La Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD) a été créée en juillet 1944 à Bretton Woods (États-Unis), à l’initiative de 45 pays réunis pour la première Conférence monétaire et financière des Nations unies. En 2016, 189 pays en étaient membres, Nauru étant le dernier en date (adhésion en avril 2016) |1|. Son but initial était de fournir des capitaux publics pour la reconstruction de l’Europe occidentale après la seconde guerre mondiale afin qu’elle reste une alliée stable de Washington et offrir ainsi un débouché pour les marchandises produites par les entreprises des États-Unis. Elle s’est ensuite consacrée au financement du développement des pays du Sud, endossant le rôle de « source essentielle d’appui financier et technique pour l’ensemble des pays en développement » selon ses propres termes |2|. Un financement aux choix très orientés et fort discutables.
Quatre autres organismes ont vu le jour pour former ce qu’on appelle le « Groupe Banque mondiale
Chacun des pays membres nomme un gouverneur pour le représenter, en général le ministre des Finances (exceptionnellement, celui du Développement). Ils se réunissent au sein du Conseil des gouverneurs, instance suprême de la BM, qui siège une fois par an (à l’automne, deux années sur trois à Washington) et fixe les grandes orientations. Ce conseil est chargé de prendre les décisions importantes (admission des nouveaux pays, préparation du budget, etc.). D’autre part, la réunion de printemps à Washington dresse un bilan de l’action de la BM et du FMI
Pour la gestion quotidienne des missions de la BM, le Conseil des gouverneurs délègue son pouvoir au Conseil des administrateurs composé de 25 membres. Chacun des 8 pays suivants a le privilège de pouvoir nommer un administrateur : États-Unis, Japon, Allemagne, France, Royaume-Uni, Arabie saoudite, Chine et Russie. Les 17 autres sont nommés par des groupes de pays aux contours souvent surprenants : un pays riche est en général associé à un groupe de pays du Sud. C’est bien sûr le pays riche qui dispose du siège au Conseil des administrateurs et vote au nom de tous les membres du groupe.
Le Conseil des administrateurs se réunit en principe au moins 3 fois par semaine et élit un président pour 5 ans. A l’encontre des principes démocratiques, une règle tacite veut que ce poste soit réservé à un représentant des États-Unis, choisi par le président états-unien. Le Conseil des administrateurs ne fait qu’entériner ce choix.
De 1995 à 2005, le 9e président de la BM était J.D. Wolfensohn, ancien directeur du secteur banque d’affaires de Salomon Brothers à New York. En mars 2005, le président des États-Unis, G.W. Bush, nomme Paul Wolfowitz, ancien numéro 2 du Pentagone et l’un des organisateurs de l’invasion militaire de l’Irak de mars 2003 par une coalition armée dirigée par les États-Unis. Contraint de démissionné pour avoir accordé une augmentation de salaire substantielle à sa compagne, Shaha Riza, qui travaillait également à la BM, il a été remplacé par Robert Zoellick, désigné par G.W. Bush, successivement chef du cabinet de G. Bush père, secrétaire au Commerce extérieur et numéro 2 du département d’État. Il travaillait notamment chez Goldman Sachs, acteur majeur de la crise des subprimes en juillet 2007 et de l’éclatement la crise économique en Grèce en 2009. En mars 2012, B. Obama désigne J.Y. Kim à la tête de la BM. Candidat à sa propre succession pour 2017, il a été accusé de xénophobie par plusieurs employés.
« Le potentiel de démocratisation des institutions mondiales reste considérable. De nombreuses propositions ont été avancées pour supprimer des pratiques manifestement antidémocratiques telles que le droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies et le mode de sélection des dirigeants du FMI et de la Banque mondiale. » PNUD , Rapport mondial sur le développement humain 2002.
Tout pays membre reçoit une « quote-part » qui détermine l’influence qu’il aura (ou n’aura pas…). Dès lors, un savant calcul permet de déterminer le nombre de droits de vote de chaque pays : une part fixe de 250 voix et une part proportionnelle à la quote-part. Contrairement à l’Assemblée générale de l’ONU où chaque pays possède une seule voix (ce qui n’est pas le cas au Conseil de sécurité où cinq pays détiennent un droit de veto), le système adopté revient à 1 USD = 1 voix ! Mais contrairement à l’actionnaire d’une entreprise, un pays ne peut pas décider d’accroître sa quote-part pour peser plus lourdement. Le système est donc parfaitement verrouillé.
