Platon. 2006. Les lois : Livres VII à XII. Traduction par Luc Brisson et Jean-François Pradeau. Paris : Garnier-Flammarion, 427 p.
Livre VII
Le Livre VII s’intéresse à l’éducation du citoyen et à la façon d’élever la progéniture. Impossible pour le législateur de tout prévoir et de tout couvrir ici. L’éducation de l’enfance vise le corps qui est appelé à connaître une croissance importante de la naissance à la cinquième année (p. 12). Ce corps qui a besoin d’exercices et de mouvement (le mouvement est réputé bon autant pour le corps que pour l’âme), même quand on le retrouve « dans le ventre de leur mère » (p. 13). L’Étranger d’Athènes soutient la thèse « qu’une vie bien réglée ne doit ni poursuivre les plaisirs ni inversement fuir totalement […] les douleurs, mais s’attacher à ce juste milieu » (p. 20). Il importe donc, de s’intéresser à tout ce qui peut concourir à l’avènement de la création du nouvel homme qui a pour nom : « homme divin » (p. 20).
La cohésion de la cité suppose que s’arriment les unes aux autres les « coutumes non écrites », les « lois des ancêtres », les lois « déjà écrites » et « celles qui restent à promulguer » (p. 21). Platon s’intéresse à ce qui dans l’éducation est du ressort de l’instruction. Garçons et filles joueront ensemble de l’âge de trois ans à six ans inclusivement (p. 22), « au-dessus de six ans, la séparation des sexes s’impose » (p. 23). Il faut apprendre aux garçons « le maniement des armes » et il en ira de même pour les filles sous réserve qu’elles le veuillent bien (p. 23).
Les études qui profiteront au corps sont en lien avec la gymnastique (la danse et la lutte) et celles qui sont bénéfiques à l’âme relèvent de la musique (p. 25). Il n’y a qu’un seul type de changement qui trouve grâce aux yeux de Platon : le « changement qui transforme en bien ce qui est mal, on ne trouvera rien de beaucoup plus périlleux que le changement » (p. 28), précise-t-il. Il faut que les jeux restent fixes et identiques d’une génération à l’autre. La permanence est préférable, selon Platon, aux changements sans fins (p. 29). Voilà que s’expose la crainte du changement, puisque ce qui est dynamique est difficile à contenir, à maîtriser, mais surtout risque de briser un cadre d’autorité et d’ordre. Mais la sagesse n’exige-t-elle pas un processus de développement ? La formation du sage ne possède-t-elle pas une valeur transformatrice de l’adepte ?
Puisque la permanence est, aux yeux de Platon, nettement préférable à une cité que le changement, trois lois obligeront les poètes à prononcer des paroles « de bon augure » (p. 34). Les poèmes et les chansons devront se conformer aux lois de la cité et seront soumises à la censure (p. 36). Puisque, aux yeux de Platon, « les garçons se distinguent par un penchant à la grandeur et au courage et que les filles se distinguent au contraire par une incitation qui pousse plutôt vers la réserve et la réflexion », les chants seront séparés « selon qu’ils conviennent aux femmes et aux hommes » (p. 38).
Dans le Livre VII Platon passe du droit familial à l’éducation du citoyen du fœtus à la vieillesse. Une proposition qui va au-delà du berceau au tombeau. Il renoue avec les exigences éthiques préalablement esquissées dans le Livre II. Il aborde les divers traitements à réserver à l’âme et au corps. Il distingue ce qui relève de l’éducation et ce qui appartient à l’instruction. Des distinctions seront établies en fonction du sexe. Il consacre quelques-uns de ses développements à l’importance essentielle de l’art (musique, danse, arts lyriques, et théâtre). Il est aussi question d’une éducation aux mathématiques qui sera réservée aux citoyens les plus doués. Il sera aussi question de l’importance de l’éducation physique dans la pratique de la chasse et de la découverte et de l’exploration du territoire civique. Nous sommes ici en présence d’un traité d’éducation qui aspire à couvrir toute la durée de vie du citoyen. Platon veut définir la manière d’éduquer et d’instruite les individus. Il précise le contenu d’une vie vécue à travers le respect de certains principes qui correspondent à la rectitude (p. 39). Platon voit les humains comme « des marionnettes, même s’il leur arrive d’avoir part à la vérité ». L’objectif qu’il se fixe est de définir comment « ils mèneront une vie conforme à leur nature » (p. 40). Est-ce vraiment une vie conforme à la nature ? Mais de quelle nature parle Platon ? Bien entendu, il vise la quête de la sagesse, dans une élévation de l’âme de tous et chacun. Force est d’admettre un rôle primordial accordé encore une fois à l’éducation et l’instruction, dans une intention moraliste certes, ce qui sous-entend un apprentissage de la loi (morale et loi étant reliées). Ainsi, Platon rapproche la notion d’équilibre à celle d’ordre.
