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Pierre Mouterde : Josep, est-ce que tu peux reprendre la distinction que tu as faite hier soir entre le populisme communicationnel et le populisme de gauche plus traditionnel, et cela pour montrer leurs caractéristiques communes, mais aussi leurs différences ainsi que les problèmes qu’ils peuvent soulever ?
Josep Antentas : En fait le type de populisme que l’on a connu à travers l’expérience de Podemos consistait à construire un projet politique très axé sur le travail électoral et qui concevait la politique que l’on faisait d’abord comme une stratégie de communication. Dans ce cadre là, la politique, c’est essentiellement de la communication et rien d’autre, tout en essayant parallèlement de créer une espèce de bloc social transversal qui pouvait aller au-delà de la gauche traditionnelle. Je crois que cela a été utile pour sortir la gauche espagnole de l’isolement, elle qui avait abordé la crise (2008-2011) de façon très routinière. Mais finalement, cette idée s’est cristallisée dans un type de projet qui a créé beaucoup de confusion idéologique et qui, au lieu de créer un nouveau bloc social transversal, a permis que se développe une politique plus traditionnelle de « catch all party » tout comme un discours plus modéré orienté vers le centre.
P.M. : Au-delà de la question purement communicationnelle, est-ce que tu pourrais définir plus précisément les caractéristiques de ce modèle sociopolitique qu’incarne le populisme de gauche dans Podemos ?
J.A. : Podemos a défini une sorte de projet politique nouveau, mais dans lequel le seul but était de gagner les élections. Tout était axé sur l’idée qu’il fallait gagner. Cela a permis de rompre avec cette culture d’être minoritaire dans la gauche, cette culture de la défaite. Mais la victoire à laquelle on pense, c’est la victoire électorale. En fait Podemos a une vision très limitée de ce que ça veut dire gagner. Ce n’est pas dire : il nous faut gagner politiquement, dans le sens de parvenir à transformer la société. Non, c’est dire : il faut gagner les élections. La victoire électorale pour moi, c’est une partie d’une victoire plus large, d’une victoire politique, sociale et culturelle. On peut gagner les élections et perdre politiquement. C’est le cas de Syriza. Podemos a développé une vision trop limitée de ce que ça veut dire gagner. À Podemos, tout ce qu’on fait comme parti, est subordonné au fait qu’il faut gagner les élections. Finalement, le parti devient une machine qui s’est dotée d’une tactique de communication sensée être la meilleure pour gagner les élections. Il n’est plus un outil pour mobiliser ou pour faire avancer la conscience politique. Le parti fait le type de choses qu’il faut faire pour gagner les élections. Et sur le plan du discours, cela implique qu’on s’adapte au niveau de conscience. On dit les choses qui marchent pour mobiliser ceux qui sont critiques face à la finance, aux marchés financiers, mais on ne dit pas des choses qui vont au-delà. Donc le parti ne sert pas pour stimuler la conscience politique. Et pour s’adapter, on essaie d’éviter les choses qui sont compliquées. En plus cela s’est combiné à une idée de la politique qui était très autoritaire et qui n’était pas participative ni démocratique. C’était finalement l’idée d’une libération par le haut. C’était une sorte de despotisme qu’on pourrait illustrer par la formule « tout pour le peuple, mais sans le peuple ». Finalement, cela a fait naître un modèle de parti très hiérarchique et très vertical qui a suivi un processus de bureaucratisation très rapide, et sans aucune idée d’auto-émancipation.
P.M. : Justement, cela paraît important, car au départ, on avait tous les yeux tournés vers lui à cause de cela : Podemos paraissait un parti antisystème…
J.A : Oui
P.M. Alors en quoi le populisme de gauche lui a fait perdre cette dimension radicale, de transformation émancipatrice ?
J.A. : Au départ Podemos est né de plusieurs courants politiques qui avaient bien des différences entre eux, mais qui s’entendaient sur l’idée que dans la conjoncture politique espagnole des années 2011/2012, il y avait de la place pour faire des choses nouvelles. Le succès initial de Podemos, c’est qu’il a été perçu comme un parti anti-austérité, mais aussi un parti critique de la politique traditionnelle. La figure d’Iglesias, c’était ça, un type qui critique les banques et qui n’est pas un politicien conventionnel. Ça, c’est la base du succès. Mais le noyau populiste a réussi à imposer ses propres critères et finalement le modèle qui a été créé, on l’a appelé « la machine de guerre électorale ». Finalement, Podemos est un parti qui a grandi au niveau électoral parce qu’il y avait un contexte politique de mal être social, de malaise social, etc., mais le projet émancipateur du parti était très limité. Finalement, c’est un parti qui veut gouverner l’État, qui veut s’insérer dans l’État. Mais pour quoi faire ? Pour faire un peu mieux, pour re-partager un peu la richesse, mais pas pour faire de grandes transformations.
