Sans attendre que toute la lumière ait été faite sur l’utilisation massive d’armes chimiques par le régime de Bachar Al-Assad, les Etats-Unis et d’autres pays impérialistes envisagent sérieusement de procéder à des frappes militaires immédiates en Syrie. Il faut tout faire pour s’opposer à cette intervention impérialiste criminelle qui, de plus, ne fera que renforcer les assises du régime syrien.
La lutte contre cette guerre doit toutefois éviter de tomber dans l’ornière de la logique « campiste » dans laquelle s’enfonce une partie de la gauche qui soutient ouvertement le dictateur syrien (ou se tait sur ses crimes) et ses alliés (Russie, Chine, Iran) au nom de leur prétendu « anti-impérialisme ». Cette mobilisation anti-guerre doit au contraire s’accompagner d’une solidarité internationaliste en faveur des organisations révolutionnaires et des mouvements populaires syriens qui, aussi marginalisés qu’ils soient aujourd’hui, luttent à la fois contre un régime dictatorial et contre la montée en force des groupes salafistes réactionnaires au sein de l’opposition. Cette solidarité ne doit pas non plus oublier le peuple kurde de Syrie qui combat contre ces mêmes forces pour son juste droit à l’autodétermination.
Nous reproduisons ci-dessous une interview Joseph Daher (réalisée avant la menace des frappes impérialistes), membre du Courant de la Gauche révolutionnaire Syrienne et animateur du site syriafreedomforever.wordpress.com blog. Il est co-auteur (avec John Rees) du livre « The People Demand. A short history of the Arab revolutions », Counterfire, Londres 2011. Cet entretien a été réalisé par Mark Goudkamp pour le site de « Solidarity » (Australie) et traduit par nos soins. (Avanti4.be)
Comment décririez-vous l’équilibre actuel des forces en Syrie ?
Joseph Daher : L’équilibre militaire des forces est clairement du côté du régime. Il a été continuellement approvisionné [en armes] par ses alliés (l’Iran et la Russie), il a reçu de fortes sommes d’argent, à procédé à la formation de nouveaux soldats et le Hezbollah a directement participé aux combats sur le terrain.
De l’autre côté, l’Armée syrienne libre (ASL) manque totalement de matériel lourd et d’appui financier. Les forces réactionnaires islamistes comme « Jabhat al Nusra » (le Front Al-Nosra, NdT) et l’Etat islamique en Irak et du Levant (ISIL) sont quant à elles bien financées par certains pays du Golfe.
Ces pays financent les forces réactionnaires islamistes afin de transformer la révolution syrienne en une guerre sectaire. La victoire de la révolution en Syrie et sa propagation dans la région constituerait une menace pour leurs propres régimes.
Nous ne devons pas oublier également que les tensions entre les groupes de l’ASL et les forces islamistes de « Jabhat al Nusra » et de l’ISIL ont récemment augmenté. Ces derniers sont accusés des meurtres de membres de l’ASL, dont celui de Fadi al-Qash, chef d’un bataillon de l’ASL, et ses deux frères.
L’ISIL a également expulsé les forces de l’ASL de plusieurs régions libérées et déclaré leur volonté d’établir un émirat islamique, tout en refusant de se battre sur la ligne de front à Alep, Homs et Khan al Asal.
Malgré le clair avantage militaire du régime et ses destructions, la détermination du mouvement populaire syrien n’a pas diminuée. Il y a des manifestations continues et d’autres formes de résistance dans de nombreuses régions à travers la Syrie.
Comment est-il possible que face à une telle inégalité des forces militaires, le peuple syrien poursuive sa lutte ?
Il n’est pas possible de revenir à l’ère du régime d’Assad et il n’y a pas d’alternative à la poursuite de la révolution. L’un des principaux slogans scandé en Syrie par les manifestants est « Plutôt la mort que l’humiliation ! ». En outre, le mouvement populaire syrien sait très bien que s’il s’arrête il devra faire face à la terrible répression du régime.
Pouvez-vous expliquer quelques-uns des facteurs économiques et sociaux qui sous-tendent la révolte ?
La nature bourgeoise du régime s’est affirmée en 1970, quand Hafez al-Assad a mis fin à certaines politiques radicales des années 1960 impulsées par l’aile gauche de son parti, le Baas. Cela s’est accéléré avec la mise en œuvre de politiques économiques néolibérales au moment où [son fils] Bachar al-Assad a pris le pouvoir en 2000. Ces politiques n’ont bénéficié qu’à une petite oligarchie.
Rami Makhlouf, le cousin de Bachar al-Assad, a incarné le processus mafieux de privatisation mené par le régime. Un processus de privatisation qui a créé de nouveaux monopoles aux mains de proches de Bachar al-Assad, tandis que la qualité des biens et des services a diminué. Ces réformes économiques néolibérales ont permis l’appropriation du pouvoir économique par les riches et les puissants.