Le scandale ne s’arrête pas à cette répartition injuste des droits de vote. Les États-Unis ont construit cette institution à leur guise et sont parvenus à imposer une majorité de 85 % des voix requise pour toutes les décisions importantes. Étant le seul pays à détenir plus de 15 % des droits de vote, cela leur confère d’office une minorité de blocage pour tout changement d’envergure. Les pays de l’Union européenne, qui pourraient eux aussi réunir ces 15 %, s’alignent généralement sur Washington. Les seules fois où une coalition de pays européens a menacé d’utiliser la minorité de blocage, c’était pour défendre leurs intérêts égoïstes |4|. A l’avenir, on pourrait imaginer une coalition de pays du Sud réunissant une minorité de blocage pour s’opposer au prochain candidat des États-Unis à la présidence de la BM. Mais jusqu’ici, le Trésor américain est sans conteste maître à bord, capable de bloquer tout changement contraire à ses vues. La présence du siège à Washington, à deux pas de la Maison-Blanche, n’est pas fortuite. Au fil des ans, les réajustements des droits de vote ont vu l’émergence de nouvelles nations. Mais si les États-Unis ont accepté de revoir leur part à la baisse, ils ont pris soin de la maintenir au-dessus de la barre des 15 % |5|.
« D’autres imputent la dispersion de la Banque à la volonté de son principal actionnaire [les États-Unis] qui, compte tenu de la réduction de son programme d’aide bilatérale, considère l’institution comme un instrument particulièrement utile pour exercer son influence dans les pays en développement. Elle constitue alors une source de financement qui doit être offerte à ses amis et refusée à ses ennemis. »
Yves Tavernier, député français, Rapport 2001 de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale sur les activités et le contrôle du FMI et de la Banque mondiale
De son côté, l’AID est officiellement une simple association, mais imbriquée dans la BIRD qui la gère. En 2015, elle comptait 173 États membres, parmi lesquels 77 |6| (dont 39 en Afrique) remplissaient les conditions pour profiter de ses prêts, à savoir un revenu annuel par habitant inférieur à 1 215 USD (chiffre actualisé chaque année). Ces pays empruntent sur de longues durées (entre 25 et 38 ans en général, avec un différé initial/une période de grâce de 5 à 6 ans) et à très bas taux (de l’ordre de 0,75 %). Les sommes proviennent soit des pays les plus riches qui reconstituent les fonds de l’AID tous les 3 ans, soit des gains que la BIRD tire des remboursements effectués par les pays à revenus intermédiaires. Remarquons que les principes de l’AID sont assez malléables quand cela arrange la BM : le Vietnam, l’Inde ou encore le Pakistan empruntent à la fois auprès de la BIRD et de l’AID, bien que leur revenu par habitant soit bien supérieur à 1 215 dollars US. Ils sont considérés comme des pays « à financement mixte ».
Les autres pays du Sud empruntent à un taux proche de celui du marché auprès de la BIRD, qui prend soin de sélectionner les projets rentables, à l’image d’une banque classique. La BM se procure les fonds nécessaires à ces prêts en empruntant sur les marchés financiers. Sa solidité, garantie par les pays riches qui en sont les plus gros actionnaires, lui permet de se procurer ces fonds à un taux avantageux. La BIRD les prête ensuite aux pays membres qui les remboursent sur une période comprise entre 15 et 20 ans.
Cette position privilégiée permet à la BIRD de dégager des marges pour son fonctionnement administratif et même d’afficher un résultat d’exploitation largement positif : entre 680 millions et 1 milliard de dollar US par an pour la période 2011-2015. Sur les 44,6 milliards de dollars US décaissés par la BM en 2015, 19 l’ont été par la BIRD |7|.
Avec l’accroissement de l’endettement, la BM a, en accord avec le FMI, développé ses interventions dans une perspective macro-économique et imposé de plus en plus la mise en place de politiques d’ajustement structurel
et ne se prive pas de « conseiller » les pays soumis à la thérapeutique du FMI puisqu’elle participe même directement au financement de ces réformes grâce à des prêts spécifiques.
« Est-il raisonnable que la Banque mondiale puisse venir soutenir des projets d’initiative privée d’accès à l’eau et à l’électricité sur de petites échelles au lieu d’aider à la construction de réseaux publics ? La Banque mondiale doit-elle financer les systèmes privés de santé et d’éducation ? ».
