Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Opinion

Réaction au texte Avec une brique et un Facal

J’aimerais réagir ici au texte de Martin Angers, publié dans les pages de votre site, et portant sur les récentes accusations portées par Joseph Facal contre Québec solidaire. Le fait que Martin Angers ait pris la peine de réagir ainsi aux propos de Joseph Facal est des plus louables. Ce Joseph Facal est vraiment un démagogue de bas étage.
Cela dit, je crois également qu’en voulant ainsi s’objecter au discours de ce démagogue, Martin Angers a dû même coup eu tendance à tomber lui-même dans certains raccourcis qui sont plutôt déplorables. Lui-même a plutôt tendance à user d’arguments réducteurs et simplistes quand il s’agit de décrire ce qu’il appelle l’extrême gauche.

L’extrême gauche serait, selon lui, de nature extrémiste et ne s’enfargerait pas d’appuyer des revendications, comme le fait Québec solidaire. S’il est vrai qu’il y a certains groupes qui peuvent effectivement aller dans ce sens, il est aussi vrai que ces groupes (tel le PCR) n’appuient généralement pas Québec solidaire et appelaient plutôt, lors des dernières élections, à l’annulation. Face à Québec solidaire, ainsi que les différentes mouvances qui en font partie ou y sont associées, ces groupes ont plutôt tendance à avoir une attitude très condescendante et hargneuse. J’en sais moi-même quelque chose pour avoir été souvent leur cible. Mais pour moi, ces groupes sont surtout une caricature de l’idéal qu’ils prétendent défendre.

Oui, les communistes et les groupes d’extrême gauche, ou de gauche plus radicale, sont pour un changement radical. Oui, ils sont pour un autre type de société, en rupture avec le capitalisme. Est-ce que cela en fait pour autant des gens qui se refusent à toute forme de réforme ? Est-ce qu’ils s’opposent tout le temps, et en toute circonstances à toute forme de propriété privée, comme le texte de Martin Angers le laisse pas mal entendre ? Est-ce qu’ils sont contre le fait d’imposer plus largement le secteur privé, soit disant parce qu’ils ne croient aux vertus de ce secteur ? Est-ce qu’il se refusent eux-mêmes à participer pour autant au processus électoral ? Non et il y a du reste pleins de faits pour le prouver.

Le Parti communiste du Québec (PCQ), pour un, est lui-même un parti enregistré auprès du DGEQ. Comme bien d’autres groupes, qu’on catalogue d’extrême gauche, il est associé depuis le début à cous les efforts pour bâtir l’unité des forces de gauche et qui commencèrent avec la fameuse campagne électorale de Paul Cliche en 2000, dans le comté de Mercier, à Montréal. Les gens n’ont d’autre part qu’à lire notre programme pour voir que même les communistes conçoivent la possibilité que l’entreprise privée, ne serait-ce que de manière transitoire, puisse effectivement continuer, y compris sous le socialisme, avoir une place. À condition bien sûr qu’elle respecte les lois en vigueur. Alors, il ne serait que normal qu’elle puisse aussi avoir une place, sous le capitalisme.

Ils peuvent aussi aller relire Lénine (même s’il est de plus en plus difficile de se procurer de ses livres ; il reste au moins l’Internet) et ils verront aussi que même Lénine avait une position pas mal plus nuancée que ce que Martin Angers laisse entendre. La réalité des choses vient également confirmer mes dires. En URSS, il est tout à fait faux de prétendre que l’entreprise privée fut éradiquée dès le départ et de manière totale et définitive. Sans vouloir d’aucune manière masquer les très graves problèmes qui pouvaient exister en URSS, c’est quand même pas comme cela que cela s’est passé et tel n’était pas non plus les objectifs des bolcheviks, sous Lénine, avant qu’ils prennent le pouvoir.

L’idée qu’au lendemain d’un grand soir on puisse, d’un seul coup, comme avec une baguette magique, se débarrasser de tous les affres d’un capitalisme et de centaines d’années d’exploitation et d’oppression, relève bien plus de l’illusion qu’autre chose. Les khmers rouges, à une certaine époque, ont bien essayé de se débarrasser d’un seul coup de l’argent, de l’entreprise privée, etc …. Mais on sait aussi où tout cela a mené.

