Aujourd’hui, c’est une autre histoire. La « radicalisation » est identifiée dans le discours public aux jeunes qui vont vers les groupes djihadistes. On met en place des programmes de « déradicalisation », un peu comme si c’était une pathologie.
Cela me met mal à l’aise.
La « radicalisation » djihadiste est un phénomène à combattre, d’un point de vue de gauche. Ce n’est pas un projet qui peut mener à l’émancipation. Son caractère sectaire et violent est rebutant. Mais on doit s’entendre que cette « radicalisation » est en bonne partie une conséquence de tout un processus politique et militaire que subissent des peuples, surtout dans cet « arc des crises » qui traverse l’Asie, le Moyen-Orient, l’Afrique.
Dans ces contrées, les mouvements démocratiques ont été assaillis par des États despotiques appuyés par les États-Unis et leurs alliés-subalternes comme le Canada. On l’a constaté récemment avec le Printemps arabe, notamment. Des régimes sans foi ni loi en Arabe saoudite, en Syrie, en Irak, en Palestine, en Égypte, en Afghanistan, bloquent toute transition démocratique. Pendant ce temps, les États impérialistes versent des larmes de crocodile tout en appuyant la militarisation en cours.
Peut-on être vraiment surpris, alors, que des jeunes, à la fois par désespoir et à la fois par conviction, décident de se lancer dans des aventures armées ?
Au lieu de vouloir les « déradicaliser » et profiler des jeunes révoltés, on serait mieux avisés de changer la situation qui mène à la catastrophe actuelle. Au lieu d’investir des millions de dollars pour les surveiller, leur tendre des pièges et les accuser de tout et de rien, on pourrait essayer de comprendre, de dialoguer et d’inspirer.
Malheureusement, ce n’est pas cela qui va arriver demain matin parmi ceux qui décident à Ottawa, Washington ou Paris.
En attendant, que pouvons-nous faire ? Il faut relancer une solidarité active vers les populations éprouvées. Il faut créer des espaces où des tas de jeunes qui veulent faire quelque chose puissent s’investir dans la solidarité. C’est le cas, par exemple, de la campagne BDS. Voilà un chemin pour avoir un impact, autrement que par une compassion un peu passive.
Également, on peut appuyer des projets, réseaux et mouvements démocratiques dans cette partie sinistrée du monde. Il y a des organisations populaires fantastiques qui luttent avec les femmes, les syndicats, les jeunes. Elles le font la plupart du temps de manière civilisée, sans arme, en confrontant des soldats, des tueurs, des bombardements. Elles représentent la dignité, la détermination, l’avenir d’une démocratie qui n’est pas encore là mais qui pourrait survenir. Vous voulez des adresses ? Regardez, parmi des centaines de projets, la Ligue tunisienne des droits de l’homme, le Forum marocain des alternatives sud, le réseau AIC et le Centre palestinien pour les droits humains en Palestine, l’Initiative irakienne de solidarité de la société civile, et tant d’autres, en Égypte, en Algérie, en Syrie et ailleurs. Certains de ces groupes ont pignon sur rue, d’autres fonctionnent dans une semi légalité. Est-ce facile de les appuyer ? Non. Est-ce possible ? Oui.
Autrement, il faut continuer de combattre l’islamophobie et la discrimination systémiques qui affectent les immigrant-es et les réfugié-es, ce qui leur donne l’impression d’être en marge de la société.
Enfin, il faut confronter ce discours de la « radicalisation ». Il est légitime d’être radical, car notre monde, mené par le 1% et les agents de la pseudo démocratie qui nous (mal)gouvernent, va très mal. Être radical, ce n’est pas une pathologie. Au contraire, c’est une nécessité devant des urgences immédiates.