Édition du 17 décembre 2024

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LGTB

AUTREMENT DIT

Quand les questions LGBT embarrassent tout le monde

On se souviendra des JO de Pékin, où les gouvernements ont rappelé du bout des lèvres au gouvernement chinois l’importance de respecter les libertés individuelles.

(tiré de Fugues)

Avec Sotshi s’ouvre une nouvelle page des luttes pour la reconnaissance, le respect et l’égalité des personnes LGBT à travers le monde. Et cela place dans l’embarras aussi bien les gouvernements et de grands organismes comme le Comité Olympique International (CIO). La question LGBT place aujourd’hui chacun devant ses propres contradictions. Entre de nombreuses déclarations d’intention sur le respect des droits des LGBT à travers le monde, comme la résolution adoptée en juin 2011 sur les violations et les discriminations concernant les individus en raison de leur orientation sexuelle et de leur identité de genre. Coup d’épée dans l’eau, diront certains. Peut-être ? Mais à l’heure des réseaux sociaux, l’information circule rapidement et les décideurs sont rapidement rappelés à leurs promesses. Entre la défense des droits de la personne et les intérêts économiques, ainsi que les relations diplomatiques toujours fragiles, les marges de manœuvres sont bien minces.
Le CIO est dans l’eau chaude. Il lui est difficile de faire marche arrière à quelques mois d’un événement qui engage des milliards de dollars. Et par le passé, il ne s’est jamais soucié – ou si peu – des questions des droits de la personne en contradiction flagrante avec la philosophie même des Jeux. Aujourd’hui, il rappelle que le CIO n’acceptera aucune manifestation de la part des athlètes participants dénonçant les lois anti-gaies russes. Le CIO se fonde sur l’article 50.3 de la Charte olympique qui stipule : « Aucune sorte de démonstration ou de propagande politique, religieuse ou raciale n’est autorisée dans un lieu, site ou autre emplacement olympique. » En cas de non respect de cet article, les athlètes pourraient être disqualifiés, comme l’a rappelé un porte-parole du CIO dans le Gay Star News. On se souviendra aussi qu’aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968, deux athlètes noirs américains, en montant sur le podium, avaient levé le poing pour dénoncer les politiques raciales aux États-Unis. On n’imagine pas à Sotshi un athlète gai vainqueur d’une compétition déroulant un drapeau arc-en-ciel après avoir reçu sa médaille.

Les gouvernements occidentaux, on s’en doutait, n’appelleront pas au boycott de Sotshi. Tout au plus rappelleront-ils dans les médias leur déception, envoyant des émissaires auprès du gouvernement russe dont on sait par les plus récentes déclarations, aussi bien de ministres que de députés, qu’il n’y aura aucun assouplissement des lois anti-gaies pendant les deux semaines que dureront les jeux. En clair, c’est une fin de non-recevoir de la part de Poutine et de son gouvernement. Pas sûr alors qu’un boycott réussisse. D’autant que beaucoup d’organismes LGBT s’opposent au boycott pour la simple raison qu’il pénaliserait les athlètes participants. Même attitude pour un boycott des marques sponsorisant les JO qui, localement, sponsorisent les athlètes. Enfin, le boycott des produits russes importés se limite à la vodka, les consommateurs de caviar étant par définition trop peu nombreux. À part l’alcool, quels autres produits sont importés de Russie ? Cependant le battage actuel contre les lois russes anti-gaies, s’appuyant sur l’éminence des Jeux Olympiques de 2014, a l’immense mérite de mettre en avant la question des droits et de l’égalité des personnes LGBT et pas seulement en Russie. Les gouvernements occidentaux, tout comme le CIO, et même le gouvernement russe, sont obligés de se prononcer et chacun tente de ménager la chèvre et le chou. Jamais une question LGBT n’aura créé autant de buzz. Peut-être qu’en continuant et en étendant la pression aussi bien sur le CIO que sur les pays participants, on verra quelques décisions d’ordre humanitaire se dessiner, en espérant qu’elles ne restent pas lettres mortes.

Reste qu’au-delà de l’indignation souhaitable, quels sont les résultats attendus par ces actions ? On parle de sensibilisation, une forme douce de lutte dont les effets se mesurent souvent à très long terme. Cette sensibilisation peut aussi être interprétée comme la preuve que le rapport de force n’existe pas pour peser réellement dans la balance. En somme, c’est homéopathique, et si ça ne fait pas de bien, ça ne fait toujours pas de mal. Car il reste en suspens l’après-Sotshi. Le soufflé russe retombera-t-il après les Jeux Olympiques ? Et devant cette mobilisation, déjà des gais africains se demandent pourquoi il n’y a pas autant de battage médiatique autour de l’assassinat et l’emprisonnement de gais dans de nombreux pays de ce continent ? Pourquoi il n’y a pas de levée de boucliers à la hauteur de celles de Sotshi de la part des communautés occidentales LGBT face aux lois anti-gaies qui sont promues ou réaffirmées de la part de gouvernements homophobes – le Cameroun, le Sénégal, le Zimbabwe, l’Ouganda pour ne citer que ceux-là, où quotidiennement les gais, les lesbiennes et les personnes trans sont persécutés, condamnés et emprisonnés. À quand des vigiles devant les consulats de ces pays ?

Certes, aucun de ces pays n’accueillera dans un avenir proche les Jeux Olympiques. Sachons que le choix d’une ville de la part du CIO est aussi politique. Il tient compte des réalités économiques et diplomatiques en fonction de la situation géopolitique du moment. Peut-être que le CIO devra dans les années à venir tenir compte de la situation des droits de la personne et refuser toute candidature de pays où ceux-ci sont bafoués. Le CIO se défend pourtant d’être complice. Il table sur cette stratégie, celle de maintenir des liens avec des pays dont on condamne le manque de liberté et que de grands événements internationaux comme les Jeux Olympiques permettent une ouverture qui peut à (très) long terme infléchir les mentalités et les politiques des pays hôtes. Un vœu pieux. À Pékin, malgré la tenue des Jeux et les pressions des différents représentants des gouvernements occidentaux qui ont rencontré les dirigeants chinois, il n’y a eu aucune réforme ni libéralisation probantes. Il y a fort à parier qu’il en sera de même après Sotshi.

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