Édition du 19 novembre 2024

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Israël - Palestine

Projet de bulles humanitaires : un sommet de cruauté sans précédent

Le Conseil criminel restreint (Cabinet) a décidé d’adopter le plan expérimental suivant : passer un contrat avec une société de sécurité américaine privée, dont le propriétaire est israélien, pour gérer la distribution de l’aide humanitaire à Gaza. Cette entreprise est appelée à créer ce qu’elle appelle des « bulles humanitaires », c’est-à-dire des zones géographiquement délimitées, fermées par des murs et des portes, fortement gardées par des milliers de mercenaires étrangers, et qui seraient les seules à recevoir l’aide humanitaire. L’accès à ces zones serait exclusivement réservé aux Palestiniens ayant subi un contrôle de sécurité attestant qu’ils n’ont aucun lien avec les formations de fédayins et de résistants qu’Israël considère comme ennemis.

Tiré d’Agence médias Palestine.

L’entrée et la sortie dans ces zones se feraient uniquement par des outils biométriques (comme l’empreinte digitale ou la cornée). Ainsi, selon eux, l’entreprise veillera à ce qu’aucun individu ayant des liens avec la résistance ne puisse s’infiltrer dans une telle zone.

Vous trouverez ci-après les informations publiées, ainsi qu’une présentation de quelques scénarios et dangers menaçants. Mais avant cela, ce qu’il importe de signaler, que ce plan soit mis en œuvre ou pas, est que dans sa conception et sa logique, ce projet représente un summum, jamais atteint historiquement, dans l’évolution du mal humain et de la malfaisance du cerveau technologique. La raison a besoin d’un énorme effort pour saisir l’ampleur et le mode d’agencement d’un tel crime.

Si l’on considère le fait de réduire une population à la faim comme une arme criminelle au sens général du terme, qui englobe mise sous blocus, soumission, etc…, nous pouvons dire que nous sommes ici face à autre chose, à savoir une occupation qui affame systématiquement les gens jusqu’à l’épuisement, puis utilise la nourriture et la boisson comme arme, en les leur offrant à condition qu’ils se soumettent à un système de contrôle biométrique totalitaire qui identifie chaque personne et fait directement le lien entre sa pitance quotidienne et sa position politique. C’est le système qui décide si vous méritez d’avoir à manger en fonction de vos relations dans la résistance (si vous êtes juste ami ou cousin d’un fédayin, ou influenceur soutenant les fédayins, ou encore si vous avez été un jour membre d’un conseil étudiant et apparaissiez dans les dossiers des renseignements). Autrement dit, tout acte humain que vous effectuez peut vous inclure immédiatement dans une base de données et vous menacer, vous et votre famille, d’être privés de nourriture si Israël y voit une hostilité envers lui. Plus encore, la nourriture devient un outil de chantage au quotidien dans l’interrogatoire les gens et leur enrôlement à des fins de renseignement. Ce procédé était couramment utilisé pendant les sièges, que ce soit pour obtenir un permis de voyager, ou la possibilité de se faire soigner même à l’intérieur, etc. Mais imaginez si chaque repas devenait l’occasion de vous soumettre à un chantage !

Ajoutons à cela que ces « bulles » sont des zones géographiques créées par la force de l’arme alimentaire, mais elles existent par ailleurs en tant que bases sécuritaires avec leurs murs et gardes militaires. Elles vont par conséquent démembrer la géographie et permettre la spoliation de ce qui les entoure, puis contrôler la démographie dans toute la région, de par la liberté qu’elles auraient à bombarder tout ce qui se trouve en dehors de la bulle et à sélectionner qui pourrait y entrer ou pas.

Nous sommes confrontés à l’une des idées les plus perverses de l’histoire de l’humanité, qui recourt au crime d’affamer pour réaliser un autre crime, celui du déplacement forcé, puis celui de la spoliation des terres occupées et le crime de la torture (c’est-à-dire le chantage, l’interrogatoire, et la privation de nourriture juste parce que vous avez appartenu à une faction politique à l’université. Il s’agit là de tortures qui avaient rarement cours, même dans les prisons israéliennes) …Il s’agit là de quelque chose que les mots ne peuvent décrire.

Faisons à présent une remarque sur les détails du projet. Toutes les informations actuellement disponibles nécessitent l’extrême prudence quant à leur présentation et leur analyse, car tout ce qui a été publié fait partie d’une campagne de relations publiques menée par la société de sécurité américaine et son propriétaire israélien. Les premières fuites ont commencé via des comptes suspects sur Telegram et Twitter, puis une interview marketing dans Yediot Aharonot. Il semble que la campagne vise à faire pression et à convaincre les gouvernements israélien et américain de se décider.

