Édition du 17 décembre 2024

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Économie

Milieux financiers et grands chefs d’entreprises : pires ennemis de l’Économie !

J’ai, dans ma précédente chronique montré pourquoi, il est connu depuis fort longtemps (temps d’Aristote déjà) que la monnaie et son corollaire, l’illusion de la possibilité d’accumuler à l’infini, sont à l’origine de ce que le philosophe a dénommé chrématistique : la pratique de l’usure (l’intérêt), de la spéculation stérile et de l’accumulation de l’argent pour l’argent. Aristote n’avait pas de mots assez durs pour en parler.

Omar Aktouf

Qualifiant cette pratique de tôkos (mot signifiant bâtard), il soutenait que l’argent ne pouvait générer de l’argent, sinon par la folie humaine, et que ce faisant, le résultat ne peut être que destruction, puisqu’il est impensable de concevoir « l’infini dans le fini ». Ses adeptes, disait-il, sont les ennemis de la communauté humaine et du bien-être général, et devraient être combattus et bannis sans relâche (de nos jours on les adule !). Comme annoncé précédemment, je voudrais, pour continuer, montrer à l’aide d’arguments plus modernes et plus scientifiques, pourquoi et comment Aristote avait bien raison, et à quel point l’affaire est gravissime. Pour la présente contribution, j’expose une explication principalement « économique-financière » (plus tard j’aborderai cela sous un angle plus complet et plus complexe : l’angle de la transformation et de la thermodynamique)

Comprendre la finance, la Bourse et leur fonctionnement

Pour commencer il convient de bien savoir et se souvenir que toute « production de l’argent par l’argent » (donc toutes activités de finances) est « production abstraite de valeur abstraite ». Que ce soit l’intérêt, l’amortissement (qui est, on le verra prochainement, une « non-mesure » comptable-économique dévastatrice) la spéculation, le gain en capital, la « valeur ajoutée » d’actions, les hausses boursières… tout cela n’est que pures virtualités. Pures et simples manigances de « parieurs » de tous acabits. C’est ce qu’on appelle « l’économie-casino », dont le temple reste la sacro-sainte Bourse, machine à « création infinie » de numéraire et de dites « richesses ». Il faut savoir, une bonne fois pour toutes, que nul ne « place » rien en Bourse ! Il spécule, ou parie, ou « joue » comme au casino, point ! Parler de « placer » 100 $ en Bourse, en espérant les transformer en 1000 $ un mois plus tard, c’est comme parler de « placer » une baguette dans une boulangerie, en espérant venir récupérer 100 baguettes un mois plus trad. Cela n’a évidemment aucun sens ! Pourtant c’est le fonctionnement de la bourse ! Ce sont des cascades de « paris » sur des « paris ». Notamment bien entendu le sempiternel « pari » sur la hausse continue (en moyenne) des valeurs des actions.

Les milieux financiers (et la Bourse) : plus grands ennemis de toute idée de relance économique !

Retenant ce qui précède en mémoire, expliquons à présent comment les milieux de la finances ont intérêt à bien plutôt combattre la « relance économique » que de la soutenir. Le court-terme ou plutôt l’hyper-court-terme (les ordinateurs prennent des décisions de transactions boursières en nanosecondes, un délai d’une heure est considéré comme du long-terme !) y étant la règle d’or, voici comment ces milieux réagissent à toute forme d’annonce de « reprise économique ». Une illustration frappante est la façon dont les grandes entreprises US ont réagi à l’annonce, sous Clinton, de création de quelques centaines de milliers d’emplois dans le secteur des infrastructures publiques (le célèbre économiste Robert Reich en a fait un vidéo : Layoffs and the Fate of American Workers : https://tintin.hec.ca/audiovisuel/melies/melies2/description.cfm?version=9414 ). On sait en économie que toute « création » d’emplois est synonyme de nouveaux salaires, donc de nouveaux ajouts à la masse monétaire circulante. Ce qui est une menace d’inflation. Or l’inflation est le pire ennemi des milieux financiers car les réactions que son anticipation provoque vont contre leurs intérêts ! Pour aller au plus simple : 1- les taux d’intérêts bancaires grimpent et les mises aux chômages avec ; la raison en est qu’il faut à tous prix limiter la hausse de la masse monétaire circulante (hausser les taux bancaires c’est rendre les emprunts plus difficiles, mettre des gens au chômage c’est limiter d’autant de salaires cette même masse monétaire). 2- les milieux financiers et la Bourse « anticipent » ce genre de choses et y réagissent par le plus d’avance possible, car les hauts taux d’intérêts vont attirer l’épargne disponible vers les banques (qui s’avèrent alors des modes de « placements » plus sûrs / rentables que la Bourse). Ceci signifie que l’épargne disponible va tendre à déserter les places boursières. Ce qui à son tour signifie une moindre demande pour les valeurs boursières, et notamment les actions des entreprises. C’est alors que, pour maintenir (ou mieux, hausser, la valeur des actions et titres boursiers) les plus grands « joueurs économiques » (multinationales en premier) se mettent à licencier massivement ! La raison : toute la masse salariale ainsi épargnée sera magiquement transformée en cashflow, en profits artificiels qui… viennent soutenir la valeur des actions. Ce gonflement – renflouement de la valeur boursière des entreprises est la garantie de « non fuite » d’actionnaires, d’attraits de nouveaux et… de maintien (ou augmentation) et des rémunérations et de la valeur des énormes pactoles détenus par les hauts dirigeants sous formes de stock-options.

Voilà pourquoi Robert Reich, alors ministre du travail sous Clinton, milieu des années ’90, a provoqué un séisme aux USA en convoquant à un débat public sur la chaîne ABC, les grands patrons des grandes multinationales, pour les tancer publiquement de se comporter en ennemis de l’économie et du peuple américains, car, en quelques semaines, ils ont pratiquement licencié autant d’employés que son gouvernement songeait à créer sur des mois plus tard !

Mots-clés : Économie Économie
Omar Aktouf

Professeur titulaire, HEC Montréal.

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