Car s’il faut bien sûr considérer le racisme ou l’islamophobie comme particulièrement dangereux, il reste que —lorsqu’on appartient à un parti de gauche— la seule question qui vaille est celle de savoir comment enrayer avec efficacité —c’est-à-dire réellement— son développement.
Car ces fléaux ne naissent pas d’abord de l’ignorance ou encore de l’habileté machiavélique de radio-poubelles crasses. Elles naissent surtout de conditions données, économiques sociales et culturelles qui, au Québec des années 2000 (petite nation inachevée, bousculée par les logiques de la mondialisation néolibérale et en mal d’affirmation collective), prennent la forme d’une désorientation générale. Et plus encore, d’une inquiétude sourde alimentant des réflexes de peurs et de replis, de boucs-émissaire, semant au passage fragmentation et division, stimulant de larges secteurs populaires de la société à voter pour des partis conservateurs et de droite.
Dans un tel contexte et en prenant en compte la société québécoise dans son ensemble, il faut bien se demander comment inverser la tendance, comment au Québec recréer cette force sociale et politique progressiste dont QS se voudrait le porte-parole et qui pourrait nous aider à nous frayer un chemin loin de ces dérives droitières et identitaires qui semblent chaque fois plus s’imposer ?
Un difficile paradoxe à affronter
C’est là le difficile paradoxe qu’il nous faut affronter à QS et à côté duquel passent la plupart de ceux et celles qui militent en faveur de l’option B1 : ces forces sociales et populaires, à la fois unies et plurielles, capables d’échapper aux maux de l’islamophobie et du racisme, ne se reconstitueront pas facilement au Québec. En tout état de cause, elles ne se reconstitueront pas en se contentant —comme le pensent les partisans de la proposition B— d’écouter les petitions de principe et les appels lénifiants lancés par QS en faveur des émigrants, de la diversité et des vertus de l’anti-racisme.
Pourquoi ? Parce que la position B oublie le contexte historique du Québec, cette fameuse question nationale qui non seulement continue, qu’on le veuille ou non, à hanter le Québec, mais aussi oblige à penser la lutte politique au repli identitaire dans des termes tout à fait originaux.
Pensez-y un instant : cet appel aux bons sentiments loin de tout enracinement dans la situation concrète du Québec, c’est quand même le gros des arguments actuels de la tendance B. Ce sont en tous cas ceux qui "pognent le plus" et qu’on pourrait résumer ainsi : "ne voyez-vous pas qu’en interdisant le voile, vous faites preuve du racisme le plus éhonté, et qu’en plus, le bout du bout, vous vous attaquez, une fois encore, aux femmes, parce que vous ne comprenez que c’est le voile qu’on veut interdire... pas la barbe ou un quelconque signe religieux masculin.. cette histoire, c’est d’un autre âge, nous, on est pour la liberté, un point c’est tout !"
Sauf qu’en en se cantonnant à ce registre abstrait, ces nobles appels finiront toujours par être ré-interprétés —fédéralisme canadien oblige— dans le langage des maîtres et des puissants d’aujourd’hui, en somme récupérés par les logiques politiques du multiculturalisme paternaliste et individualiste à la Trudeau. Et ils ne feront qu’amplifier le fossé entre ceux et celles qui au Québec, déstabilisés et apeurés par la situation actuelle tendent à pencher vers des solutions politiques droitières et identitaires (c’est quand même pas pour rien que la CAQ a la majorité électorale qu’elle a !) et ceux et celles qui, très minoritaires, mais sûrs de leur bon droit à gauche, leur font de loin la morale, en ne voyant pas plus loin que devant leur porte.
Ni multiculturalisme canadien, ni nationalisme identitaire
Car au Québec des années 2000, au Québec de la mondialisation néolibérale, on ne pourra mettre un holà à la montée du populisme identitaire que si justement on se place en dehors des paramètres du débat vicié que nous a imposé la CAQ : avec d’un côté le camp des dits "méchants" (parce que ne comprenant pas la spécificité du Québec) incarnés par les libéraux provinciaux et fédéraux, et de l’autre le dit camp des dits "bons" incarnés par la CAQ qui, elle, sait entendre (et jouer démagogiquement avec !!) les légitimes sentiments nationalistes québécois.
Or à QS nous ne voulons ni du multicultarisme canadien (le cache sexe culturel du libre-marché capitaliste), ni du nationalisme identitaire (la peste des temps présents), l’un nourrissant étroitement l’autre et vice-versa. Nous voulons prendre en compte les llégitimes aspirations du peuple québécois à vouloir s’affirmer et exister comme peuple, mais en leur donnant un contenu de gauche, progressiste, pluriel et ouvert sur le monde : solidaire. C’est là non seulement le projet de fond de QS, mais c’est le seul qui ait quelque chance de pouvoir enrayer cette poussée si préoccupante de la droite identitaire et du conservatisme.
Pourquoi ? Parce que, tout en sachant que les plus belles raisons ne gagnent jamais contre de puissantes passions, c’est la seule qui prend au sérieux et entend, en ces temps si bousculants, la légitime volonté d’affirmation des Québécois, et qui choisit —non pas de la nier, de l’oublier, de la juger de haut— mais de s’appuyer sur elle en en saisissant toute la force potentielle, en l’actualisant et en l’orientant vers des idéaux et des valeurs de gauche.
La fenêtre ouverte du compromis Talylor-Bouchard
Voter pour la position A, pour le compromis Taylor Bouchard, c’est justement dire symboliquement cela : oui il ya quelque chose de légitime dans ces volontés d’affirmer la spécificité québécoise et de penser la laïcité et les rapports de l’État avec les religions autrement que sur le mode multiculturel et anglo-saxon du fédéralisme canadien.
Le compromis Taylor Bouchard, c’est donc cette passerelle qui permettrait à QS de faire le lien entre ses valeurs progressistes et démocratiques de pluralisme et de diversité, et ses volontés indépendantistes d’affirmation nationale.
C’est cette fenêtre qui permettrait à QS de garder les coudées franches pour mener à bien l’entièreté de son programme, en en combinant les multiples aspects : celui de l’émancipation sociale (avec toute la dimension féministe et écologique qu’elle implique)... aussi bien que celui de l’émancipation nationale (avec toute la solidarité internationaliste qu’elle appelle).
C’est cette fenêtre qui lui permettrait de faire face réellement au poison du racisme et de l’intolérance. Et qu’il faut savoir garder ouverte, coûte que coûte.
Car de telles fenêtres nous en avons besoin comme jamais aujourd’hui !
Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste
Auteur de : Les stratèges romantiques, Rémédier aux désordres du monde contemporain, Montréal, Écosociété, 2017
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