Lors de cette même entrevue (1), nous pouvions constater les limites du discours des verts canadiens : si la cheffe May tient par exemple à garder ses distances avec Québec solidaire qui apparaît pourtant comme la formation politique avec laquelle elle possède davantage d’atomes crochus, elle est incapable de déterminer à quoi cette distance est attribuable : elle évoque que les verts possèdent une vision économique différente préférant les « budgets équilibrés » mais ajoutant que « nous ne sommes pas non plus idéologiquement contre les déficits ». Alors quoi ? Sa formation est fédéraliste affirme t-elle. Et puis ? En quoi cette orientation ferait en sorte que des mobilisations communes contre Energie Est ou Enbridge seraient-elles impossibles ? Elle évoque le Bloc québécois comme représentant la mouvance souverainiste au fédéral faisant abstraction des différences d’approches entre QS et le duo PQ-Bloc.
Étrangement, elle affirme être ouverte à l’exploitation du gaz naturel de la Gaspésie. « C’est une occasion à développer pour éliminer du pétrole lourd et du coke de pétrole, utilisé pour les alumineries et usines lourdes de la Côte-Nord, » a indiqué André Bélisle, candidat des verts contre le ministre Steven Blaney dans la circonscription de Lévis-Bellechasse et présent lors de l’entrevue. Et Elisabeth May d’ajouter : « Nous n’avons pas de problèmes avec ça. » Pourtant plus loin dans l’entrevue, elle déclare « nous sommes contre la fracturation hydraulique, contre les gaz de schiste, contre les efforts pour augmenter les énergies fossiles, résume Mme May. Ces procédés pour le gaz naturel « ont un impact sur les changements climatiques aussi grands que le charbon. » On cherche comment elle peut concilier ces deux positions alors que toutes les mobilisations écologistes poussent vers le refus de l’exploitation du gaz du sous-sol gaspésien. On peut commencer à voir une réponse plus claire à cette confusion à la lecture de la plate-forme des verts canadiens. L’horizon de cette formation est définitivement un capitalisme réformé et non un dépassement de ce système obsolète et consumériste.
La plate-forme des verts : civiliser le capitalisme
La plate-forme débute avec une déclaration qui donne le ton : « les Canadiens sont issus d’une population unie par le travail acharné, le respect mutuel et par la collaboration. » (les citations tirées de la plate-forme sont signalées par la pagination : p. 5) On ignore où les verts vont pêcher de telles inepties mais ce qui a caractérisé le Canada au cours des récentes décennies n’est surement pas la collaboration et le respect mutuel si l’on se rappelle les événements relatifs à la question nationale, aux revendications autochtones ou aux efforts des gouvernement successifs à attaquer les conquêtes sociales. Les verts reconnaissent que ces acquis ont été mis à rude épreuve par le gouvernement Harper mais ils expliquent ces attaques par des manquements aux responsabilités d’un bon gouvernement. Les verts s’engagent à restaurer « les valeurs qui ont fondées (sic) notre pays » (p. 5) gardant le silence sur le sens de ces « valeurs » et faisant fi des liens organiques des conservateurs avec la frange extractiviste de la bourgeoisie canadienne. On reproche bien au gouvernement Harper d’avoir « affaibli l’économie canadienne en la concentrant uniquement sur le développement d’industries polluantes. » mais on attribue cette situation à un manque de responsabilité. C’est un peu mince...
Pourtant ce ne sont pas les analyses de ces liens qui manquent. Il faut faire de l’aveuglement volontaire pour ne pas voir la volonté des intérêts économiques à piller les ressources naturelles lorsque la rentabilité est au rendez-vous. Les intérêts dans l’industrie des sables bitumineux (banques, fonds commun de placement, etc.) sont trop importants pour les laisser au hasard des enjeux électoraux. Ces corporations favorisent et investissent afin que les formations politiques leur garantissent un accès sans limite à ces ressources. Les « valeurs canadiennes » dans ce contexte, ne tiennent pas à grand chose pendant que les capitalistes engrangent les profits.