Yves Tavernier, député français, Rapport 2001 de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale sur les activités et le contrôle du FMI et de la Banque mondiale
D’autres banques nationales de développement
Au côté de la BM, d’autres institutions multilatérales de développement existent à l’image de la Banco Nacional de Desenvolvimento Econômico e Social (BNDES) au Brésil ou encore de la Banque de Développement de Chine (CDB). Leur influence n’est pas négligeable puisqu’elles prêtent davantage que la BM. Entre 2005 et 2013, la CDB a prêté plus de 78 milliards de dollars US rien qu’à destination de pays d’Amérique latine tandis que les financements de projets accordés par la BNDES sont passés de 228 millions de dollars US en 2004 à 1,3 milliard de dollars US en 2013, Amérique latine et Afrique confondus. Ces prêts sont très critiquables. Dans le cas de la CDB, les taux d’intérêts y étaient supérieurs à ceux pratiqués par la BM, accompagnés d’aide liée, de paiement en marchandises. Pour la BNDES, les projets financés ne respectaient pas les droits humains avec selon El País, 42 % des projets n’ont pas améliorés les conditions économiques des pays, 67 % ont provoqué des déplacements de population, 75 % ayant un impact négatif sur l’environnement et 58 % sur les conditions de vie. Autrement dit, le respect des droits humains ne compte pas parmi les préoccupations de ces institutions. Mentionnons également la banque des BRICS (Voir notamment « BRICS : Coopération ou domination Sud-Sud ? »).
Les banques régionales de développement
De nombreuses banques régionales existent : la Banque africaine de Développement (BAfD), la Banque asiatique de Développement (BAsD), la Banque interaméricaine de Développement (BID) ou encore la Banque européenne d’Investissement (BEI). Ces banques ne constituent en rien une alternative à la BM, puisque celles-ci sont presque parfaitement alignées sur ses orientations, quand elles ne sont pas tout simplement sous son contrôle direct ou indirect. Leur bilan est tout aussi négatif.
L’OMC
FMI et BM n’étaient pas les seules institutions qui devaient voir le jour pour construire le monde économique de l’après-guerre. Les discussions entre alliés, essentiellement États-Unis et Grande-Bretagne, avaient abouti à l’idée de la création d’une Organisation internationale du commerce (OIC), chargée d’organiser les règles du commerce mondial.
La « Charte de La Havane instituant une Organisation internationale du commerce », signée en mars 1948 par 53 pays n’ayant pas été ratifiée par le Congrès des États-Unis |8|, seuls ont survécu les accords de réduction des barrières douanières, signés en 1947 dans le cadre de la préparation de l’OIC et entrés en vigueur début 1948. Prévue initialement pour être temporaire et dotée d’un dispositif institutionnel limité, elle est finalement restée pérenne sous le nom de GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, en français Accord général sur le commerce et les tarifs douaniers).
En presque 50 ans, le GATT organisa 8 cycles de négociations (rounds) visant à pousser plus loin la libéralisation du commerce. Le dernier, appelé cycle de l’Uruguay (1986-1994), aboutit à la création de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en avril 1994 lors de la Conférence de Marrakech. L’adoption de l’acte final |9| de ce cycle a constitué un véritable tournant : il a nettement élargi le champ de la négociation à des secteurs non couverts jusque-là par le GATT (agriculture, textile, services, etc.) et a intégré pour la première fois la question de la protection de la propriété intellectuelle au sein du commerce international. L’OMC était chargée de structurer ces négociations élargies et de promouvoir avec une force décuplée l’intensification de la libéralisation commerciale. Le libre-échange est devenu l’horizon indépassable de l’OMC, même si, selon l’image célèbre, il revient à « laisser un renard libre dans un poulailler libre ».
Car le libre-échange est en fait la stratégie adoptée par ceux qui ont réussi à devenir des acteurs économiques puissants pour le rester : une fois l’ascendant pris, les puissants ont tout intérêt à dire « maintenant, on laisse agir les forces du marché »… Pour l’OMC, libéraliser, c’est contraindre les pays du Sud à abandonner toute forme de protection de leur économie et à les ouvrir aux appétits féroces des entreprises transnationales.
