Alors que nous attendions le dépôt du projet de loi qui devait modifier la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST), la pandémie mondiale engendrée par la COVID-19 a frappé la population de plein fouet et le Québec entier s’est retrouvé confiné. Or, les travailleuses et travailleurs oeuvrant dans des secteurs d’activité essentiels ont dû continuer à se présenter au travail, malgré les risques pour leur santé et celle de leurs proches.
Dès le début de la pandémie, plusieurs craintes se dessinaient, on apprenait que les réserves d’équipement de protection individuelle (ÉPI) étaient basses. Le personnel de la santé risquait de manquer de matériel de protection. On nous rapportait que, sur certains lieux de travail, les gestionnaires rationnaient les masques. On cherchait des méthodes qui permettent de nettoyer les masques N95 pour pouvoir les réutiliser. On demandait au personnel de ne les utiliser que si c’était absolument nécessaire. [1]
Rappelons que la LSST prévoit que l’employeur doit fournir les équipements nécessaires à la protection des travailleuses et travailleurs. Les employeurs sont aussi tenus de mettre en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour les protéger. Toutefois, de nombreux syndicats ont dû se battre pour que les employeurs respectent leurs obligations. Parmi tant d’exemples, on peut penser à la Société de transport de Montréal (STM) où les chauffeuses et chauffeurs d’autobus ont pris l’initiative de ne laisser entrer les gens que par l’arrière des autobus ou encore à la Société des alcools du Québec (SAQ) où il a fallu mener des luttes syndicales pour que l’employeur accepte de revoir les mesures en place dans les succursalespour protéger le personnel. [2] [3] La STM fait d’ailleurs mauvaise figure dans ce palmarès, car le Syndicat du transport de Montréal (employé-es d’entretien) a aussi dû mener une bataille devant l’employeur pour protéger ses membres. [4]
Il ne faut surtout pas oublier que dans ce court bilan, ce sont les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) qui ont été frappés le plus durement par la pandémie. Le nombre de décès dans les CHSLD est un drame humain innommable. Il est essentiel de considérer le mouvement de personnel d’un CHSLD à l’autre ainsi que le recours au personnel d’agences de placement temporaire comme des facteurs pouvant avoir participé à répandre le virus. Mais il faut également le considérer comme un élément portant gravement une atteinte à la santé et la sécurité des travailleuses et des travailleurs. Il s’agit d’une illustration criante soulignant à grands traits que l’organisation du travail peut avoir des impacts importants sur la santé et la sécurité du travail.
Somme toute, cette pandémie mondiale a permis de constater certaines défaillances dans les mesures de protection des salarié-es, mesures de protection qui se trouvent essentiellement dans la LSST et dans la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP). On peut ainsi constater qu’en 2020, des luttes ont dû être menées pour que toutes et tous soient convenablement protégés au front. La santé et la sécurité au travail ont été au premier plan durant cette crise sanitaire sans précédent, nous prouvant ainsi qu’elles sont essentielles et qu’elles se doivent d’être améliorées pour le bien collectif des travailleuses et des travailleurs.
Des mesures de prévention pour toutes et tous
Lorsque le Québec s’est doté de la LSST, en 1979, la province faisait bonne figure avec la loi canadienne la plus progressiste en matière de protection de ses travailleuses et travailleurs. Toutefois, au fil des ans, cette avance s’est atténuée, et ce, jusqu’à aujourd’hui. C’est pourquoi le Québec traîne maintenant en fin de peloton. Alors que d’autres provinces ont amélioré leurs lois, le Québec n’a pratiquement pas fait évoluer la LSST et plusieurs pans de celle-ci ne sont toujours pas en application quarante ans plus tard.
Lors de sa création, il avait été prévu que les six groupes prioritaires seraient dotés de tous les mécanismes de protection prévus à la loi. Toutefois, après la mise en application partielle pour le groupe III, en 1985, le gouvernement a cessé d’implanter ces mesures dans les autres secteurs (voir p.5). En d’autres mots, 75 % de la force de travail québécoise n’est pas protégée par l’ensemble des mécanismes de prévention prévus par la loi. Or, les statistiques nous démontrent que lorsque des mesures de prévention sont en place, il y a moins d’accidents, de maladies professionnelles et de décès au travail. Alors que plus de 5 000 travailleuses et travailleurs de la santé ont été infectés par le virus on ne peut que constater que la loi les protège de manière inadéquate : ce secteur n’est en effet toujours pas couvert par l’ensemble des mécanismes de prévention prévus par la LSST. [5]
De plus, le personnel provenant d’agences de placement se trouve dans un quasi vide juridique : est-ce l’agence ou l’entreprise cliente qui est responsable de mettre en application la loi ? Qui doit fournir les équipements de protection individuelle ? Qui doit former et informer les employé-es ? [6] La LSST devrait être claire et, par le fait même, avoir plus de dents pour faire appliquer la loi.