P.M. : La dimension anticapitaliste n’était donc plus là ?
J.A. : Non, non ! Ni même je crois une dimension anti-austérité forte. La dimension anticapitaliste, bien sûr, a été écartée, tout autant d’ailleurs que celle de mener des politiques sous le signe d’un réformisme radical. Finalement, il s’agissait seulement d’arriver au pouvoir pour faire des choses minimales, faire des choses qui sont correctes, mais qui en restent là.
P.M. : Quels conseils tu pourrais donner à un parti comme Québec solidaire pour ne pas tomber dans ces travers-là ?
J.A. : Le premier conseil, c’est de bien étudier les expériences comme Podemos, la France insoumise… parce que s’il y a des erreurs là, c’est mieux de ne pas les répéter une autre fois. Je crois aussi que la question de la démocratie m’apparaît centrale. Si un parti qui veut démocratiser la société est dans son fonctionnement interne plus autoritaire que la société, il y a là une contradiction de fond. L’idée de garder une culture démocratique dans l’organisation, est donc quelque chose de fondamental. Tout comme de garder une culture démocratique par rapport aux mouvements sociaux. Ensuite, il y a l’idée que l’émancipation doit être conçue comme une auto-émancipation, c’est le propre de la pensée de Marx : ce sont les travailleurs qui doivent s’émanciper eux-mêmes. C’est donc une idée qui doit rester centrale. Je crois qu’un parti comme Québec solidaire ou n’importe quel parti de gauche doit défendre ce type d’idées et ne pas tomber dans l’idée d’un socialisme conçu par en haut. Il y a aussi cette autre idée que même si un parti est puissant au niveau électoral, même s’il commence à avoir des élu-e-s, il ne peut pas axer son travail que sur la politique électorale. Ce doit être un parti qui a le projet d’intervenir dans la société, intervenir dans les mouvements sociaux, intervenir aussi dans le monde de la culture et dans le monde intellectuel. Pas simplement de créer un appareil électoral traditionnel. Comme Podemos qui est devenu un appareil électoral, un appareil typique. Nous, dans l’État espagnol, face à ce modèle électoral, on a essayé de contre-proposer l’idée d’un parti-mouvement. Un parti-mouvement cela peut vouloir dire beaucoup de choses, mais ça veut dire essentiellement que le parti, ce n’est pas qu’une machine électorale : on veut bien faire aux élections, on veut bien gagner les élections, mais en même temps le parti doit être une organisation qui travaille dans la société, dans les mouvements, qui sait organiser les mobilisations… et pas seulement mener un travail électoral professionnel. Et après il faut penser à toutes les choses typiques que l’on connaît comme la limitation de mandats, le contrôle démocratique de la direction ou du groupe parlementaire. Toutes les leçons historiques du mouvement ouvrier nous le rappellent. Il y a eu plus d’une fois dans l’ histoire, des partis politiques de gauche qui ont connu des processus de bureaucratisation. Il faut reprendre à notre compte ces leçons pour éviter que cela se reproduise une autre fois.
Messages
1. Québec solidaire s’est-il transmué en un parti populiste de gauche ?, 29 mai 2019, 14:16, par Jean-Philippe Morin
J’ai l’impression que des noms rapportés sont mal écrits, notamment Ludvic Moquin-Beaudry...
2. Québec solidaire s’est-il transmué en un parti populiste de gauche ?, 6 juin 2019, 02:38, par Yves Chartrand
Bonjour Pierre,
Très intéressant ton article et ton questionnement. Je me demande même ce que cela veut dire actuellement populisme de droite et de gauche. J’entendais hier parler de la politique économique actuelle du gouvernement ’’ populiste de droite ’’ au pouvoir en Italie : absence de mesures d’austérité, déficit budgétaire, retraite à 60 ans etc., et cela en rupture avec l’Union Européenne J’avais l’impression d’entendre un parti de gauche ou populiste de gauche au pouvoir en système capitaliste... Est-ce que la référence grauche/droite a encore tout son sens ?
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