Tiré de À l’encontre.
Ce dernier pourrait même être invité au prochain sommet de la SADC, où il rencontrera tous les chefs d’Etat de la région. Une reconnaissance qui intervient alors que les Occidentaux et bon nombre de Congolais se demandent toujours comment cet homme dont le nom n’avait jamais été cité dans la liste des dauphins potentiels a soudain été propulsé en première ligne de la course de fond que représente l’élection présidentielle.
L’heureux élu fut d’ailleurs le premier surpris par la nouvelle : informé par le président Kabila lui-même, il fut tétanisé par l’émotion et, selon un témoin de la scène, il faillit, littéralement, « tomber de sa chaise ».
Alors que l’opinion nationale et internationale doutait de la sincérité des promesses réitérées par le président Kabila, seules des personnalités proches du président répétaient qu’il fallait prendre au sérieux ses promesses de respecter la Constitution. A la veille de la date butoir, on nous déclarait encore : « Kabila est le seul à savoir et il ne communiquera sa décision à personne… »
Rien ne filtre
Le président sortant avait cependant préparé l’affaire avec la rigueur d’un plan d’état-major : la loi sur le statut des anciens chefs d’Etat avait été votée, l’armée et les forces de sécurité avaient été encadrées par des hommes de confiance, un aller-retour à Luanda en Angola avait sans doute permis d’informer le puissant allié régional. Enfin, à la veille de l’expiration du délai fixé pour le dépôt des candidatures, le président avait réuni dans sa ferme de Kingakati les principaux responsables du Front commun pour le Congo (FCC), la vaste plate-forme autour de la majorité présidentielle. Téléphones coupés, réseau indisponible : rien ne filtra de ces échanges mais on sait que Kabila avait demandé à chacun d’inscrire sur un papier le nom de ses quatre favoris et que l’ancien Premier ministre Matata Mponyo ou le président de l’Assemblée nationale Aubin Minaku figuraient en tête des listes.
Le lendemain, Kabila annonça lui-même à ses fidèles le nom de son dauphin : Emmanuel Ramazani Shadary, actuel ministre de l’Intérieur ayant succédé à Evariste Boshab. Cet ancien président du parti, qui avait fait toute sa carrière politique dans les rangs du PPRD [Parti du peuple pour la reconstruction et la démocratie], ne figurait pourtant pas sur la liste des successeurs éventuels. L’intéressé lui-même se préparait d’ailleurs à déposer sa candidature comme député, dans l’espoir d’un jour présider l’Assemblée nationale.
Ce qui a joué
D’après plusieurs sources, Joseph Kabila, dans son processus de réflexion mené en solitaire, a tenu compte de plusieurs paramètres. Le critère de fidélité au parti et à sa personne était évident et certains transfuges, des ralliés issus d’autres formations ou d’anciens mouvements rebelles, furent tacitement écartés. « Il a déjà trahi, il trahira encore », répétait souvent Kabila. Ne nous avouait-il pas naguère « n’avoir pas trouvé quinze Congolais auxquels accorder sa confiance » pour se corriger quelques mois plus tard en assurant : « Je crois que j’en ai découvert 12, y compris Judas… »
Un autre critère était géographique : l’Ouest, c’est-à-dire la province de l’Equateur et une partie de Kinshasa, étant jugé favorable à l’opposition et plus particulièrement à Jean-Pierre Bemba, le choix devait plutôt se porter sur un originaire de l’Est, d’autant plus que les swahiliphones représentent 60% de la population du pays. Mais il paraissait peu opportun que le Katanga fournisse un troisième président.
Au Maniéma, qui fut toujours un bastion de la résistance, un certain Emmanuel Ramazani Shadary, qui étudiait alors les sciences politiques au Katanga, était apparu au début des années 1990, au moment de la conférence nationale souveraine. Il allait aider à réorganiser la coordination de la société civile du Maniéma, présidée par l’évêque de Kindu. Membre du parti d’Etienne Tshisekedi, il rejoignit, dès son apparition (2002), le PPRD de Laurent Désiré Kabila et il en gravit tous les échelons.
Cette fidélité de la première heure ne fut cependant pas l’élément déterminant. D’après l’ancien ministre des Affaires étrangères Célestin Tunda ya Kasende, qui fut lui aussi secrétaire général adjoint du parti présidentiel, « Shadary est originaire du territoire de Kabambare, dans le Maniéma et plus précisément du même village que Maman Sifa, l’épouse de Laurent Désiré Kabila, la mère de Joseph et de Jaynet, sa sœur jumelle. Maman Sifa eut, elle aussi, un passé de militante et elle vécut en exil en Tanzanie durant les années Mobutu ».