Dans le même temps, le secteur financier s’est développé avec les banques privées, les compagnies d’assurance, la Bourse de Damas et les bureaux de change. Les politiques néolibérales ont satisfait la classe supérieure et les investisseurs étrangers, en particulier des pays arabes du Golfe, au détriment de la grande majorité des Syriens, qui ont été touchés par l’inflation et la hausse du coût de la vie.
Ces politiques, facilitées par la répression sauvage de toute protestation venant de la classe populaire ou des travailleurs depuis le début des années 2000, ont eu des effets dévastateurs. La part du capital dans le produit intérieur brut est passé à 72% en 2005, plus d’un tiers de la population est tombée en dessous du seuil de pauvreté (moins de 1 dollar par jour) et près de la moitié vivent autour de ce seuil (2 dollars, ou moins, par jour). Avant la révolution, il y avait entre le chômage était de 20-25% et atteignait 55% chez les moins de 25 ans (dans un pays où les personnes de moins de 30 ans représentent 65% cent de la population totale). Le pourcentage de Syriens vivant sous le seuil de pauvreté est passé de 11% en 2000 à 33% en 2010. Autrement dit, environ sept millions de Syriens vivent autour ou en dessous du seuil de pauvreté.
Les soulèvements ont lieu à Idlib et Deraa et y compris dans la banlieue de Damas et d’Alep, or [ces zones] sont des bastions historiques du parti Baas qui n’avaient pas pris part à une échelle massive à l’insurrection des années 1980. Cela montre l’implication des victimes du néolibéralisme dans cette révolution.
Quel est le rôle joué par les Comités de Coordination Locaux (CCL) dans les zones contrôlées par l’opposition et quel type de soutien ont-ils ?
Les CCL ne sont qu’un des acteurs du grand mouvement populaire, ils concentrent notamment leur travail sur la fourniture d’informations, de vidéos de manifestations et œuvrent également sur le terrain avec les conseils populaires locaux, tout en fournissant des services à la population locale et aux réfugiés internes.
Plus généralement, nous devons comprendre le rôle crucial joué par ces comités populaires et d’autres organisations dans la poursuite du processus révolutionnaire, car ils sont les principaux acteurs qui permettent au mouvement populaire de résister. Nous ne voulons pas sous-estimer le rôle joué par la résistance armée, mais même eux sont dépendants de la volonté du mouvement populaire de poursuivre le combat, sans cela, ils n’auraient aucune chance.
Quelle est votre réaction face à certains secteurs de la gauche qui affirment que l’opposition syrienne n’est qu’un instrument de l’impérialisme occidental et des riches Etats pétroliers du Golfe ?
Le problème avec une partie de la gauche occidentale, surtout les staliniens, c’est qu’ils ont analysé le processus révolutionnaire syrien à partir d’un point de vue géopolitique, ignorant complètement le dynamisme socio-économique et politique sur le terrain en Syrie.
Beaucoup d’entre eux considèrent aussi que l’Iran, la Russie ou la Syrie sont des États anti-impérialistes qui luttent contre les Etats-Unis, ce qui est faux sous tous les aspects. Notre choix ne devrait pas être de choisir entre d’un côté les Etats-Unis et l’Arabie Saoudite et de l’autre côté l’Iran et la Russie, notre choix c’est les masses révolutionnaires qui luttent pour leur émancipation.
En outre, ces deux camps ont tenté d’imposer une solution par le haut qui permettrait de maintenir le régime dans une sorte de « solution yéménite » (changer la tête du régime, tout en conservant sa structure). La seule différence entre les positions des gouvernements occidentaux et les monarchies du Golfe d’une part et les positions de la Chine, de l’Iran et de la Russie d’autre part reste la même : quel sort pour le dictateur Bachar al-Assad ? La Russie veut maintenir le dictateur, tandis que les puissances occidentales veulent un nouveau chef, encore plus ouvert à leurs intérêts que Bachar al-Assad.
Il y a eu des rapports qui indiquent que des groupes islamistes armés attaquent d’autres groupes de l’opposition. Quel est l’impact de ces faits sur l’opposition et comment ont réagi les forces révolutionnaires ?
Les masses révolutionnaires syriennes sont de plus en plus opposées aux politiques autoritaires et réactionnaires de ces groupes. Dans la ville de Raqqa, qui a été libéré des forces du régime depuis mars 2013, de nombreuses manifestations populaires ont eu lieu contre les mesures autoritaires de « Jabhat al Nusra » et de l’ISIS. Des manifestations similaires ont eu lieu pour contester l’attitude de ces groupes à Alep et dans d’autres villes.
Il faut savoir aussi que « Jabhat al Nusra » n’a pas eu de scrupules à conclure des accords avec le régime d’Assad. Par exemple, le régime leur paie 150 millions de livres syriennes (soit 2,4 millions de dollars) par mois pour s’assurer que le pétrole est pompé dans les deux principaux pipe-lines de Banias et Latakié. « Jabhat al Nusra » est aussi mêlé à d’autres affaires.
Au lieu de défendre les principes de la révolution et de faire tout son possible pour développer les composantes démocratiques de l’ASL, le Conseil National Syrien (CNS) a laissé ces groupes - qui font partie de la contre-révolution depuis leur création - se développer sans les condamner et en leur offrant même une couverture.
