L’essai Perdre le Sud. Décoloniser la solidarité internationale, de Maïka Sondarjee, paraîtra en librairie le 19 août prochain, qui est aussi la Journée mondiale de l’aide humanitaire.
Maïka est disponible pour des entrevues, notamment pour discuter de la gestion de la pandémie par la communauté internationale (OMS, ONU, relations bilatérales, États-Unis, Chine).
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La Préface d’Haroun Bouazzi
Nous, militantes et militants de gauche, étions nombreux au début des années 2000 à nous opposer à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLÉA), à fonder nos espoirs de transformation économique et sociale sur l’émergence du Forum social mondial (FSM) ou encore à nous dresser contre l’impérialisme en marchant en soutien aux populations du Moyen-Orient. « L’éducation n’est pas à vendre ! », « Un autre monde est possible ! », « Non à la guerre en Irak ! », scandions-nous avec énergie et détermination. Vingt ans plus tard, le constat est glaçant. Les accords de libre-échange qui affaiblissent nos États et nos démocraties se sont multipliés, nos mobilisations se sont globalement essoufflées et la prolifération des guerres et invasions impérialistes continue à produire du chaos dans nombre de pays du Sud global.
La mondialisation s’est renforcée, confirmant la violence de ses effets contre lesquels nous nous insurgions. Elle est organisée et structurée, cela ne fait aucun doute. Elle est portée par des institutions internationales établies, des politiques étatiques complaisantes, voire complices, ainsi qu’un arsenal d’accords multilatéraux et bilatéraux. Elle s’appuie sur une idéologie rodée aux relais multiples dans les milieux politiques, économiques et de la société
civile, prenant des allures de force irrésistible. La gauche a pourtant la responsabilité de ne pas céder. Pour s’opposer à cette mondialisation, nous n’avons pas d’autre choix que de proposer une alternative internationaliste, qui se hisse à la hauteur des enjeux. Or, depuis le début des années 1990 et l’effondrement du bloc soviétique, cette alternative peine à se préciser, faute d’une idéologie forte sur laquelle s’appuyer. Pire encore, elle est menacée par le piège du paternalisme sexiste et colonial qui aujourd’hui encore corrompt trop d’initiatives portées par la gauche du Nord dans ses rapports avec le Sud.
L’altermondialisme, qui a vécu ses heures de gloire avec le soutien de la gauche au pouvoir au Brésil, au Venezuela ou en Bolivie, ne semble plus certain de sa propre pertinence. Résigné.e.s, de plus en plus de militantes et de militants prônent désormais la démondialisation. Ils et elles préconisent, à juste titre, l’économie locale et circulaire, le renouvellement de la démocratie à travers la délibération à petite échelle. Malheureusement, comme le montre brillamment Maïka Sondarjee, ce réflexe de repli sur soi pour repenser une société locale idéale s’avère très insatisfaisant, voire impuissant, pour fonder un nouvel ordre mondial structuré autour de la solidarité internationale. Cette solidarité est pourtant essentielle d’un point de vue stratégique et tactique pour contrer la crise climatique, mettre un terme à l’évasion fiscale ou encore éviter la concurrence fiscale entre États. Elle est également nécessaire pour des raisons morales et éthiques qui renvoient aux fondements mêmes des principes de gauche.
À ces écueils qui minent les avenues jusqu’ici explorées par la gauche, vient s’ajouter le fait que la droite identitaire se réapproprie les thèmes anti-mondialisation en se faisant le héraut du protectionnisme. Cette droite que l’économiste Thomas Piketty qualifie à juste titre de social-nativiste va même, une fois au pouvoir, jusqu’à associer à la remise en cause des accords de libre-échange la mise en place de certaines politiques sociales, renforçant les difficultés de la gauche à être audible auprès des groupes qu’elle entend défendre et représenter.
Dans un tel contexte, nous avons la tâche colossale de repenser une gauche internationaliste axée sur la solidarité Nord-Sud. Comme le montre avec force cet ouvrage, il ne s’agit pas d’une option à explorer, mais plutôt d’un impératif. La gauche est internationaliste ou n’est pas. La gauche sera internationaliste ou ne sera pas.
Face à une gauche qui se cherche encore et à un ordre mondial néolibéral d’apparence inébranlable, il y a pourtant matière à espérer. En effet, les équilibres politiques construits depuis les années 1960 sont en train de voler en éclats. Le rejet des élites politiques qui nous gouvernent depuis un demi-siècle est généralisé en Occident et les pouvoirs majoritairement autoritaires sont de plus en plus contestés dans les anciennes colonies. Les équilibres mondiaux sont aussi en mutation : l’hégémonie économique des États-Unis d’Amérique et de l’Europe de l’Ouest a laissé place à un monde multipolaire où cohabitent plusieurs puissances dont la Chine, l’Inde, la Russie, le Brésil ou la Turquie.
