Édition du 19 novembre 2024

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Pour le professeur Pappé, Israël a choisi d'être un État "raciste et d'apartheid" avec l'appui des États-Unis

D.N. Amy Goodman : (…) nous rejoignons à Haïfa en Israël, M. Ilan Pappé, professeur d’histoire et directeur du Centre européen pour les études sur la Palestine à l’Université d’Exeter en Grande Bretagne. Il a publié de nombreux ouvrages. Le plus récent s’intitule : The Idea of Israel : A History of Power and Knowledge.

Democracynow.org, 28 juillet 2014,
Traduction, Alexandra Cyr

Soyez le bienvenu à Democracy Now ! Au moment ou nous nous parlons, un peu plus qu’un millier de PalestinienNEs ont été tuéEs et, je pense, 45 soldats et 3 civils israéliens ont également été tués. Pouvez-vous nous parler des dernières négociations pour un cessez-le-feu et que pensez-vous qu’il doive se passer (maintenant) ?

Ilan Pappé  : Heureux de participer à votre émission, Amy. Il n’y a pas de signe de cessez-le-feu sur le terrain. On observe par ailleurs, deux initiatives concomitantes : celle de l’Égypte en accord avec Israël qui veut obliger le Hamas à revenir au statut quo ante. Il s’agit en quelque sorte de sa marginalisation en ignorant complètement les raisons pour lesquelles il se bat. Par ailleurs, une initiative plus sérieuse a cours ; le Secrétaire d’État des États-Unis, M. J. Kerry avec l’aide du Qatar et de la Turquie, tente de prendre en compte de ce qui est au cœur de la présente vague de violence. Mais, pour le moment, ni l’une ni l’autre de ces tentatives n’a donné de résultat sauf une certaine accalmie au cours des dernières heures.

A.G. : Il y a eu des manifestations à Tel Aviv. Combien y avait-il de protestataires ? Et aussi à Haïfa, car il y eu des manifestations à Haïfa également ?

I.P. : Oui, oui ! À Haïfa il y avait à peu près 700 personnes ; à Tel Aviv 3,000. Je dois dire qu’une grande partie de ces gens étaient de citoyenNEs palestinienNEs d’Israël. Alors, le nombre d’IsraélienNEs qui ont assez de courage pour sortir protester est moins grand que ce que ces chiffres l’indiquent. Il y a eu une réaction particulièrement vicieuse de la part de manifestantES de droite et très dure de la part de la police au cours de ces manifestations.

A.G. : Qu’estimez-vous le plus important à faire comprendre à propos de ce conflit ?

I.P. : Je pense que c’est le contexte historique qui est le plus important à comprendre. Quand vous entendez les propos des médias dominants parlant de ce qui se passe à Gaza vous êtes sous l’impression que tout a commencé par la décision irresponsable du Hamas de lancer des roquettes sur le territoire israélien. Cela ne tient pas du tout compte de deux éléments historiques fondamentaux. Le premier remonte à juin de cette année. Israël a décidé d’utiliser la force pour tenter de détruire politiquement le Hamas en Cisjordanie pour empêcher qu’un gouvernement unifié en Palestine essaie de poursuivre Israël pour crimes contre les droits humains et les droits civiques.

L’autre élément historiquement plus profond remonte à 2005. Depuis ce temps, la Bande Gaza, les habitantEs de la Bande Gaza sont incarcéréEs comme des criminelLEs sur un territoire géopolitique avec lequel Israël ne sait pas quoi faire. Leur seul crime est d’être PalestinienNEs. Et lorsqu’ils ont démocratiquement élu une organisation qui s’engageait à lutter contre cette ghettoïsation ou ce siège, Israël a réagit avec la force. Donc c’est ce contexte historique plus large qui explique l’actuelle tentative désespérée de sortir de cette situation (…) c’est au cœur du problème ; donc on peut le résoudre. Cela peut se résoudre en mettant fin au blocus et en permettant aux Gazaouis de sortir pour se rendre en Cisjordanie, rencontrer leurs familles, d’être en contact avec le reste du monde et de ne plus vivre dans des conditions que personne d’autre n’expérimente dans le monde en ce moment.

A.G. : Professeur Pappé, au cours de la fin de semaine dernière le correspondant de la BBc, Jon Donnison, rapportait ce qu’on a appelé l’admission d’Israël que le Hamas n’était pas responsable de l’assassinat des trois adolescents israéliens en Cisjordanie en juin. Sur Twitter, M. Donnison a dit que le porte-parole de la police israélienne, M. Micky Rosenfeld, lui a dit que les suspects de ces meurtres étaient d’une seule cellule affiliée au Hamas mais qui n’opère pas sous son commandement. Qu’est-ce que cela signifie ?

I.P. : Cela signifie beaucoup. Tous les IsraélinNEs ont entendu parler de cette capture et de l’assassinat de ces jeunes colons. Il était très clair que le gouvernement cherchait un prétexte pour tenter et lancer une attaque militaire contre la Bande de Gaza et la Cisjordanie dans le but de revenir à la situation qui prévalait en Palestine durant le processus de paix qui a échoué. En quelque sorte il pourrait avoir l’esprit tranquille et poursuivre la colonisation de la Cisjordanie sans devoir modifier son attitude ou ses politiques. Mais, en Cisjordanie, la dépression économique, la frustration, la rage, spécialement en mai dernier après le meurtre de 5 jeunes Palestiniens par l’armée israélienne, ont éclaté dans des actions locales qui n’avaient rien à voir avec le Hamas. C’était une tentative qui devait donner à Abu Mazen, (Mahmoud Habbas) l’espace nécessaire pour la création d’un gouvernement d’unité nationale, pour ensuite se tourner vers les Nations Unies et les instances internationales pour arriver a faire valoir la responsabilité d’Israël dans l’occupation et la colonisation qu’il maintient depuis 46 ans. Cela illustre les liens entre le prétexte, une politique et une stratégie qui ont déclenché le carnage actuel à Gaza.

A.G. : Finalement, Professeur Pappé vous avez enseigné pendant des années en Israël. Vous le faites maintenant en Grande Bretagne à l’Université d’Exeter. Vous êtes en ce moment à Haïfa. Est-ce que vous observez des changements dans votre pays ?

I.P. : Oui, et malheureusement, pour le pire. Je pense qu’Israël est à la croisée des chemins et a finalement décidé de quel côté il irait. Il devait décider s’il voulait être une démocratie ou un pays raciste, un État d’apartheid à partir des conditions et de la réalité du terrain. Je pense qu’en 2014 Israël a pris la décision de devenir un pays raciste et un État d’apartheid, pas une démocratie. Et il s’attend que les États-Unis approuvent tacitement ou concrètement cette position, lui fournisse l’immunité pour poursuivre l’application de cette politique envers les PalestinienNEs où qu’ils et elles se trouvent.

A.G. : Que pensez-vous que les États-Unis devraient faire ?

I.P. : Ils devraient appliquer les principes de base de la démocratie à Israël et reconnaitre ce qu’ils font : ils donnent un appui inconditionnel à un régime qui refuse systématiquement que les droits humains et civiques s’appliquent à tout autre que les Juifs entre le Jourdain et la Méditerranée. Si les États-Unis veulent soutenir ce genre de régime, (il l’a fait dans le passé), c’est OK. Mais s’ils veulent envoyer un autre message au Proche-Orient, ils doivent changer de programme en matière de droits humains.

A.G. : En deux secondes….

I.P. : Oui ! Pour les droits humains et civiques en Palestine !

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