Étant donné qu’il y a des endroits où les femmes sont en mesure de se battre comme les garçons, les personnes de ces deux sexes doivent « s’entraîner d’égale façon » (p. 41). Il faut éviter que le législateur de la nouvelle cité commette la faute de légiférer en se contentant « de n’être qu’une moitié de cité au lieu de valoir le double » (p. 41). « En abandonnant le sexe féminin au laisser-aller et à une vie désordonnée, il le perd ; et en ne s’intéressant qu’aux hommes, au lieu du double ce n’est à peu près qu’une moitié de bonheur qu’il procure à la cité » (p. 43). Platon prévoit que « l’emploi du temps » de « l’homme libre » « soit réglé dans la totalité de sa durée, dirais-je, depuis l’aurore et jusqu’à l’aurore du jour » (p. 45). Pour ce qui est des enfants, dès le lever du jour, il faut les conduire « vers les maîtres pour qui les instruisent (p. 46). Ils apprendront « en premier lieu la lecture et l’écriture, en second lieu la pratique de la lyre et l’apprentissage du calcul (p. 47) et l’astronomie (p. 48). En bref, Platon craint l’oisiveté. Il prêche des journées occupées autant pour les enfants que les adultes, dans la mesure où leur attention sera toujours portée vers le bien-être de la cité et, par ricochet, le leur. Il nous lègue donc une oeuvre destinée à tout État aspirant à créer la Cité juste.
Platon recommande aux gardiens des lois et aux éducateurs d’appuyer leur enseignement sur son propre ouvrage : Les lois (p. 52). La musique concourra à la formation morale, alors que la danse et la lutte permettra aux humains de s’exprimer oralement quand leur corps est en mouvement (p. 59). Les œuvres des auteurs de tragédies seront scrutées des très près par les magistrats. Elles pourront même être interdites de diffusion si elles n’atteignent pas de hauts standards de qualité (p. 61). Les hommes libres devront se former au calcul, à la géométrie (le calcul des longueurs, des largeurs et des profondeurs) et de l’astronomie (p. 62). Cette formation ne sera pas « l’affaire du grand nombre, mais seulement de quelques-uns » (p. 62), comprendre l’élite ici. Pourquoi ces disciplines en particulier ? Parce qu’il y a là-dedans quelque chose qui rapproche du divin (p. 63 à 72).
Le Livre VII se clôt sur la législation encadrant la chasse (qui sera limitée aux quadrupèdes) et à la pêche (qui se pratiquera à des endroits spécifiques selon des méthodes codifiées). Le « bon citoyen », selon Platon, est celui qui est « le serviteur le plus fidèle des lois » (p. 73). « Ici prennent fin, devons-nous dire, tous les règlements touchant l’éducation » (p. 75). Ce que nous ne contestons pas…
Pour conclure
Platon met de l’avant toute une série de réformes à envisager pour cette nouvelle cité à inventer « en paroles d’abord » (Tome I, Livre III, p. 214). Il se pose donc en réformateur, mais une fois ses réformes acceptées, il prône une sorte de conservatisme immuable pour certaines d’entre elles :
« Tout le monde considère, comme je viens de le dire, que les changements qui interviennent dans les jeux des enfants ne sont en réalité que des jeux, que ce n’est pas du plus grand sérieux et que cela […] n’entraîne pas le plus grand dommage. Dès lors, au lieu de les empêcher, on laisse aller et l’on suit, sans réfléchir à ceci : les enfants qui innovent dans leurs jeux seront forcément des hommes bien différents de ceux que sont devenus les enfants du premier groupe ; devenus autres, ils chercheront à vivre autrement et ainsi, dans cette recherche, ils auront envie de conduites et de lois différentes. Ce qui s’ensuit, la menace du mal dont tout à l’heure nous disions qu’il était le pire pour la cité, personne ne s’en inquiète. […] Les changements qui n’affectent que l’apparence extérieure auraient des effets moins funestes. Mais les changements fréquents de ce qui touche à l’éloge et au blâme que méritent les mœurs seraient entre tous, j’imagine, les plus graves et ceux contre lesquels il faut le plus se prémunir » (p. 29).