Je suis moi-même un de ceux qui négocia et rédigea, au départ, avec d’autres, la partie portant sur les enjeux économiques au sein de la 1ère déclaration de principes de Québec solidaire, laquelle reconnaissait effectivement que le secteur privé pouvait avoir sa part. J’étais alors le chef du Parti communiste du Québec et le suis toujours et … je ne regrette rien par rapport à ce que j’ai fait alors, durant toutes ces négociations qui amenèrent finalement à la création de Québec solidaire. Le lecteur ou la lectrice pourra également consulter ce que nous pouvons lire et promouvoir dans les pages de notre propre site Internet, celui du PCQ (www.pcq.qc.ca), et ils verront alors que cela ne cadre pas forcément avec certaines des idées préconçues et malheureusement très tenaces, ayant toujours cours au sujet de l’extrême gauche. J’invite notamment les gens à consulter les pages portant sur des propositions de relance pour notre propre économie, au Québec, plutôt mal en point actuellement.

Bien des adversaires de Québec solidaire voient actuellement avec inquiétude le développement de cette nouvelle alternative. Surtout à droite de l’échiquier politique, plus particulièrement au sein du PQ. C’est normal parce que Québec solidaire vient remettre en question le monopole que ces gens avaient jusqu’à là sur une bonne partie de l’électorat québécois. Que cela se produise enfin est une bonne chose parce qu’on peut, tous et toutes, voir nous même à quel point ces gens nous ont amené, avec le temps, vers un cul de sac.

Moi-même fut l’objet (une fois encore) de pas mal de démagogie de la part de toutes sortes de soit disant spécialistes de la scène politique ainsi que de soit disant grands défenseurs de la liberté d’opinion, lors des dernières élections, alors que je me présentais comme candidat de Québec solidaire dans l’Acadie et que ces mêmes spécialistes ne pouvaient comprendre qu’ils puissent encore y avoir en 2007 des … communistes, et qu’ils ne comprenaient surtout pas comment un parti comme Québec solidaire pouvait accepter d’être ainsi associé avec de tels individus. Bel exemple de démocratie de la part de ces mêmes soit disant spécialistes de la question de la démocratie … Leur discours faisait plus penser au temps de Duplessis.

Je crois finalement que nous-mêmes, nous qui composons la gauche au Québec, devons plus que jamais démontrer une audace, mais aussi une ouverture d’esprit et, surtout, éviter de tomber dans les piège de nos adversaires. Voilà qui fait entre autre partie de ce que nous appelons faire la politique … autrement.

Québec solidaire a réussi, jusqu’à présent, à aller là où bien peu d’autres mouvements, au Canada anglais, ou ailleurs, ont réussi jusqu’à présent à aller. À preuve, ce qui se passe actuellement en France où la gauche reste encore profondément divisée. Heureusement, au fonds qu’il y a l’Amérique Latine pour nous encourager et nous rappeler, à intervalles réguliers, que OUI la gauche peut s’unir et que OUI on peut effectivement changer les choses.

Qu’on soit capable, chez nous, de passer par-dessus bon nombre de nos vieilles divisions et de nos vieux démons est tout à l’honneur des forces de gauche ici. Québec solidaire n’est pas monolithique. Loin s’en faut. Son membership est plutôt très diversifié et cela peut aller d’une gauche plus modérée à des mouvement et des organisations beaucoup plus radicales mais tous et toutes s’entendent finalement pour tirer dans la même direction, face aux grands enjeux de l’heure. C’était visible lors du congrès de novembre dernier de Québec solidaire. Et ca, c’est déjà beaucoup. Certes, cela ne correspond peut-être pas tellement aux schèmes passés mais, dans le fonds, cela pourrait bien se révéler comme un gage d’avenir.

Fraternellement,

André Parizeau

Chef du PCQ

Mots-clés : Opinion Québec
André Parizeau

Chef du Parti communiste du Québec

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