Édition du 19 novembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Nous pouvons continuer à nous raconter des histoires sur l’ « apartheid », mais Israël a dépassé les bornes

Human Rights Watch (HRW), l’une des organisations de défense des droits de l’homme les plus respectées, a déclaré qu’Israël avait franchi la ligne rouge et était coupable de crimes contre l’humanité et d’instaurer un régime d’apartheid.

Tiré de À l’encontre.

Il est bien sûr possible de débattre sans fin sur Benyamin Netanyahou, de mettre en garde avec beaucoup de pathos contre les terribles dommages causés à la célèbre démocratie israélienne et à son État de droit. Nous pouvons continuer à nous leurrer, à profiter de la vie et à mentir comme bon nous semble. Mais lorsque les rapports s’accumulent – en janvier, c’était un rapport de l’organisation israélienne B’Tselem [voir l’article sur ce site du 13 janvier 2021], et maintenant celui de l’organisation américaine HRW – on ne peut pas continuer à prétendre que le crachat qui nous est lancé au visage est de la pluie. Un crachat est un crachat. Cela oblige les Israéliens dotés d’une conscience à réfléchir au pays dans lequel ils vivent, et oblige les divers gouvernements à se demander s’ils vont continuer à accepter un pays doté d’un tel régime.

Le ministère des Affaires étrangères peut dénoncer le rapport publié mardi 27 avril autant qu’il le souhaite – accuser HRW d’être anti-israélien et antisémite, et qualifier ses affirmations de « grotesques et fausses ». Il peut continuer à poser des questions sur la Syrie, en oubliant que personne ne soutient la Syrie au même titre qu’Israël est appuyé. Les médias israéliens peuvent continuer à minimiser la valeur du rapport ou à ignorer son existence pour satisfaire leurs clientèles. Mais en fin de compte, quelque chose se passe devant nos yeux fermés. L’illusion du caractère éphémère de l’occupation [depuis 1967] est en train de s’estomper, et le faux charme d’Israël en tant que démocratie va être brisé.

Il n’y a plus aucun moyen de contester le diagnostic d’apartheid. Seuls des propagandistes menteurs peuvent prétendre qu’Israël est une démocratie alors que des millions de personnes y vivent depuis des décennies sous l’un des régimes militaires les plus tyranniques au monde. Il n’y a non plus pas moyen d’éviter le fait que les trois éléments de l’apartheid selon le Statut de Rome de la Cour pénale internationale [voir article 7, par. 2h, comportant la définition des crimes contre l’humanité], qui sont décrits dans le rapport de HRW, existent en Israël : maintien de la domination d’un groupe racial sur un autre, oppression systématique du groupe marginalisé, et actes inhumains.

Qu’est-ce qui n’existe pas exactement dans le régime de suprématie juive en terre d’Israël ? N’y a-t-il pas d’oppression systématique ? Pas de domination ? Pas d’actes inhumains ? Ils se produisent chaque nuit, même s’il n’y a personne pour le signaler et personne qui veuille le savoir. Et qui peut encore soutenir, sans éclater de rire, que l’occupation est simplement défensive et que sa fin se profile à l’horizon ? Si elle n’est pas temporaire et pas équitable, alors qu’est-ce sinon l’apartheid ? Nous n’avons pas besoin de B’Tselem ou de HRW pour le savoir.

Mais le monde a besoin d’eux. Quelqu’un doit réveiller le monde de son sommeil moral et le sortir de sa zone de confort, dans laquelle Israël est son chouchou qui ne peut jamais être blessé, l’avant-poste de l’Occident contre les barbares islamiques.

Les Etats-Unis de Joe Biden commencent à montrer des signes de distanciation vis-à-vis d’Israël, mais il se pourrait qu’il s’agisse simplement d’une distanciation vis-à-vis de Netanyahou. Quand le Satan s’en ira, les Etats-Unis pourraient à nouveau embrasser Israël et l’amener à un autre « processus de paix » inutile. L’Europe occidentale, dont les gouvernements attendent avec impatience le feu vert des États-Unis pour mettre en œuvre ce que souhaite une grande partie de leur opinion publique – faire respecter le droit international et punir ceux qui le violent – est toujours accablée par des sentiments de culpabilité et a cédé à la nouvelle définition internationale de l’antisémitisme du lobby sioniste, qui criminalise toute critique forte de l’occupation [1].

Mais lorsque d’importantes organisations internationales affirment ce qui est depuis longtemps une réalité, à savoir qu’Israël est bel et bien un État d’apartheid, on ne peut plus détourner le regard à Washington, Berlin, Paris et Londres. Quelqu’un là-bas doit également se demander : sommes-nous autorisés à traiter le deuxième État d’apartheid avec les mêmes outils que ceux utilisés contre le premier [Afrique du Sud] ? Pourquoi pas ? Parce que les Blancs ici sont des Juifs ? Parce qu’il y a eu un Holocauste ? Quelle différence cela fait-il ?

B’tselem et HRW sont les hirondelles qui annoncent la venue de l’automne, ou plutôt du printemps. Il viendra quand on comprendra à Tel-Aviv que nous vivons dans un État d’apartheid, et quand Washington en tirera les conclusions inévitables.

NDLR À l’Encontre

[1] Face à la diffusion de la position assimilant toute critique de l’Etats hébreu à de l’antisémitisme, voir la Déclaration de Jérusalem sur l’antisémitisme qui « est un outil d’identification, de confrontation et de sensibilisation à l’antisémitisme tel qu’il se manifeste aujourd’hui dans les pays du monde entier. Elle comprend un préambule, une définition et un ensemble de 15 lignes directrices qui fournissent des indications détaillées à ceux et celles qui cherchent à reconnaître l’antisémitisme afin d’élaborer des réponses. Elle a été élaborée par un groupe de chercheurs dans les domaines de l’histoire de l’Holocauste, des études juives et des études sur le Moyen-Orient afin de répondre à ce qui est devenu un défi croissant : fournir des conseils clairs pour identifier et combattre l’antisémitisme tout en protégeant la liberté d’expression. Elle compte plus de 200 signataires. » (Réd. A l’Encontre)

Gideon Levy

Journal Haaretz, Israël

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