Ces groupes veulent, tout comme le régime, diviser le peuple syrien en entités confessionnelles et ethniques. Or, la révolution syrienne veut précisément rompre la division sectaire et ethnique.
Quelle a été la réponse aux récentes attaques menées par des groupes islamistes sur les zones kurdes ?
Divers comités populaires syriens ont apporté leur soutien aux Kurdes contre les actions des groupes islamistes. Les différentes factions de l’ASL sont divisées. Certaines se battent aux côtés des islamistes, mais d’autres ont rejoint les milices kurdes et dénoncé les exactions commises par des groupes islamistes.
L’opposition traditionnelle, des islamistes aux nationalistes et libéraux, est en faveur des droits culturels kurdes, mais pas de leur autonomie. Le Courant de la Gauche Révolutionnaire en Syrie a réaffirmé son engagement et son soutien en faveur de l’autodétermination du peuple kurde. Ce soutien à l’autodétermination du peuple kurde ne nous empêche pas de vouloir voir le peuple kurde être un partenaire à part entière dans la lutte contre le régime criminel d’Assad et dans la construction d’un avenir démocratique, socialiste et laïque en Syrie.
Nous avons également condamné les agissements des islamistes et d’autres forces réactionnaires et leurs tentatives de diviser le peuple syrien. De même, le refus de certains secteurs dans l’opposition syrienne, dont le CNS, de reconnaître les droits du peuple kurde en Syrie sont inacceptables, ce n’est pas différent des politiques nationalistes du régime Assad.
Quels sont les différents courants et organisations de gauche qui existent à l’intérieur du mouvement révolutionnaire syrien ?
Différentes forces de gauche ont été impliquées dans le processus révolutionnaire syrien depuis ses débuts. Il y a de nombreux petits groupes de gauche et de jeunes qui participent au processus révolutionnaire, dans les comités populaires sur le terrain, dans l’organisation de manifestations et dans la prestation de services à la population. La gauche s’est surtout engagée dans le travail civil, par opposition au travail armé.
Dès le début, malgré nos modestes moyens, le Courant de la Gauche Révolutionnaire n’a pas faibli une seule fois dans notre engagement avec la révolution, en appelant à la démocratie et au socialisme. Nous avons lutté aux côtés du peuple et de toutes les forces démocratiques pour la victoire de cette grande révolution populaire, de même que nous luttons pour la formation d’un parti révolutionnaire des travailleurs.
Source : http://www.solidarity.net.au/59/imperialism-sectarianism-and-syrias-revolution/ Traduction française pour Avanti4.be : G. Cluseret
Manifestations à Québec et Montrèal
À Québec
Stop à la guerre en Syrie (rassemblement à Québec)
• 11 sept. 2013 18:30
Rendez-vous mercredi 11 septembre 2013 à 18h30 devant le Consulat général de France à Québec (25 rue Saint-Louis)
Face aux menaces de frappes aériennes proférées par la France et les États-Unis à l’encontre de la Syrie, le Collectif de Québec pour la paix vous invite à un rassemblement :
1- pour le droit du peuple syrien à la démocratie et à la justice sociale ;
2- contre toute offensive militaire étrangère quel que soit le prétexte ;
3- pour une enquête onusienne sur l’attaque chimique présumée allant jusqu’à identifier et traduire les coupables devant la justice ;
4- contre la fourniture d’armes aux belligérants d’un côté comme de l’autre ;
5- pour que l’on remette à l’Assemblée générale des Nations unies le pouvoir réel de solutionner les conflits.
cqpsiriel.info |
L’événement sur Facebook (aidez-nous à mobiliser les gens) : https://www.facebook.com/events/503650189729622/
À Montréal
collectif Echec à la guerre
Bonjour,
Le Collectif Échec à la guerre dénonce, évidemment, les frappes militaires
annoncées par les États-Unis, seuls ou avec quelques alliés,
et l’absurdité de prétendre vouloir ainsi "protéger les civils" syriens !
Il fera connaître son point de vue plus détaillé dans les prochaines heures
mais il tient immédiatement à annoncer la tenue de deux actions prochainement :
– dans l’éventualité du début de bombardements contre la Syrie au cours des
prochains jours, nous tiendrons un rassemblement de protestation devant le
Consulat des États-Unis, le jour même :
à 17 h 30 si cela se produit pendant la semaine ;
OU à 13 h 30 si cela se produit la fin de semaine.
Si les attaques ont lieu après cette heure, l’action se tiendra le lendemain.
Surveillez à ce sujet notre site Internet www.echecalaguerre.org
– le 21 septembre, à 13 h 30, nous vous convions toutes et tous,
à l’occasion de la Journée internationale de la paix, à participer
à un rassemblement pour dénoncer la montée du militarisme au Canada.
Rendez-vous au Square Dorchester, coin Peel et René Lévesque.
Raymond Legault, pour le Collectif Échec à la guerre.