Platon. 2006. Les lois : Livres I à VI. Traduction par Luc Brisson et Jean-François Pradeau. Paris : Garnier-Flammarion, 459 p.
Ce livre est un des derniers écrits de Platon et s’inscrit dans une espèce de continuité avec d’autres ouvrages que le grand maître à penser de la civilisation occidentale a consacré à la philosophie politique. Nous pensons plus particulièrement ici aux ouvrages suivants : La république et Le politique. Longtemps considéré comme un dialogue inachevé et qui aurait été complété par d’autres auteurs, aujourd’hui, selon Luc Brisson et Jean-François Pradeau, tout concourt à attester que « (l’)hypothèse qui veut que Platon se soit éteint, à quatre-vingt-un ans, sans parvenir à achever la rédaction de son ultime ouvrage reste toutefois invérifiable » (p. 8). Le dialogue se passe en Crête (entre Héraklion et l’antre de Zeus) et nous met en présence de trois personnages âgés : l’Étranger d’Athènes, le crétois Clinias et Mégille qui vient de Lacédémonie. L’ouvrage Les lois, à l’instar de La république, s’interroge sur la meilleure constitution fictive et la meilleure cité capables de rassembler et de former les citoyens les plus heureux et les plus vertueux. Dans ce livre Platon s’intéresse aussi aux méthodes qui accompagnent une pièce législative : la persuasion et la contrainte. Un des trois personnages est chargé d’élaborer la constitution et les lois de la colonie qu’il va créer. Les vieillards sont désignés comme étant les fondateurs et les législateurs de la future cité.
Livre I
Les trois personnages se mettent rapidement d’accord sur le fait que la meilleure constitution et la meilleure législation sont celles qui ont pour effet de rendre pleinement vertueuse la cité tout entière. Une cité est réputée vertueuse dans la mesure où elle s’appuie sur la totalité des vertus qui sont au nombre de quatre : la tempérance, le courage, la justice et la sagesse. Les cités de Sparte et de Crète ne répondent pas à ce critère. Elles n’en privilégient qu’une : le courage. Elles sont de véritables machines de guerres. Selon Platon, il existe trois sortes de guerres : celles qui sont conduites contre les puissances étrangères ; celles qui sont menées contre des éléments internes au groupe (une guerre civile) et celles qu’un homme mène contre lui-même en vue de faire triompher le meilleur qu’il a en lui. Dans une guerre civile, l’essentiel ne vise pas à éliminer l’adversaire mais au contraire à réconcilier les parties qui se combattent et s’affrontent. Le rôle du législateur consiste ici à susciter le soutien de la totalité de ses concitoyens. L’atteinte de cet objectif nécessite du courage. Le courage ne doit pas céder à l’agressivité ou à la violence. Tout comme d’ailleurs il ne doit rien céder aux plaisirs intempestifs. Les trois interlocuteurs s’intéressent aux divers moyens susceptibles de favoriser la tempérance dans la cité. Il faut développer la sagesse comprise comme tempérance qui s’obtient grâce aux moyens pédagogiques à développer à travers la législation. La loi doit favoriser la maîtrise des plaisirs communs surveillés (les repas pris en commun, la gymnastique, les banquets et surtout des mesures visant à contrôler l’ivresse). Les banquets et les activités collectives se dérouleront sous la présence d’un chef. Le chef de banquet sera sobre pour être en mesure de faire face à tout débordement. L’éducation est posée comme une activité qui s’adresse aux jeunes en vue de les doter d’une formation vertueuse qui en fera des citoyens justes et obéissants. Des citoyens capables d’obéir et de se faire obéir. L’éducation doit développer le goût pour la vertu et le respect des lois. Platon avance dans ce Livre I une première définition de la loi : « […] et quand ce calcul est devenu le décret commun de la cité, il porte le nom de loi » (p. 101).
