Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Pour un Québec pluriel

Plusieurs personnes soutenant l’option A ont signé un texte paru dans l’édition du Devoir du 22 mars dernier. Le Conseil national de Québec solidaire aura lieu dans quelques jours et nous en sommes aux derniers échanges avant de prendre une décision. Il nous apparaît important de rappeler quelques éléments de notre programme et de revenir sur l’historique des positions que nous avons prises ainsi que des leçons qu’il faut en tirer.

Québec solidaire a inscrit dans son programme en 2009 qu’un modèle de laïcité doit être conçu comme la combinaison de la neutralité des institutions publiques sur le plan des croyances (incluant le scepticisme et l’incroyance) avec la liberté, pour l’individu, d’exprimer ses propres convictions, dans un contexte favorisant l’échange et le dialogue. Il ajoute qu’un gouvernement solidaire prendra tous les moyens pour lutter efficacement contre l’exclusion, le racisme, le profilage racial et la xénophobie qui, avec le sexisme et l’homophobie, représentent autant d’entraves à la construction d’un Québec diversifié, pluraliste et inclusif.

Enfin concernant la question du port des signes religieux il ajoute que c’est l’État qui est laïque, pas les individus. Québec solidaire accepte le port de signes religieux par les usagers et les usagères des services offerts par l’État. En ce qui concerne les agents et agentes de l’État, ces derniers peuvent en porter pourvu qu’ils ne servent pas d’instrument de prosélytisme et que le fait de les porter ne constitue pas en soi une rupture avec leur devoir de réserve. »

En 2013 nous avons connu une certaine dérive alors que le comité de coordination national (CCN) dont je faisais partie, a adopté la position qui sera défendue par notre Porte-parole parlementaire, Françoise David avec le projet de loi 398 intitulé Charte de la laïcité de l’État québécois. Ce projet de loi stipulait notamment que : « La présente Charte n’a pas pour effet de restreindre le droit d’un fonctionnaire ou d’un employé de l’État de porter un signe religieux visible dans le cadre de ses fonctions sauf s’il s’agit d’un juge, d’un procureur, d’un policier, d’un gardien de prison ou d’une autre personne qui est autorisée à exercer de la coercition au nom de l’État et qui doit faire preuve d’une impartialité absolue en fait et en apparence. »

Cette position était à mon avis dangereuse en ce qu’elle ouvrait la porte à une stigmatisation ciblée en particulier par rapport aux femmes qui portent le hijab. Mais dans le contexte de la Charte des valeurs du PQ, je me suis laissé convaincre que cette position nous permettrait de nous insérer dans le débat et par conséquent d’amoindrir la portée de la campagne du PQ en ramenant le débat sur une position mitoyenne.

Cela n’a pas été le cas, c’est la charte des valeurs du PQ qui a attiré toute l’attention et fait des dommages immenses à la société québécoise. Pire, elle nous a placés en position de faiblesse parce que nous avions concédé le fait qu’il y avait une problématique particulière avec le hijab, puisque c’est bien de ça dont il était question. Cela nous a éloignés de notre position de reconnaissance des diversités ethnoculturelles et d’inclusion.

Le Bloc Québécois a utilisé à nouveau la même campagne de stigmatisation l’année suivante, rien n’ayant cessé, et nous sommes restés avec un boulet qui ne nous permettait plus de répondre adéquatement à cette situation.

Aujourd’hui l’histoire se répète. Comme plusieurs, les signataires du texte collectif paru dans Le Devoir sous le titre Québec solidaire et la laïcité : choisir la cohérence, ignorent cette histoire récente et les leçons qu’il faut en tirer. Ils affirment que, si on ne continue pas à interdire le port de signes religieux aux policier.ère.s, juges, procureur.e.s de la Couronne et gardien.ne.s de prison… nous continuerons à enfermer le Québec dans un clivage vieux de 12 ans portant uniquement sur les signes religieux, un enlisement qui ne fait que contribuer à la stigmatisation de certain.e.s de nos concitoyen.ne.s, notamment de confession musulmane.

Si le constat est réel en ce qui concerne la stigmatisation de la population musulmane, la conclusion est fausse. Elle est biaisée par un illogisme qui affirme que nous avons été enferméEs dans un clivage pendant 12 ans mais que nous devons poursuivre une politique qui de toute évidence n’a pas eu de prise sur ce clivage. Parce que dans les faits cette approche a déjà été tentée et cela a justement donné l’effet inverse. C’est la position que nos PP défendent depuis six ans déjà et rien n’a cessé, la stigmatisation et l’intolérance a continué parce qu’elle est toujours alimentée. Et nous n’avons pu proposer que peu d’alternatives avec la position basée sur notre projet de loi de 2013 qui nous empêchait de nous dissocier complètement de cette logique basée sur des préjugés anti musulmans. Il ne s’agit donc pas d’une nouvelle politique qu’il faut essayer. On a joué à ce jeu et on a perdu, l’intolérance n’a pas reculé, au contraire.

Dans le contexte actuel, après l’instrumentalisation qu’en a fait l’ADQ, le PQ, le BLOC et maintenant la CAQ sans oublier le PLQ qui a adopté une loi discriminatoire et refusé une commission d’enquête concernant le racisme systémique, voulons-nous vraiment continuer à jouer dans la même cour qu’eux ?

À ces questions Ève Torres répond que tout cela est une crise inventée. Selon La commission des droits de la personne et de la jeunesse il n’y a pas eu de problématique des accommodements raisonnables, les demandes d’accommodements religieux étaient extrêmement minimes, on parle d’à peine 1 %.

Les positions que ces partis ont avancées ne sont donc pas portées par des faits réels ni par une crise qu’il faut résoudre mais par une utilisation politique consciente des préjugés à des fins électoralistes. Voilà ce à quoi nous devons répondre. Québec solidaire doit se démarquer de ces politiques de partis de pouvoir et affirmer que nous avons à cœur la construction d’un Québec diversifié, pluraliste et inclusif. Nous devons réussir pour ne pas laisser les politiques de division sur des bases ethnoculturelles prendre le dessus. Nous serons le seul parti mais certainement pas les seuls à le dire, construisons un Québec pluriel !

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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