Les modalités de reconnaissance que la gouvernance prévoit maintiennent la conscience publique aux strictes occurrences d’un pur présent. Cette conscience des intéressés se bornera au cadre d’investissement arrêté par le droit : au Congo-Kinshasa, par exemple, un code minier a été adopté en 2002, avec le soutien de la Banque mondiale, au moment où prenait plus ou moins fin une très sanglante guerre autour des ressources naturelles.
Ce code a deux fonctions. D’abord, statuer sur la légitimité des droits d’exploitation des sociétés publiques existantes - les institutions internationales qui participent à l’élaboration du code peuvent de ce fait être suspectées d’ingérence politique puisqu’elles créent un mécanisme voué à éventuellement discréditer et disqualifier des entités publiques établies (ce mécanisme étant en dernière instance adopté au sortir de ces guerres par un parlement moribond).
Ensuite, le code minier érige les termes qui permettent aux sociétés privées d’exploitation minière déjà sur place de légitimer leur présence. C’est sur la base du code de 2002 et d’un « contrat de gouvernance » que Kinshasa a adopté en 2007 avec pour réalité sous-jacente la frousse de faire fuir les investisseurs internationaux dont dépendent les potentats locaux, nonobstant leur prétendue « lutte à la corruption » que l’État a orienté à la fin de la décennie 2000 un processus dit de « revisitation » des contrats miniers signés en temps de guerre.
Parmi les entreprises qui ont paraphé des contrats avec des chefs d’État en guerre ou des belligérants qui finançaient leurs croisades à même ces transactions, les experts de la Banque mondiale citent Swipco (Suisse), le Lundin Croup (Canada), Forrest Outokumpo (Congo-Finlande), C1uff Mining (Royaume Uni), Banro (Canada), Mindev (Belgique -Canada) Barrick [1] Gold (Canada), South Atlantic Resources (Afrique du Sud -Canada), Union Minière (Belgique), Anvil Mining (Australie-Canada) et Gencor-Iscor-Broken Hill (Afrique du Sud), en prenant appui sur le rapport de la commission du Parlement congolais présidé par Christophe Lutundula sur les ententes signées lors des conflits armés.
Ces experts mentionnent que certains de ces contrats « ont été accordés dans des circonstances floues et suspectes ! [2] » et y voient « une grande controverse [3] », Mais sur la base de nouveaux critères inspirés de la bonne gouvernance, ils ont été renégociés « pour éviter toute polémique future [4] », c’est-à-dire surtout pour oublier le passé.
C’est ainsi que, forte de son nouveau contrat, donc de son adhésion aux critères tardifs de légitimation, une société comme la canadienne Banro se voit soudainement défendue par les autorités publiques et les institutions internationales comme exploitant légalement le sous-sol congolais. Mais comment a-t-elle pu à l’origine s’imposer là en plein contexte guerrier ? Pourquoi est-ce un contrat signé par cette société là qu’on a dû renégocier, et pas un autre ? Il ne convient pas d’alimenter de telles arguties. Ces questionnements éthiques nuisent aux cours boursiers des sociétés et à la représentation stable que se font du monde des affaires les intéressés de la gouvernance.
Nulle enquête, dès lors, sur l’intrigante présence de Banro comme partenaire de belligérants dans un Sud-Kivu à feu et à sang durant la guerre des années 1996-2003. La société a-t-elle abusivement scindé la Sominki qu’elle a acquise du régime de Mobutu en 1996, de façon à concentrer les gisements rentables dans une entité nommée Sakima, tout en plaçant hors bilan les passifs et autres gisements de peu de valeur dans la Sominki en liquidation ? [5]
Ses concessions du Sud-Kivu étant disputées dans le contexte du conflit armé [6] , quelle relation s’est instituée entre Banro et Alexis Tharnbwe, le directeur de la société Saki ma que celle-ci détient, également cofondateur du groupe rebelle Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) [7] ?
Que signifie précisément que les experts mandatés par le Conseil de sécurité de l’ONU aient formellement cité Banro parmi les sociétés stigmatisées qui « importent des minéraux de la République démocratique du Congo via le Rwanda », et qu’ils lui reprochent d’avoir violé les « principes directeurs à l’intention des entreprises » promus par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) [8] ? La société assimile sans surprise tant de troublantes allégations à de la « diffamation [9] ».
Personne n’a pu aller au fond des choses dans cette affaire, les autorités canadiennes n’ayant pas donné suite à l’invitation des experts onusiens à enquêter sur ce cas [10]". Banro a vu sa présence légitimée par son adhésion aux termes d’un processus de révision des contrats motivé entièrement par le principe de gouvernance. Invoquant ce terme, un comité du Parlement belge s’est même trouvé à dénoncer l’exploitation « illégale » des ressources de la part de militaires au Sud-Kivu où se trouve Banro, en invitant confusément l’Union européenne à « veiller à la protection des droits de l’homme et à la bonne gouvernance [11] ».
Banro apparaît désormais comme la détentrice légitime de concessions que d’autres pilleraient illégalement. Le principe de bonne gouvernance vient donc auréoler de la défense de la paix et des droits de l’homme le seul droit qui vaille, celui de la propriété privée. La promotion de la « sécurité humaine » servira ensuite à dépolitiser la violence dite illégale des laissés-pour compte de la bonne gouvernance, tandis que le droit ménagera les arrières de ceux qui ont été promus pour exploiter légalement les ressources du monde.
Dans l’optique de la bonne gouvernance, ce sont donc les conditions de l’accumulation primitive du capital » qui perdent toute pertinence. Les juristes le revendiqueront : « la gouvernance est par nature juridique » [12] « les non-juristes peuvent difficilement ignorer la dimension ou mieux l’identité juridique de la gouvernance » [13] La gouvernance ne changera donc rien aux traditions sclérosées du droit, surtout pas celle voulant que seuls les puissants en rédigent les termes et accèdent à la mise e application de ses articles.