’État canadiens. Voir : le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (1969) ; Déclaration du gouvernement du Canada sur la politique indienne, (Ottawa, ON : Imprimeur de la Reine, 1969) ; Harold Cardinal, The Unjust Society (1ère édition, 1969) ; pour la réponse des peuples autochtones au Livre blanc. Cardinal a écrit qu’il s’agissait "d’un programme à peine déguisé d’extermination par l’assimilation".
(2) Voir https://www.newswire.ca/news-releases/chiefs-reject-canada-s-child-welfare-law-bill-c-92-fails-to-address-first-nations-jurisdiction-873030719.h

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