La situation est grosso modo la suivante : Cette société (GDC) recevra 200 millions de dollars et travaillera en coopération avec le fournisseur de mercenaires « Constellis », propriétaire de la sinistre « Blackwater ». Le propriétaire de l’entreprise de sécurité déclare que les mercenaires potentiels sont américains, britanniques et français , choisis parmi ceux qui ont combattu en Irak et en Afghanistan. Tandis que d’autres sources affirment que ceux qui participeront à l’opération sont « uniquement des diplômés de la CIA ».

Il n’est pas clair si le contrat a été définitivement établi. Mais l’entreprise a présenté son plan depuis au moins mai 2024. Certaines sources rapportent que le Conseil criminel restreint l’a approuvé, mais qu’il attend l’accord formel des États-Unis, puisque chaque société de sécurité enregistrée aux États-Unis a besoin de l’approbation du Département d’État pour pouvoir fournir ses services à travers le monde. D’autres sources affirment que Biden est concerné par le plan et que celui-ci est aux dernières étapes de coordination entre Jack Sullivan et le propriétaire israélien de l’entreprise américaine, qui soutient, lui, que s’il réussit, ce plan sera une « alternative à la gouvernance » et « le lendemain » à Gaza.

D’après le plan expérimental, la première « bulle humanitaire » sera implantée dans la région d’al-Atatra à Beit Hanoun. La zone est censée être sécurisée par 1 000 mercenaires américains, chargés également de sécuriser l’accès des camions. L’entreprise affirme que la « bulle » sera pourvue de tout le nécessaire humanitaire et que les installations et les logements seront reconstruits grâce à un investissement de 90 millions de dollars. Le plan prévoit aussi la nomination d’un « cheikh local » qui sera chargé de la communication et de la coordination avec et l’entreprise américaine et l’armée israélienne. Il va de soi que les mercenaires ont le feu vert pour tirer sur toute personne qu’ils considèrent comme une « menace ». Si l’expérience d’al-Atatra aboutit, elle serait reproduite dans deux zones supplémentaires à Jabalia.

Quant aux dangers et différents scénarios, ils sont terrifiants, que les informations soient exactes ou non, qu’Israël soit sérieux dans sa mise en œuvre du projet ou pas, et même que le plan réussisse ou échoue…

1/ A supposer que le plan ne sera pas effectivement mis en œuvre, le fait de promouvoir un tel projet, et de prétendre vouloir le réaliser constitue – comme la jetée dans la mer – une couverture pour poursuivre ces massacres et destructions inédits dans l’histoire, et pour perpétuer l’indescriptible tragédie humaine. Continuer à user du feu sous couvert de projets technologiques complexes ajoutera sur le long terme à l’actuel enfer, des méandres administratifs faits de contrats, de litiges, d’obstacles et d’amendements, et nous vivrons encore des années de carnage, de famine et de destruction, pendant que l’Occident s’amuse à expérimenter ces « solutions créatives »…En outre, qu’il soit mis en œuvre ou non, ce projet sera une couverture pour durcir les restrictions déjà imposées aux équipes des organisations internationales d’aide humanitaire (qui sont déjà ciblées), ce qui conduira à les empêcher complètement de travailler dans la bande Gaza sous le prétexte de ce projet, s’en suivra alors l’aggravation de la famine et les privations pour tous ceux qui restent en dehors des « bulles humanitaires ». En plus de cela tout type de contrôle et de relais d’informations seront interdit, or c’est le rôle de ces organisations pratiquent et il offre au monde un point de vue objectif de ce qui se passe à Gaza.

2/ Etant donné la dévastation hystérique dans le nord de la bande de Gaza –aujourd’hui, ils ont incendié des centres d’hébergement pour empêcher les gens d’y retourner – ces « bulles » pourraient devenir les seules zones vers lesquelles le retour est autorisé dans le nord, du moins à un horizon prévisible. Le sud de la bande de Gaza se trouvant actuellement dans un état indescriptible, le désastre va s’y amplifier et le déluge de feu va s’intensifier. Les gens vont donc forcément essayer de trouver refuges dans ces « bulles », qui se transformeront à leur tour en filtres sociaux et politiques, accessibles aux seules personnes qui bénéficient de la clémence d’Israël ou celles soumises à son chantage. Et quiconque restera à l’extérieur de la bulle sera susceptible d’être tué impunément. N’oublions pas qu’il s’agit essentiellement de bulles séparées et cernées de murs. En fait elles sont destinées à former de petites prisons de contrôle social. Peut-être, qu’à long terme, ces bulles se transformeront en « colonies » habitées par « le bon Palestinien » bien séparé du « mauvais Palestinien ».

