Édition du 17 décembre 2024

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Politique québécoise

P-6, l’oligophrénie et le mépris de la rue

Chers manifestants...

Les récentes arrestations de masse dues au règlement P-6 permettent de tester l’intelligence et les convictions de nos candidats politiques. Dans un article au ton condescendant, Jean-Martin Aussant rappelle aux simples manifestants ce qu’ils doivent faire pour faire avancer leur cause, car ils ignorent de toute évidence les mécanismes du pouvoir qu’ils tentent de combattre. Tout d’abord, il commence par distinguer, par le biais d’une caractérisation scientifique, deux types de manifestants : les pacifistes de bonne foi qui se tiennent dans les limites du « gros bon sens », et les oligophrènes. Ces derniers sont dans la rue « par manque d’émotions fortes, le visage masqué, à la recherche d’une vitrine à fracasser ou d’une altercation défoulante », et sont incapables de lire plus de huit lignes du philosophe Aussant. Pour preuve : il n’y a « pas assez d’images et trop de mots ». Il faut rappeler que l’oligophrénie désigne une « faiblesse d’esprit dont le degré est variable, pouvant aller de la débilité mentale à l’idiotie, et empêchant un enfant d’acquérir son autonomie et de s’adapter socialement. »

http://www.vulgaris-medical.com/encyclopedie-medicale/oligophrenie

Aussant nous explique, avec perspicacité, que c’est l’Assemblée nationale qui adopte et modifie les lois. Il ne manque pas de souligner que nous sommes une simple province d’un autre pays, et n’hésite pas à nous révéler un secret : « je vous expliquerai, c’est parce que nous ne sommes pas souverains ». Il continue ensuite par une analyse fine de la psychologie du député, dont la principale motivation est d’être réélu. De son expérience personnelle, il nous garantit « qu’un député qui recevait 50, 100, 150 courriels, visites, appels ou lettres portant sur le même sujet finissait toujours par en parler au caucus en demandant que le parti se positionne officiellement ». Clair comme de l’eau de roche.

Jean-Martin Aussant persiste avec son analyse neuroscientifique, en montrant que les manifestants de bonne volonté, dont le désir profond est de faire les nouvelles, pourraient davantage se faire entendre par la seule voix de leur député : « ces mêmes personnes qui, une à une, contacteraient directement leur député feraient probablement moins les nouvelles mais obtiendraient avec certitude l’attention de la partie du cerveau dudit député qui est consacrée en permanence au calcul de sa probabilité de réélection dans tout ce qu’il fait ou dit. Cette partie du cerveau d’un élu existe bel et bien et j’ai pu observer empiriquement qu’elle est inversement proportionnelle à la force de ses convictions. »

L’argument est simple : l’appel à la cohérence, ou plutôt au « gros bon sens » des députés, qui devront inciter les municipalités à respecter le droit de réunion pacifique, alors que ces mêmes députés étaient contre la loi 12 dans leurs « grandes envolées pré-électorales bien calculées. » Vraisemblablement, tout est une question de calcul en politique. Résultat : les péquistes approuvent le règlement P-6 sans hésiter. D’après Jean-François Lisée, « c’est absolument raisonnable et j’implore les associations étudiantes, a-t-il dit. Une manifestation, ce n’est pas spontané, c’est organisé, c’est appelé à une heure dite. Donc, qu’ils donnent l’itinéraire, tout simplement, pour que ça se passe dans le calme. »
http://www.ledevoir.com/politique/quebec/374194/itineraires-des-manifestations-lisee-est-en-faveur-des-reglements-municipaux

Aussant, en bon dialecticien, croyait avoir résolu l’antinomie de l’obéissance et du refus : l’obéissance maintient l’ordre des députés, et le refus protège la liberté « à l’intérieur d’un certain domaine du gros bon sens ». Il est donc tout à fait possible de désobéir efficacement en déléguant son refus à Jean-François Lisée, qui saura bien s’en occuper. CQFD