L’heure du choix
Lorsqu’il a fallu identifier un dauphin originaire du Maniéma, Kabila avait le choix entre plusieurs noms. Le premier était Tambwe Mwamba, l’actuel ministre de la Justice, qui fut tour à tour mobutiste, rebelle du RCD Goma, directeur de l’Office des douanes, ministre des Affaires étrangères, du Plan, de la Justice. Un vétéran, mais trop versatile. Une autre « star » du Maniéma est Kikaya Bin Karubi, aujourd’hui conseiller diplomatique du président, détenteur d’un doctorat, longtemps journaliste en Afrique du Sud. Sous les projecteurs de la scène internationale, il était en concurrence avec l’ancien Premier ministre Matata Mponyo.
Par rapport à ces deux candidats de poids, Tunda ya Kasende rappelle que « nous sommes en Afrique. Ce qui compte, c’est l’aspect familial. Si la maman du chef de l’Etat, sa sœur jumelle Jaynet, son frère Zoé assurent que Ramazani Shadary ne trahira jamais car il est du village, sinon de la famille, en définitive, c’est cet élément-là qui se révèle déterminant. La confiance qui règne entre les familles du village les empêchera toujours de trahir… »
Pour la famille Kabila, qui n’a pas oublié les années de clandestinité et de misère en Tanzanie, il est particulièrement important de pouvoir vivre dans le pays et de continuer à y jouir des fortunes accumulées. S’il est élu et souhaite répondre aux attentes de la population, Shadary devra faire face à cette fortune du clan présidentiel, qui se traduit par des participations dans plus de 80 sociétés et dans des biens mobiliers et immobiliers considérables.
Le dauphin est-il lui-même fortuné ? Lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, il fut frappé par des sanctions décidées par l’Union européenne. Shadary se serait exclamé : « On veut geler mes avoirs en Belgique ? Mais je ne possède rien là-bas, pas même un vélo… »
Avant d’être nommé ministre de l’Intérieur, Shadary menait d’ailleurs un train de vie modeste, logeant avec toute sa famille dans le quartier populaire du Mont Ngafula à Kinshasa. Ses collègues assurent qu’« il a toujours été payé par l’Etat, sans disposer d’une fortune personnelle… » Ce qui devrait, selon certains, le rendre d’autant plus dépendant des moyens de Kabila lui-même.
Outre la confiance de la famille Kabila, Shadary dispose-t-il de soutiens au sein de l’armée ? Seul le très controversé général Gabriel Amisi est lui aussi originaire du Maniéma mais nos interlocuteurs rappellent que « de nombreux soldats viennent de cette province et c’est à Kindu que se furent formées, par des instructeurs belges d’ailleurs, les meilleures unités des FARDC ».
Le dauphin, catholique et père de huit enfants, est présenté comme « issu du Congo profond » Il est aussi un homme à poigne : ses relations avec Kalev Mutomb, le puissant chef de la sécurité, sont excellentes et, alors qu’il était ministre de l’Intérieur, il chargea lui-même l’armée de mater sans pitié la rébellion Kamwina Nsapu dans le Kasaï. Lors des marches pacifiques menées par les chrétiens, il laissa les forces de sécurité tirer à balles réelles sur des manifestants en prière.
Ceux qui le connaissent jugent son surnom « coup pour coup » parfaitement mérité. « Alors que Kabila, lorsqu’il est attaqué, réfléchit longtemps avant de répliquer et se montre quelquefois trop lent, Shadary est plus impulsif : il réagit au quart de tour et cogne sans attendre. » A bon entendeur… (Article publié dans Le Soir, du 13 août 2018. Vous trouverez un article similaire sur le site « Carnet de Colette Braeckman »)
Bastion de la résistance
Choisir un candidat originaire du Maniéma présentait de nombreux avantages : cette province enclavée entre le Sud Kivu et le Katanga, surtout connue pour ses ressources en minerais, fut toujours un bastion de la résistance, qu’il s’agisse de s’opposer aux colonnes d’esclavagistes venues de l’océan Indien, de la conquête coloniale ou même de la lutte pour l’indépendance. A Bukavu, en 1960, de nombreux « évolués » issus du Maniéma étaient d’ardents partisans de Patrice Lumumba.
Après la prise de pouvoir de Mobutu en 1965, des jeunes gens originaires du Maniéma rejoignirent la « zone rouge », le maquis créé par Laurent Désiré Kabila. Lors des deux guerres du Congo, la province opposa une résistance farouche aux envahisseurs soutenus par le Rwanda et l’Ouganda : les milices Mai Mai (des combattants traditionnels) recrutèrent en masse et c’est au Maniéma encore que fut stoppée l’avancée du RCD vers le Katanga et le Kasaï. (C.B., 13 août 2018)
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