3/Ce plan ouvre donc la voie à l’implication directe des sociétés de sécurité internationales en Palestine. Jusqu’à présent elles y ont toujours été mêlées de manière limitée, comme pour sécuriser les check points ou les colonies en Cisjordanie par exemple. Le recours à ces sociétés va probablement s’accroître, notamment avec l’épuisement des capacités humaines de l’armée d’occupation et le manque de combattants. Une telle perspective changera complètement la forme de la guerre, ouvrira la porte à divers services de renseignement étrangers pour opérer directement en Palestine et prolongera ainsi la durée de la guerre bien au-delà de ce que nous avions supposé. Si cette guerre est incitée par des entreprises de vente d’armes et des systèmes de contrôle et de surveillance, l’entrée dans la dance de sociétés de sécurité privées et de mercenaires imposera, elle, sa poursuite à jamais. Cependant, c’est une porte dangereuse pour Israël aussi, qui représentera une grave perturbation dans la structure des relations entre l’armée, le secteur privé (qui comprend d’énormes entreprises de sécurité) et la société israélienne. Tout cela doit être compris en considérant l’orientation de l’économie israélienne vers la privatisation depuis quarante ans, mais plus précisément en observant le statut des élites de l’armée de l’air et le Mossad ashkénaze (qui a retrouvé son prestige durant cette guerre) qui exigeront le règlement de la facture en termes d’hégémonie sociale face à d’autres courants sociaux représentés par Netanyahu. Il s’agit là d’un compte ouvert entre eux bien avant la guerre.

4/Enfin le pire et le plus dangereux des cauchemars, le scénario qui devrait vraiment nous terrifier même s’il est imaginaire et presque impossible, est le suivant : l’utilisation des forces de renseignement les plus secrètes et les plus sombres, israéliennes et non israéliennes, afin de créer dans la situation de chaos total qui règne dans la bande de Gaza, de groupes qui mèneraient des opérations ciblant les civils au sein des « bulles humanitaires », pour attribuer ensuite ces opérations à des mouvements de résistance et affirmer qu’ils (les Palestiniens) ciblent leur propre communauté pour contrecarrer le projet. Cette possibilité est à craindre si on lit entre les lignes de l’interview que le propriétaire de la société de sécurité a donnée à Yediot Ahronot, et dans laquelle il a répété à souhait l’expérience de leur intervention en Irak, en Afghanistan et en Syrie. Bien qu’il semble pour l’instant imaginaire, ce scénario, pourrait mettre Gaza dans une situation de conflit civil terrifiant, à travers des opérations inconnues et faussement attribuées aux mouvements de la résistance. Des formations de combattants pourraient émerger du chaos de la guerre, surtout si ces « bulles » se transforment en « bases » de sécurité pour les Israéliens… Mais pour rester réaliste : ce scénario est très lointain ; (a) d’abord en raison de la structure sociale et culturelle de Gaza unifiée par l’exiguïté géographique, le long blocus et la tragédie commune ; – (b) ensuite parce qu’à plus long terme, la petite superficie de la Palestine historique ferait d’un tel chaos un danger direct pour Israël aussi, car il n’y aurait aucune garantie de pouvoir le contrôler.

Encore une fois, ce qui a été publié jusqu’à présent à ce sujet n’est pas innocent et ces informations doivent être lues avec une extrême prudence. Cependant, la plupart des dangers sont plausibles même si le plan échoue sur le terrain. Quoi qu’il en soit, et dans une perspective plus large, le plus grand danger reste le même : l’expansion des labyrinthes administratifs et techniques internationaux privatisés et l’élaboration d’une branche d’ingénierie sociale pour la dévastation humaine en Palestine. Cette arme est un élément essentiel sur lequel repose le régime d’extermination instauré à Gaza.

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Traduit de l’arabe par Saïda Charfeddine pour l’Agence Média Palestine

Source : Facebook de Majd Kayyal

Majd Kayyal est chercheur et écrivain de Haïfa, Palestine

A lire aussi, cette analyse publiée le 21 octobre dernier : The Israeli-American Businessman Pitching a $200 Million Plan to Deploy Mercenaries to Gaza

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Majd Kayyal

Majd Kayyal est chercheur et écrivain de Haïfa, Palestine,

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