Mais plus percutant. On fête aujourd’hui les cinquante ans de Stonewall, les 35 ans de Fugues. Et je me suis plongé dans le livre d’Antoine Idier sur les archives du mouvement LGBT en France… Un retour en fait dans mes premières années de militance, d’activisme, d’engagement dans la cause.
Dans les années 70 en France, les partis de gauche et d’extrême-gauche ainsi que les syndicats ne voyaient pas d’un bon œil la naissance des mouvements LGBTQ+, ayant déjà à dealer avec un autre mouvement qui prenait son essor, celui des femmes. Pour eux, la révolution ou l’arrivée d’un parti de gauche au pouvoir devait simplement régler l’exploitation des masses opprimées par des coups de baguettes empruntées à Marx, Lénine, Trotsky et quelques autres. Les « pédés » et les « gouines » étaient des allié.es de cette bourgeoisie bien connue pour sa dépravation des mœurs. Nous étions donc, ou des complices, ou des victimes de l’oppresseur. Une fois la révolution faite, l’homosexualité disparaitrait comme par enchantement. Mais comment ? Petite sueur froide en y repensant.
Bien entendu à l’époque, les femmes qui dirigeaient tous ses mouvements en charge de la défense et de la protection du peuple étaient rares, très rares. Les hommes, en très grande majorité, prônaient l’égalité et la justice des ou-vriers et des paysans avec des accents guerriers. Des hommes qui avaient des couilles, et dont le phallus s’élevait aussi facilement que le poing levé dans les manifestations. Des hommes qui avaient tout à voir dans leurs discours, par leurs comportements et, oserais-je dire, par leur psychologie avec les hommes capitalistes qu’ils combattaient. Celui qui serait le plus fort physiquement triompherait quel que soit le sang versé – et généralement pas le sien – pour triompher. La révolution, oui ! Mais pas pour abattre l’ordre patriarcal et phallocratique. Pas question de remettre en doute l’institution de la famille. Monsieur milite, Madame repasse sa tenue de révolutionnaire. Pas question non plus de bouleverser ce qui se passait dans la chambre à coucher. Madame écarte les jambes, Monsieur pénètre. Dans cette répartition des rôles, la croiyance voulait que les pédés soient des enculés. Une croyance partagée par de nombreux gais qui rêvaient d’un mâle viril qui les prendrait comme on prend une femme. Ou encore le rêve de certains de baiser - ou plutôt de se faire baiser par - un vrai mâle bien évidemment hétérosexuel. Fantasmes qui n’ont pas toujours disparu dans nos communautés, tant sans faut.
Tout comme le fameux poncif, pas enculé, mais éculé, de certains hétéros demandant « qui fait la femme et qui fait l’homme dans un couple gai ? » L’idée bien restrictive que tout acte sexuel digne de ce nom doit comporter absolument une pénétration. Un cliché qui ne tient pas compte que deux hommes peuvent échanger leur rôle, un comportement aujourd’hui appelé versatile, ou comme j’aime à le dire, croustillant des deux côtés. On ne prend pas en compte non plus qu’une sexualité épanouie entre deux gars peut aussi se passer de pénétration.
Et si l’organe sexuel qui joue le pénétrant est valorisé, ceux qui font office de receveur, le sont moins. La force et la gloire sont du côté du pénis. Le vagin, l’anus sont de simples écrins pour la satisfaction du mâle, et accessoirement pour celle de la femme ou de l’autre homme. Beaucoup de femmes actuellement, féministes bien sûr, tentent de redorer l’image du vagin (on pense au festival Festivulve) et de rappeler que celui-ci n’est pas aussi passif qu’on voudrait nous le faire croire. Mais quid de l’anus ? L’anus est perçu depuis notre plus tendre enfance comme un organe excrémentiel. Point à la ligne. Qu’il puisse être source de plaisir dénoterait pour tout psy un peu obtus et coincé du cul le symptôme d’un dysfonctionnement dans l’objet du désir. Le barbu viennois ayant laissé des traces dans toute la psychologie contemporaine jusqu’à ses dernières années où les plus critiques à l’égard de ses théories commencent à se faire entendre.
Le rapport de pouvoir s’inscrit aussi dans ce mal aimé de notre anatomie. L’insulte « enculé » en est emblématique. Se faire enculer relèverait d’une absence de virilité, ou encore d’une perte de virilité assurée pour l’homme hétéro qui en serait l’objet. Ravalé ainsi au rang des femmes, l’homme enculé appartiendrait à une catégorie presque sous-humaine. Et je pèse mes mots quand on regarde à l’échelle de la planète, le sort réservé aux femmes. Bien sûr dans le secret de l’alcôve, les choses peuvent être différentes. Se faire caresser le nénuphar, voir pénétrer d’un doigt et masser la prostate, par sa conjointe n’est pas rare. Mais la transgression ne peut se faire que dans le silence. Pas question d’en parler à ses potes dans le vestiaire avant un entraînement bien viril. Mais en tant que gais, sommes-nous plus à l’aise avec notre anus en dehors de nos petites pratiques sexuelles ou à la vue d’un bon porno gai. Pas vraiment. On peut exhiber ses muscles à la vue de tous, on peut se mettre des sous-vêtements moulants qui révèlent jusqu’à notre religion, ou encore poster sur les sites de rencontre un emoji d’aubergine pour signifier qu’on en a entre les jambes. Dans les conversations, on parle d’un gars qui avait une belle queue, ou encore de ses abdos béton, ou encore de ses fesses invitantes. Jamais je n’ai entendu un gars dire qu’il avait un bel anus, ou encore qu’il avait baisé avec un mec qui avait le plus bel anus qu’il n’avait jamais vu. De même dans nos communautés, on perçoit le gai efféminé comme passif, et le viril comme actif. Et quand deux gars en couple arborent tous les signes de la virilité (muscles et poils en sus), on peut considérer qu’ils pratiquent la sodomie, mais qu’ils sont aussi et surtout actifs. L’honneur est sauf. Ne pas donner l’image que l’on puisse n’être qu’un « enculé »…
Revaloriser l’image de l’anus, c’est aussi se démarquer de tout ce qui touche au pouvoir, c’est remettre en question toutes les normes contrai-gnantes imposées aux hommes dans la recherche et l’exposition de leur virilité… et de leur plaisir.
Dernière mise à jour le 26 août 2019
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