Pour ces raisons, il est impératif que toutes et tous soient couverts par des mesures de prévention. La LSST est en vigueur depuis plus de 40 ans. Il est plus que temps que la loi cesse de discriminer certaines personnes sous des prétextes futiles. Parce que la santé et la sécurité au travail, c’est l’affaire de toutes et tous !
La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles
La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP) a été adoptée en 1985 et comprend une liste de maladies professionnelles reconnues. Cette liste n’a pas été mise à jour depuis 35 ans. [7] Lorsqu’une maladie figure dans cette liste et que la travailleuse ou le travailleur occupe un travail qui y est associé, c’est l’employeur qui a le fardeau de la preuve de démontrer qu’il ne s’agit pas d’une maladie professionnelle. Toutefois, lorsque la maladie ne figure pas sur la liste, c’est la travailleuse ou le travailleur qui doit démontrer par une preuve scientifique prépondérante qu’il s’agit bien d’une maladie liée au travail. Comme les employeurs contestent de plus en plus souvent les déclarations déposées à la Commission des normes de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST), le processus d’indemnisation est inutilement judiciarisé. Il ajoute également une pression supplémentaire pour la personne accidentée ou malade.
La CNESST a admis que les personnes atteintes de la COVID-19 pouvaient, sous certaines conditions, être indemnisées. [8] La travailleuse ou le travailleur devra toutefois démontrer « de façon prépondérante » avoir été en contact avec le virus sur son lieu de travail, ce qui n’est pas toujours évident lorsqu’on fait face à un virus invisible. Il s’agit d’une belle illustration de la nécessité d’avoir un mécanisme souple, afin de pouvoir réagir rapidement et collectivement à des situations imprévues pour permettre l’allégement du fardeau de la preuve qui pèse individuellement sur les épaules de ces travailleuses et travailleurs.
Comme le démontre trop bien la pandémie causée par la COVID-19, la population n’est pas à l’abri d’urgences sanitaires. Et les lois qui la protègent en matière de santé et sécurité ne sont pas adaptées. Une liste de maladies professionnelles restreinte ne peut pas protéger la population de manière convenable. Il faut que la LATMP prévoie des mécanismes de mise à jour rapide de la liste des maladies professionnelles afin d’ajouter des maladies émergentes pour protéger adéquatement la population québécoise.
Faire un pas en avant pour la protection des travailleuses et travailleurs
Si cette pandémie nous a appris une chose en matière de santé et sécurité au travail, c’est que la prévention est la clé pour s’assurer d’avoir des travailleuses et travailleurs en santé. Il faudra faire une réflexion franche sur les problèmes rencontrés comme la pénurie de matériel de protection qui a causé un rationnement dans certains milieux de travail ou la pression que les organisations de travailleuses et de travailleurs ont dû exercer sur leur employeur pour que ces derniers mettent en place des mesures adéquates. D’ailleurs, il ne faut pas minimiser les besoins des travailleuses et des travailleurs au front postérieurement à la COVID-19. Des services d’aide devront être offerts aux membres du personnel de la santé et des services sociaux, qui sortiront épuisés de la pandémie, autant physiquement que psychologiquement. Avant la crise sanitaire, ces travailleuses et travailleurs étaient déjà au bout du rouleau. Ceux-ci ont soigné la population québécoise parfois au détriment de leur santé et de leur famille.
Aujourd’hui, plus que jamais, il faut prendre conscience collectivement de la nécessité criante de la réforme de la LSST et de la LATMP. Pour que cette réforme soit réellement utile, il est essentiel que les travailleuses et travailleurs ainsi que les organisations syndicales, communautaires et civiles qui les représentent soient partie prenante du processus. Il est primordial d’aller au-delà d’une simple consultation publique. Il faut procéder à une réforme en profondeur, une réforme digne des travailleuses et travailleurs québécois. Retrouvons la dorure du passé en matière de santé et sécurité au travail. Ensemble, nous pouvons y arriver ! [9]
Le comité d’action en santé- sécurité du CCMM-CSN remercie Roch Lafrance de l’UTTAM pour son aide.
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