Par Gérard Pollender
25 septembre 2023
Je suis septuagénaire. Je me définis psychologiquement comme trans, non-binaire, sans changement de sexe et sans artifice. Les affiches lors de la Fierté m’ont aidé à me définir. Je me rappelle que vers 7-8 ans je suis allé me promener dans la ruelle d’une petite ville industrielle du Québec avec des « souliers de femmes » et des bas mis dans mon gilet pour imiter les seins d’une femme. J’ai un corps d’homme mais je ne me sens pas un homme dans ma tête et dans ma psyché. J’aurais aimé être une femme pour vivre ma vie (malgré l’oppression des femmes) ; j’aurais au moins pu militer avec d’autres femmes pour socialiser et briser mon horrible isolement social. J’aurais aussi aimé avoir 3 enfants avec mon corps. Je ne comprends pas la violence des hommes envers les femmes, ces êtres extraordinaires qui donnent la vie.
Il m’est arrivé de jaser avec une lesbienne qui me disait ne pas sentir ça d’avoir un enfant, alors que moi je sentais ça. Il y a des couples de lesbiennes qui ont des enfants et d’autres non ; de même pour les gays. On est toustes différent.e.s et la diversité c’est la vie. La destruction de la diversité à cause du réchauffement planétaire est un véritable crime contre la vie sur la Terre. Nous sommes 8 milliards de personnes sur la planète et nous sommes toustes différent.e.s. Même les jumeaux identiques sont différents.
Dans la 20aine, je m’identifiais comme gay, mais j’ai aussi aimé faire du travestisme ; c’était plaisant (même si c’est beaucoup d’ouvrage) et je m’y reconnaissais mieux qu’en habit veston-cravate qu’aiment bien porter les hommes de pouvoir. Même si la question trans se posait plus ou moins en sourdine il y a 50 ans, elle n’était pas sur la place publique où les récents événements l’ont propulsée. L’idée de me faire changer de sexe me traversait l’esprit à l’époque mais c’était plutôt théorique qu’en pratique ; j’étais pauvre (je le suis encore) et toutes ces démarches... Je dis que je suis pauvre, mais j’ai un logement et je mange bien : donc, contrairement à la majorité de l’humanité, je suis riche. Je me rappelle avoir cessé pendant 2 ans (j’avais alors environ 25-30 ans) d’avoir des relations sexuelles avec des hommes me définissant « lesbienne » dans ma tête. Puis j’ai recommencé à avoir des rapports sexuels avec des hommes mais sans grande satisfaction.
Avoir transitionné aurait-il été plus facile avec les hommes éduqués au masculinisme et au machisme ? Je ne sais pas. Au moins, j’aurais été en accord avec moi-même. Le sexe biologique à la naissance n’est pas nécessairement l’équivalent de l’identité psychique.
L’identité d’une personne ne se résume pas à son sexe biologique. « On ne naît pas femme, on le devient » disait Simone de Beauvoir ; les féministes contemporaines ont précisé : « On naît femme, mais on peut choisir de ne pas le devenir ». Il est facile d’oublier que, dans une société hétérosexiste, le genre et l’hétéronormativité sont des constructions sociales.
La souffrance des jeunes trans
Une intervenante me confiait récemment que les jeunes trans sont vraiment en souffrance. Il y a beaucoup d’auto-mutilation et aussi des suicides. Lors d’une semaine de fierté, j’ai eu l’occasion de voir 3 mini courts métrages sur le vécu de très jeunes trans. C’était extraordinaire. Ce jeune enfant portant de magnifiques grands cheveux longs, s’affirmant non-homme et l’acceptation des parents qui l’aidaient et l’accompagnaient dans son cheminement. Ce jeune trans femme-homme tellement content d’avoir transitionné. On m’a dit que c’était plus facile de transitionner de femme à homme, que l’inverse. D’autres parents qui éprouvaient d’énormes difficultés avec la transidentité de leur enfant. Ces mini-films de quelques minutes montraient l’acceptation de leur autre identité de ces jeunes enfants et dès leur plus jeune âge. Il serait pertinent de présenter ces petits films à la télé avec débats, mais je doute fort que ça se fasse. Ces enfants savaient ce qu’ils étaient, ce qu’ils voulaient et acceptaient de se battre pour vivre ce qu’il étaient. Il faut ajouter que les enfants trans sont très rares. Et avant la transition, l’évaluation psychologique et psychiatrique est rigoureuse et extrêmement serrée. Alors pourquoi tout ce branlebas ?
Un débat politique ?