Platon se pose en réformateur des institutions politiques et de la législation. Il veut par contre introduire des lois et des pratiques immuables qui englobent plusieurs aspects de la vie publique et de la vie privée. Platon ne traite pas les personnes en tant que personnes libres, il les voit comme une composante d’un troupeau duquel doit en ressortir « l’homme divin ». Les humains se sont montrés plus diversifiés et prompts aux changements que ne le soupçonnait Platon. Les modèles ont souvent été reconfigurés. Il n’existe pas de modèles naturels immuables chez des êtres culturels. Voilà un autre exemple de sa crainte du changement pourtant impossible d’empêcher.
Livre VIII
Dans le Livre VIII, Platon décrit les normes qui président à la vie civique et qui encadrent la vie du citoyen adulte. Les personnages se prononcent sur les fêtes et les célébrations religieuses qui marquent la vie de la cité. « (A)près avoir consulté l’oracle de Delphes pour savoir quels sacrifices la cité aurait intérêt et avantage à offrir et à quelles divinités » (p. 76), il reviendra au législateur de fixer par des lois, « leurs dates et leur nombre » (p. 76). Les trois interlocuteurs se prononcent sur le contenu de l’entraînement guerrier et sportif. Ils se demandent quelle est « la cause qui fait que dans les cités, pour le moment, une telle pratique des chœurs et des combats n’existe nulle part et d’aucune manière, sauf à une toute petite échelle ? (p. 80) » L’ignorance ? Non. La réponse réside dans les deux raisons suivantes : la « passion de l’enrichissement » (p. 81) ou « la recherche insatiable de la richesse tout au long de sa vie » et l’imperfection inhérentes aux constitutions des régimes politiques existants : « la démocratie, l’oligarchie et la tyrannie »(p. 83). Ces régimes politiques sont fondés sur le « recours à la force ». Ils manquent de légitimité auprès des gouvernés (p. 83). Seule la constitution en voie d’élaboration pour la cité des Magnètes envisage la définition de citoyens « libres les uns à l’égard des autres ». Dans leur temps libre, ils ne se lancent pas à la recherche de richesses, la bonne éducation guerrière qu’ils ont reçue en font de bons « guerriers » (p. 83). Nos trois personnages abordent ensuite les mœurs sexuelles qui seront autorisées au sein de la cité (p. 89 à 98). Ils condamnent les perversions sexuelles, l’homosexualité et l’adultère. La sexualité doit se conformer à la nature (p. 94) et se soumettre à la loi (p. 97 à 99). Cet objectif sera atteint, selon Platon, à l’aide de trois facteurs : la religion, l’honneur et la passion pour la beauté de l’âme (p. 98-99). Il est ensuite précisé comment seront organisées les activités en lien avec la production (l’agriculture, l’artisanat), le commerce, les rapports de voisinage, les armes et instruments de guerre, l’approvisionnement, la disposition des habitations et la place du marché (p. 100 à 111).
Pour conclure
Dans ce Livre VIII, Platon s’intéresse principalement aux mœurs, aux modes de vie à inclure dans la constitution de la cité des Magnètes ; il est également question du fonctionnement des grandes activités économiques et de la place du marché. Au fond Platon profite de ce chapitre pour déterminer la manière dont l’adulte doit se comporter, c’est-à-dire dans une continuité de son enfance déjà passablement encadrée. Mais en quoi y a-t-il mal ? Rien du tout, selon Platon, car il faudrait plutôt y voir un immense bien. En effet, créer un cadre rigide et immuable favorise une reproduction sociale quasi parfaite, grâce à laquelle les conditions pour atteindre la sagesse seront maintenues. Cela implique donc de devenir aveugle à tout ce qui se passe en dehors des murs de la cité. Voilà une utopie qui rappelle bien les histoires de mondes perdus ayant préservé leur culte idyllique.
Il s’agit d’un affront majeur à Cronos. Le temps s’écoule et entraîne avec lui la vie et la mort, pour ne pas dire le mouvement de tout ce qui existe et même de la meilleure cité. Souhaiter l’inertie est contraire à la sagesse, au développement de l’âme, c’est vouloir maintenir l’enfant dans un corps adulte sous les ordres de quelqu’un d’autre.
Yvan Perrier
Guylain Bernier
6 décembre 2020
yvan_perrier@hotmail.com
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