Et là, il faut le dire, le résultat a quelque chose de surprenant.
Très bien écrit, très accessible, bourré d’exemples parlant, touchant avec finesse, avec poésie même, aux problèmes les plus actuels, ce texte ne manque pas de qualités. À commencer par une cohérence d’ensemble qui comme le rappelle très justement Jonathan Folco, renvoie à un « projet de société, voire à une ébauche d’un projet politique érigé sur plusieurs piliers », et qu’on pourrait épingler du nom de « social-démocratie du XXIe siècle ».
Ce livre Ne renonçons à rien se fait donc l’écho d’un projet d’ensemble déjà bien articulé.
Pourtant impossible de ne pas ressentir un certain malaise à le lire, et peut-être encore plus si l’on se tient au plus près des efforts de cette « gauche en marche » qui aspire à se faire mieux entendre au Québec.
Car ce qui fait problème, ce n’est pas le côté raisonnable ou prudent —voire réformiste— des propositions avancées. Après tout, en ces temps de néolibéralisme effréné, on pourrait imaginer que c’est peut-être là un passage obligé. Ce n’est pas non plus le manque d’utopie, ou même l’absence de cette fièvre militante, rebelle et audacieuse, si notable lors du printemps Érable de 2012.
Non ce qui fait problème, c’est son caractère lisse et éthéré, apparemment décontextualisé, détaché de toute histoire concrète, vidé de toute logique conflictuelle. Et qui fait qu’on ne voit guère comment pourraient se concrétiser d’une manière ou d’une autre –dans la réalité du Québec d’aujourd’hui— les belles aspirations solidaires et écologistes dont ce livre est porteur.
Comme si dans le récit qu’on esquissait devant nous, il n’y avait que des individus, au mieux des citoyens et des citoyennes désincarnées. Et pas d’acteurs collectifs concrets, de forces sociales en présence, de mouvements sociaux en action, de partis institutionnels aux prises avec le pouvoir, de froids et durs rapports de force. Comme si finalement la politique à laquelle on cherchait pourtant à redonner âme et vie, ne pouvait être que de l’ordre du consensus (vous voyez on s’entend tous sur ce qui semble aller de soi !) et non —aussi et en même temps— de l’ordre du conflit, de la rupture, du rapport de force que l’on développe, oriente en sa faveur. Comme si la politique n’était pas d’abord : "art de la stratégie, art de nommer ses ennemis, de choisir ses alliés, d’accroître ses forces et sa puissance’’.
Bien sûr pour se défendre, Gabriel Nadeau Dubois rappellera qu’il n’a cherché avec ses partenaires de projet, qu’à faire la synthèse la plus honnête qui soit : « c’est un compte-rendu de nos rencontres teinté par notre positionnement et non une exposition de nos positions personnelles, encore moins l’exposition d’un projet idéal/utopique », expliquera-t-il, rajoutant : « Les gens que nous avons rencontrés n’étaient pas des théoriciens de la révolution. C’étaient des mères, des pères, des travailleurs, des retraitées, des étudiantes, des ouvriers, etc. Ils nous ont exprimé des attentes sobres : nous voulons plus de temps en famille, moins de temps dans le trafic, plus de produits locaux, des écoles plus belles, etc. Ce sont des attentes simples, en effet. »
Sauf qu’il oublie un point important : la façon dont, au cours de ces assemblées de cuisine, ces échanges ont été orientés est en fait en grande partie responsable d’un tel résultat. Ne dit-on pas bien souvent que la question telle qu’elle est posée oriente à sa manière la réponse ? Aussi, si l’on demande à chacun de s’attarder d’abord et avant tout aux solutions pratiques qu’il envisagerait touchant à des grandes thématiques comme l’économie, l’éducation, le climat, l’indépendance du Québec, que sera-t-il spontanément porté à faire ? N’aura-t-il pas tendance à reprendre à sa manière ce qui est admis comme un minimum commun parmi les gens qui sont minimalement critiques et progressistes . Ce qui n’est en soi déjà pas si mal !
Mais dans le panorama politique actuel passablement bloqué, est-ce assez pour faire avancer les choses, sauter les verrous qui nous retiennent encore si isolés les uns des autres, si divisés face aux grands enjeux qui hantent la société québécoise ?
Est-ce suffisant, si justement, on affirme « ne renoncer à rien », en somme rester quelque part l’héritier du printemps Érable et de ses volontés de luttes exemplaires ?
Pierre Mouterde
Sociologue essayiste
Messages
1. Que dire de l’ouvrage Ne renonçons à rien ?, 24 février 2017, 06:52, par Francis Lagacé
Merci beaucoup, Pierre, d’avoir nommé ce malaise que nous sommes très nombreux je crois à partager.
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