Les choses bougent et il n’y a pas de raison que cela s’arrête car le statu quo est intenable. Le capitalisme, basé sur une croissance continue et sans limite, n’est pas soutenable et est voué à s’écrouler dans un horizon imprévisible mais que l’on voit se profiler. À gauche, l’espoir nous vient de la jeunesse qui a déjà commencé à faire la démonstration
qu’elle peut créer une dynamique collective et internationale pour faire face aux enjeux écologiques. Elle est et sera de plus en plus le catalyseur du changement.
En définitive, le changement est inéluctable. Sera-t-il porté par la gauche ? Si oui, vers où nous mènera-t-il ? Quelle utopie nous donnons-nous comme horizon et de quelle ambition nous armons-nous pour façonner une alternative susceptible de créer un mouvement massif à l’échelle internationale ? Il nous faut imaginer une idéologie nouvelle en phase avec notre temps. Il nous faut l’incarner dans nos combats, dans nos institutions sociales et politiques, dans nos efforts de convergence et nos alliances.
Ce livre arrive à point nommé. Il offre une contribution très importante pour le travail de refonte auquel doit s’atteler la gauche québécoise et canadienne, voire occidentale. Il n’est pas un texte académique, mais il est écrit par une universitaire. Il est rigoureux, documenté et convaincant. Il nous permet de gagner du temps. À travers une belle richesse d’exemples concrets et une vulgarisation de la théorie, il permet à la lectrice ou au lecteur de trouver des repères et d’avoir les idées plus claires sur les défis à relever.
Enfin, et c’est certainement sa contribution la plus importante, ce livre ne se borne pas à nous convaincre que la mondialisation est injuste, sexiste et raciste. Il fait une proposition concrète et savamment construite. Pour reprendre les mots de l’auteure elle-même, cette proposition constitue « un projet politique multilatéral, décolonial et féministe » et sa réappropriation par nos mouvements serait salutaire.
Haroun Bouazzi
Militant pour les droits de la personne
À propos du livre
Le discours antimondialisation, déjà présent avant la COVID-19, se renforce et profite de la pandémie pour légitimer des politiques nationalistes, isolationnistes, xénophobes et racistes. Plutôt que chercher des boucs émissaires chez les personnes immigrantes comme le font les Trump, Le Pen et Legault de ce monde, ou d’entrevoir la démondialisation à travers les barreaux du repli, Maïka Sondarjee propose un nouveau cadre d’analyse et d’action pour repenser en profondeur les rapports Nord-Sud : l’internationalisme radical. Se différenciant de l’internationalisme libéral, de l’altermondialisme et de la démondialisation, l’internationalisme radical propose une vision progressiste, intersectionnelle et multilatérale de la politique internationale.
Selon l’autrice, une sortie du néolibéralisme n’implique pas, de facto, l’instauration de barrières entre les peuples. Cet essai se propose de réfléchir à une alternative qui soit solidaire avant d’être nationaliste (contrairement à la démondialisation ou au repli sur soi à la Trump) et avance des solutions politiques et économiques concrètes à la mondialisation néolibérale pour en sortir (contrairement à l’altermondialisme). L’autrice va donc bien plus loin que la simple analyse des ratés de la globalisation, des déficiences de la coopération internationale et des ravages de l’exploitation Nord-Sud. Elle souhaite revaloriser l’internationalisme dans les mouvements sociaux et les partis politiques occidentaux progressistes. Les mots impérialisme, colonialisme et mondialisation néolibérale sont bien souvent lancés à la volée, mais peu s’avancent à décrire ce que serait une politique étrangère et multilatérale véritablement progressiste. Au-delà du commerce équitable et de fugaces élans de charité, ne serait-il pas temps d’élaborer une position morale et politique nous permettant d’être durablement solidaires avec les peuples du Sud ? Si nous parlons de plus en plus de transition économique, nous oublions de mentionner que l’exploitation d’autres régions du monde est à la base de notre prospérité, et que l’élimination de cette exploitation est le seul moyen d’opérer une transition juste. C’est la conviction que Maïka Sondarjee défend avec brio.
L’internationalisme radical s’attaque ainsi aux racines du problème de l’exploitation et de la dépossession, plutôt que de se limiter à ses symptômes. Il relève d’une position morale d’intégration de l’Autre dans notre conception du politique et pourrait bien servir de base pour réhabiliter les pratiques de coopération internationale et d’aide publique au développement.
À propos de l’autrice
Maïka Sondarjee détient un doctorat en science politique de l’Université de Toronto et elle est chercheuse au Centre de recherches pour le développement international (CRDI). Sa thèse portait sur l’inclusion des populations du Sud global dans l’élaboration des politiques à la Banque mondiale. Elle s’intéresse aux approches féministes, décoloniales et critiques de l’international. Elle a également fondé l’initiative Femmes Expertes pour la valorisation des voix des femmes dans les médias.
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