Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Le Monde

Reconnaissons notre vieille amie la taupe…

Le vieux Marx disait que « Toute économie se réduit en dernière instance à une économie du temps » (je cite de mémoire). L’économie capitaliste se réduit en dernière instance à un vol du temps de travail non payé, soit sous la forme du temps de travail salarié non payé – le temps producteur de plus-value, – soit sous la forme du temps du travail domestique gratuit – que le patriarcat impose principalement aux femmes – et qui contribue à baisser la valeur de la force de travail.

photo et article tirés de NPA 29

En temps normal, l’immense majorité des exploité.e.s et des opprimé.e.s subit cette réalité, et nombreux sont celles-ceux qui la trouvent même incontestable, voire nécessaire. Il va de soi que cette soumission est indispensable à la stabilité du capitalisme.

Or, la lutte contre la pandémie tend à modifier la situation.

On peut distinguer trois niveaux :

Le premier niveau est celui des personnels de la santé, de l’alimentation, du ramassage des ordures, du nettoyage, etc. Là, pas de crise du sens du travail, au contraire : les gens savent parfaitement que leur activité est utile à la société, indispensable même.

Par contre, ils ont une conscience de plus en plus aiguë du fait que la société n’investit pas suffisamment dans cette activité vitale, que leurs revenus sont trop bas, qu’il n’y a pas assez de personnel, etc. Bref, ils et elles touchent du doigt le fait que le capitalisme est bâti prioritairement sur la sphère productive de valeur abstraite, la sphère des soins étant pour lui secondaire.

Le deuxième niveau est précisément celui des gens obligés de travailler dans des secteurs non essentiels parce que ces secteurs sont productifs, et qui se voient du coup exposés à la maladie.

Pour cette partie de la classe travailleuse, la situation tend à dissiper toutes les illusions sur le sens du travail et la hiérarchie au sein des classes populaires : en dernière instance, ces salariés ne sont que de la « chair à patrons » (comme disent les camarades italiens) – des appendices des machines qu’on ne peut pas déplacer, de sorte que le télétravail est impossible..

Le troisième niveau est celui de celles et ceux qui sont confiné.e.s en télétravail, ou qui ne peuvent plus exercer leur travail (les femmes de ménage par exemple, ou les employé.e.s du commerce).

Le confinement est évidemment une épreuve, dont la pénibilité augmente quand le logement est petit, qu’on est seuls, ou avec un homme violent, ou avec des enfants, sans terrasse ni jardin, etc. Cependant, même en cas de contrôle pointilleux du télétravail, on est pour ainsi dire dans le temps face à soi même, aux proches, aux tâches quotidiennes, et cela soulève des questions de fond sur le sens de cette « économie du temps » qui s’appelle le capitalisme.

Nos gouvernements luttent contre la pandémie selon des stratégies capitalistes néolibérales.

Je veux dire par là que leur objectif est de juguler la maladie en nuisant le moins possible à la production et en évitant au maximum la remise en cause de l’austérité dans le secteur reproductif (les soins). En d’autres termes, ils veulent la juguler sur le dos des 99%…

La contradiction de cette politique est que, dans les trois secteurs cités, elle favorise une prise de conscience de la brutalité et de l’absurdité du système que les possédants s’acharnent à défendre.

Je mets ma main à couper que ce sont des considérations de ce genre – des considérations sur la nécessité d’un encadrement social strict par la discipline du travail – qui amènent à dénoncer celles et ceux qui « abusent du chômage économique ».

Mais les appels de ce genre ne résolvent évidemment rien, au contraire : ils approfondissent la crise d’hégémonie capitaliste.

Je ne sais pas comment tout cela peut évoluer, mais il se passe quelque chose de très profond, et c’est bien intéressant… Pour citer encore une fois le vieux barbu :

« Nous reconnaissons notre vieille amie la taupe… »

Daniel Tanuro (membre de la Gauche Anticapitaliste Belgique)
https://www.anti-k.org/

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