Faire abstraction de ces intérêts dans l’analyse des verts préparent une approche compatible avec les intérêts des entreprises privées canadiennes. La politique économique des verts souhaite s’appuyer sur les PME, vantant leur « flexibilité » (p. 14) qui cache souvent des conditions de travail sous les minimums acceptables et une absence d’organisation collective. Les verts ne proposent pas de mettre un terme à la production des sables bitumineux mais d’en stopper l’expansion. (p. 36) Ils plaident pour le raffinage local plutôt que l’exportation pure et simple. « Nous créerons de nouveaux emplois dans les secteurs pétrolier et gazier en raffinant le produit que nous produisons déjà, plutôt qu’en le transportant brut ou raffiné dans d’autres pays. » Et de prétendre que le Canada passerait ainsi du statut de voyou écologique à celui de « chef de file mondial de l’industrie des technologies propres. »
Les verts prônent aussi un marché du carbone, un plan canadien de rente et de dividende du carbone. Encore une fois, il s’agit de rendre la décarbonisation de l’économie canadienne rentable pour quelques intérêts à l’affut d’occasion de profits. Pourtant, les quelques expériences de marchés du carbone dans le monde n’ont pas donné de résultats probants (3) donnant plutôt lieu à des artifices aux conséquences collatérales loin des objectifs avoués. (4) Bref, le plan des verts vise à domestiquer le capitalisme, de le « verdir » plutôt que de mettre en évidence le caractère systémique de la crise climatique actuelle et l’impossibilité de mettre en place les mesures capable de limiter la catastrophe qui vient sans remettre en question les principes consuméristes et destructeurs du capitalisme. Pourtant, la catastrophe ne peut être endiguée que si la logique despotique de compétition, de pillage et d’appropriation qui est celle du capitalisme, cède la place à une logique démocratique de coopération, de partage et de mise en commun. (5)
Des mesures intéressantes
Les verts tiennent à ce que l’on sache que leur plate-forme ne contient pas que des mesures que concernent l’écologie. Certaines de ces mesures méritent que l’on appuie leur mise en œuvre. D’ailleurs, pour aller à l’encontre de la déclaration d’Elisabeth May qui affirme que les verts ne sont ni de gauche ni de droite, nous devons la mettre au défi de trouver une seule formation de droite qui appuierait de telles mesures : effacer la dette des étudiantEs canadienNEs et abolir les droits de scolarité jusqu’à l’université ; défendre les services publics ; irradiquer la pauvreté et les inégalités ; réinvestir dans Radio-Canada ; protéger Poste Canada ; abroger C-51 ; implanter un système de proportionnelle dans le système électoral canadien ; stopper les projets d’oléoducs et de pipelines, etc. Les verts doivent assumer leur personnalité : de telles mesures sont incompatibles avec un programme d’une formation libérale ou conservatrice.
Ces mesures misent en œuvre par un gouvernement issu des prochaines élections mériterait notre appui. Ce n’est par contre pas du côté de Harper ou de Trudeau qu’elles viendront. Et peu importe l’issue de ces élections, les mouvements sociaux mobilisés autour de ces enjeux seront les véritables acteurs et actrices de l’imposition de ces mesures car aucune des entreprises impliquées dans l’exploitation de ces ressources ne laissera tomber le morceau sans résister.
Notes
2- http://www.greenparty.ca/fr/plateforme
3- Lire http://www.pressegauche.org/spip.php?article19106 et http://www.legrandsoir.info/Le-diable-fait-les-casseroles-mais.html
4- Le principe des marchés du carbone : quand un investissement au Sud permet de diminuer les émissions par rapport aux projections (hypothétiques), des droits de polluer peuvent être mis sur le marché au prorata de la quantité de gaz non émis (un droit = une tonne). Ces « crédits de carbone » peuvent remplacer les réductions d’émission dans les pays développés. Les multinationales sont très friandes de ce système qui leur permet de maquiller leurs investissements au Sud en contributions à la protection du climat, de faire des profits en vendant des crédits et d’éviter les investissements technologiques plus coûteux qui seraient nécessaires pour réduire leurs émissions au Nord. (Source : http://www.gauchemip.org/spip.php?article11681)