« Toute nation qui, par des tarifs douaniers protecteurs et des restrictions sur la navigation, a élevé sa puissance manufacturière à un degré de développement tel qu’aucune autre nation est en mesure de soutenir une concurrence libre avec elle ne peut rien faire de plus judicieux que de larguer ces échelles qui ont fait sa grandeur, de prêcher aux autres nations le bénéfice du libre-échange, et de déclarer sur le ton d’un pénitent qu’elle s’était jusqu’alors fourvoyée dans les chemins de l’erreur et qu’elle a maintenant, pour la première fois, réussi à découvrir la vérité. »
Friedrich List, économiste, 1840
Aux côtés du couple FMI-BM, l’OMC complète la puissante machine de guerre mise en place pour empêcher les pays du Sud de protéger les secteurs vitaux de leur économie face aux féroces appétits des transnationales. A titre d’exemple, l’article III alinéa 5 des accords de Marrakech instituant l’OMC : « En vue de rendre plus cohérente l’élaboration des politiques économiques au niveau mondial, l’OMC coopérera […] avec le Fonds monétaire international et avec la Banque internationale pour la reconstruction et le développement et ses institutions affiliées ».
Ainsi, le FMI et la BM imposent des conditionnalités d’inspiration néolibérale très strictes qui accroissent au forceps l’ouverture des économies des pays endettés au marché mondial dominé par les pays les plus industrialisés et les transnationales qui y ont en majorité leur siège. Le renforcement de la connexion des économies des pays du Sud au marché mondial, tel qu’il est hiérarchisé, se fait au détriment de leurs producteurs locaux, de leur marché intérieur et des possibilités de renforcer les relations Sud-Sud.
Contrairement à ce que prétend le dogme néolibéral, une plus grande ouverture et une plus forte connexion au marché mondial constituent un obstacle au développement des pays du Sud, à quelques exceptions près comme la Chine |10|. L’insertion intégrale d’un pays du Sud dans le marché mondial est génératrice de déficit structurel de la balance commerciale
(les importations croissent plus vite que les exportations), déficit qui a tendance à être comblé par des emprunts extérieurs qui augmentent l’endettement |11|. Pour la plupart des pays du Sud, la boucle est bouclée : il s’agit du cercle vicieux de l’endettement et de la dépendance.
De surcroît, le domaine de nuisance de l’OMC dépasse largement le cadre commercial. L’OMC est une pièce clé du dispositif mis en place par les tenants de la mondialisation néolibérale pour la pousser encore plus avant. Les politiques recommandées par le trio BM-FMI-OMC sont parfaitement cohérentes et suivent un agenda bien précis et aux multiples facettes (politiques, économiques, financières, géostratégiques…), que les mouvements sociaux ne doivent cesser de combattre.
« Les pays qui veulent des accords de libre-échange avec les États-Unis doivent satisfaire à des critères qui ne sont pas seulement économiques et commerciaux. Au minimum, ils doivent aider les États-Unis à atteindre leurs objectifs de politique étrangère et de sécurité nationale. »
Robert Zoellick, alors secrétaire états-unien au Commerce
Notes
|1| Pour pouvoir devenir membre de la BIRD, un pays doit auparavant être membre du FMI.
|2| Voir www.banquemondiale.org
|3| Les droits de vote évoluent fréquemment depuis 2010 suite à une refonte de leur calcul et d’une augmentation de capital, mais quoi qu’il en soit, à terme, les pays du Sud détiendront toujours moins de 50 % des droits de vote.
|4| Voir par exemple, la menace de la coalition entre la Belgique, les Pays-Bas, la Suisse et la Norvège en juin 2005, « Le CADTM s’inquiète de la manœuvre contre l’effacement de la dette initiée par quatre « petits » pays riches au FMI », et « La proposition du G8 sur la dette menacée au FMI »
|5| Pour une analyse détaillée de l’influence des États-Unis au sein de la Banque mondiale, voir Éric Toussaint, Banque mondiale : le Coup d’État permanent, 2006, chapitres 5 à 9.
|6| A ces 77 pays, il faut ajouter l’Inde qui n’est plus éligible à l’aide de l’AID depuis la fin de l’exercice 14, mais recevra un soutien transitoire exceptionnel pour la période couverte par IDA17 (2015-2016-2017).
|7| Voir « The World Bank Group A to Z » : https://openknowledge.worldbank.org...
|8| Voir Susan George, « Une autre organisation du commerce international était possible... », Le Monde diplomatique, janvier 2007.
|9| Cet acte final est constitué de 20 000 pages de textes. Voir
www.ladocumentationfrancaise...
|10| La contrepartie du succès de la Chine, c’est une surexploitation de la main d’œuvre chinoise et un modèle productiviste destructeur de l’environnement dont la population est la première victime.
|11| L’exemple de la Chine ne contredit pas cette argumentation : la Chine a une insertion très particulière dans le marché mondial puisqu’elle maintient de très importantes protections et la taille de son marché intérieur est considérable.
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