Malheureusement, la partie du cerveau qui se charge du calcul de probabilité de réélection semble sous-développée dans le cas de Jean-Martin Aussant. Sa sortie risque bien de créer une crise dans son parti, d’autant plus qu’une bonne partie de ses membres est issue de la jeunesse du printemps québécois. Pour preuve : David Girard, ex-candidat d’Option nationale dans Dubuc, a annoncé le 26 mars 2013 qu’il claquait la porte du parti. « J’ai assisté au cours des derniers mois à une incapacité du parti à accepter la critique. Je quitte le parti à cause de son incapacité à investir des énergies dans les régions du Québec. De plus, je quitte le parti car je n’ai plus confiance en son chef. Cette sortie est la goutte qui aura fait déborder le vase. Je claque donc la porte au parti Option nationale, après avoir milité pour ce parti avec beaucoup d’énergie et de temps et après avoir été candidat à la campagne électorale dans Dubuc à l’élection du 4 septembre 2012. Je ne veux pas être associé à un parti représenté par un chef qui ne saisit pas les enjeux de la jeunesse. La jeunesse c’est l’avenir du Québec. Les jeunes luttent pour un avenir plus juste et équitable et je les appuie. »
https://www.facebook.com/notes/david-girard/david-girard-ex-candidat-doption-nationale-dans-dubuc-claque-la-orte/10151412472914121

Comment expliquer une telle gaffe politique ? En reprenant l’explication scientifique d’Aussant, la partie du cerveau qui s’occupe du calcul politique « existe bel et bien et j’ai pu observer empiriquement qu’elle est inversement proportionnelle à la force de ses convictions ». Il est donc normal que le chef d’Option nationale ne soit pas d’abord préoccupé par la rationalité pratique de ses actions, c’est-à-dire par l’utilisation efficace des moyens pour parvenir à ses objectifs, en portant une attention particulière aux conséquences de ses déclarations. Au contraire, ses convictions l’amènent à privilégier une pédagogie infantilisante, centrée sur le respect total d’une valeur suprême (la souveraineté), qui marginalise les situations concrètes et les autres valeurs comme la justice sociale. Faut-il rappeler que l’indépendance n’est ni de gauche, ni de droite ?

À ce titre, Max Weber distingue deux éthiques de l’action politique : l’éthique de la responsabilité fait la marque de l’homme politique qui répond aux conséquences de ses actes, tandis que l’éthique de la conviction conduit à une attitude doctrinale généralement associée à la domination charismatique d’un chef sur son parti. Si Aussant incarne le salut de la Nation québécoise pour les membres d’Option nationale, alors ceux-ci devront rester vigilants face à l’appauvrissement intellectuel et à la discipline du parti.

« Mais il ne faut surtout pas oublier qu’à la révolution pleine d’enthousiasme succédera toujours la routine quotidienne d’une tradition et qu’à ce moment-là le héros de la foi abdiquera et surtout la foi elle-même se résignera ou encore elle deviendra - et ce sera là son plus cruel destin - un élément de la phraséologie conventionnelle des cuistres et des techniciens de la politique. Cette évolution est tout particulièrement rapide dans les luttes idéologiques, tout simplement parce que ce genre de luttes est en général dirigé ou inspiré par des chefs authentiques, les prophètes de la révolution. Dans ce cas en effet, comme en général dans toute activité qui réclame un appareil à la dévotion du chef, l’appauvrissement et la mécanisation ou encore la prolétarisation spirituelle au profit de la « discipline » constituent une des conditions du succès. C’est pourquoi les partisans victorieux d’un chef qui combat pour ses convictions dégénèrent d’ordinaire très rapidement en une masse de vulgaires prébendiers. » Max Weber, Le savant et le politique, 1919, p.68

http://classiques.uqac.ca/classiques/Weber/savant_politique/Le_savant.pdf
Publié par Jonathan Durand Folco à 19:49

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