Par l’allusion à un calcul, à un décret, cela signifie l’utilisation de la raison pouvant servir autant à contenir des pulsions personnelles qu’à orienter les pensées et les actions vers ce qui a été statué de vertueux, mais aussi à imposer un ordre ou une contrainte destiné soi-disant au bien-être commun. Par le nom de loi, Platon rapproche une morale à un devoir ou plutôt à une obligation envers la Cité. Et lorsqu’il parle de tempérance, de courage, de justice et de sagesse, comment pourrions-nous envisager l’aboutissement vers autre chose que le bien ? Il n’a pas de loi, s’il n’y a pas de morale ; il n’y pas de morale, s’il n’y a pas de vertu ou de valeur ; il n’y pas de vertu ou de valeur, s’il n’y pas de conscience et d’usage de la raison. En bref, il n’y pas de loi, s’il n’y a pas d’individus regroupés en collectivité, cherchant un moyen de vivre en commun dans un idéal désiré de bien-être.
Livre II
Les trois interlocuteurs poursuivent leur dialogue sur l’éducation et reviennent sur les remarques qu’ils avaient formulées au sujet de la finalité de l’éducation : permettre à l’homme d’exercer sa raison et détenir des opinions vraies. C’est dans les banquets que se trouve la garantie des effets de l’éducation. L’éducation est vue comme une maîtrise des affects, des plaisirs et des douleurs. Il revient à l’éducation musicale (la musique, le chant et la danse) de contribuer à l’atteinte d’une telle maîtrise[1]. La musique est une sorte de langage qui exprime l’excellence de l’âme. Il en va de même de la gymnastique qui exprime l’excellence du corps. C’est en vue d’atteindre cette fin que les banquets se dérouleront sous la surveillance des personnes âgées et vertueuses. L’éducation musicale collective devra inspirer aux citoyens un goût pour la vertu et le respect de la loi.
Platon descend déjà vers la nécessité d’assurer la permanence de la loi, bien sûr celle jugée comme étant la meilleure, c’est-à-dire celle qui repose sur les vertus de la sagesse. Voilà le rôle principal de l’éducation. Il s’agit de former les jeunes générations à l’équilibre de l’âme et du corps, à travers des préceptes destinés à leur inculquer la morale idéale, faisant en sorte de soutirer de la Cité les personnes les plus aptes à gouverner et à assurer la perpétuité de l’ordre vertueux. Nous pouvons reprocher à Platon de présenter sa Politique non seulement comme une utopie qui fait rêver, mais comme un acte volontaire de passer sous silence une intention totalitaire, dans la mesure où il tempère les conséquences pour ceux et celles qui ne respecteraient pas la loi à la lettre. Osons préciser que le totalitarisme apparaît au départ comme une voie vertueuse, toujours présenté d’un seul côté, comme la Lune dont on connaît peu la face cachée. Pourtant Platon base sa Politique sur la sagesse, à la fois discipline et vertu permettant d’éviter d’être emporté par les faussetés du sophisme, les calamités des débordements de la passion et de la folie guerrière… Comme nous l’avons dit, il y a toujours une face cachée ou encore un moyen d’utiliser une vertu pour engendrer le vice. En ce sens, quelqu’un dira être juste en condamnant un voleur, bien que pourtant il ait agi pour nourrir sa famille, parce que le collectif l’a abandonné pour préférer supporter l’entreprise qui l’a congédié sur la base d’une sagesse du calcul, c’est-à-dire restructurer au lieu de faire trop de pertes. Autrement dit, les vertus sont des guides idéalisés de l’action, pas toujours respectés et toujours déviés de leurs cibles, malgré pourtant toute l’éducation préalable de leur enracinement au sein de l’individu.
Mais restons-en au génie de Platon qui, au bout du compte, comme plusieurs, a voulu simplement le bien de sa Cité.
Yvan Perrier
Guylain Bernier
29 novembre 2020
10h30
yvan_perrier@hotmail.com
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