Je n’ai pas voulu aborder dans cet article les débats théoriques sur la transidentité. Je réfère les lecteurs et les lectrices intéressé.e.s à lire les textes publiés par PTAG à cet égard. Voici quelques phrases de la philosophe Judith Butler tirées d’un article du Guardian et publié sur le site Europe Solidaire Sans Frontières le 6 février 2022. :
" Les attaques contre une prétendue "idéologie du genre" menaçant la civilisation se sont multipliées dans le monde entier. Le but de ces courants réactionnaires : invalider les lois progressistes pour les droits des femmes et des communautés LGBTQI.
"Ces attaques, accaparant le débat public, ont été exacerbées par les réseaux sociaux et ont été soutenues par des organisations catholiques et évangéliques de droite largement implantées.
"L’opposition au "genre" coïncide dans bien des cas avec la peur des migrants et les déchaînements qu’elle provoque, et c’est pour cela que, dans les pays chrétiens, elle rejoint souvent l’islamophobie.
"Comme l’ont très justement souligné beaucoup de féministes, le délabrement des services sociaux à l’ère du néolibéralisme a reporté sur la famille traditionnelle la charge des soins à la personne. Face à la déliquescence des services sociaux, associée à un endettement écrasant et à une perte de revenus, certains estimaient impératif de renforcer les normes patriarcales au sein de la famille et de l’État".
Il faut situer ces débats dans le contexte politique dans lequel nous vivons toustes et qui est constamment en changement. La tendance contemporaine évolue indéniablement vers la droite. La gauche a du gros boulot sur la planche et c’est un beau défi pour les jeunes générations qui arrivent à la politique. La convergence des luttes tardent cependant et QS n’ose pas identifier le capitalisme comme responsable de tous les maux qui nous assaillent.
Un analyste gai avouait récemment candidement ne pas comprendre la polarisation en cours autour de la transidentité. On nous dit qu’il faut que ce débat soit pacifique, qu’il ne faut pas qu’il dérape, qu’il y a danger de le politiser. Mais la rue l’a déjà politisé et il faudra faire avec. Dans les manifs, organisées par un lobby de la droite religieuse, il y avait une forte dose d’homophobie. Ce lobby a fait des pressions pour faire adopter des lois et des règlements au Nouveau-Brunswick et en Saskatchewan se vantant maintenant d’organiser des actions pour faire pression sur chaque école afin de faire avancer son agenda. Lors des manifs, on pouvait lire sur des affiches : "Oui à Jésus, non à la Fierté et à la Pride". On propose de faire des contre-manifs lors de la journée de la fierté gaie dans différentes villes au cours de la prochaine année.
L’extrême-droite instrumentalise les enfants pour se construire, instrumentalise l’inquiétude des parents, comme elle a instrumentalisé la covid. Quand on juge qu’on a trouvé un bon filon pour se construire, on l’exploite. De cette même voix qui nie les changements climatiques, on a entendu que les enfants trans ça n’existe pas ! La méthode du déni a déjà été utilisée au cours de l’histoire.
Et pourquoi donc l’extrême-droite est-elle en progression partout dans le monde ? Les polycrises du capitaliste (dont la crise environnementale extrêmement grave) poussent les dominants à se tourner vers des solutions extrêmes au cas où les mouvements de masse menaceraient leurs privilèges. Et l’utilisation de boucs émissaires, comme les LGBT+ et les immigrants, font partie de l’arsenal pour essayer de développer au sein de la population une idéologie réactionnaire permettant de garder le contrôle sur la société.
Au Québec, le PCQ, un parti de droite en construction, s’est prononcé contre les inoffensifs contes (non sexuels) pour enfants racontés par des drags.
Au Canada, pour le PCC c’est la consigne du silence pour éviter de mettre les doigts dans l’engrenage des débats tout en faisant une publicité centrée sur la famille hétéronormative.
Sur la question de l’éducation sexuelle :
Une enseignante : "On n’ enseigne pas l’identité de genre. On enseigne aux élèves à être respectueux et à agir adéquatement avec ceux qui vivent ces situations-là".
Selon Michel Dorais, le programme d’éducation à la sexualité a été développé par l’Unesco et l’Unicef par les plus grands experts du monde en la matière. À peu près tous les programmes d’éducation à la sexualité au Canada sont basés là-dessus.
Conclusion
Les débats sur la transidentité vont continuer et il faut donner la parole aux jeunes trans et les écouter. Le livre "Jeunes trans et non-binaires, de l’accompagnement à l’affirmation" de Annie Pullen Sanfaçon et Denise Medico, aux éditions Remue-ménage, 2021, est un outil collectif qui s’intéresse à l’intervention auprès des enfants et des jeunes trans et non-binaires ainsi qu’à leurs familles.
Par Gérard Pollender
Une photo de moi qui remonte à presque 70 ans.
Psychologiquement, je suis restée la même personne.
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