Édition du 17 décembre 2024

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Michel Warschawski : "En Israël, il y a quelque chose d'une tragédie grecque"

Journaliste et militant de gauche israélien, Michel Warschawski, âgé de 63 ans, est l’un des vétérans de la lutte contre l’occupation et la colonisation des territoires palestiniens. Ses engagements, notamment au sein du Centre d’information alternative, qu’il a fondé à Jérusalem au début des années 1980, lui ont valu de recevoir cet automne le Prix des droits de l’homme de la République française.

Les éditions Riveneuve viennent de republier l’un de ses ouvrages, "Destins croisés, Israéliens-Palestiniens : l’histoire en partage", une double saga familiale (arabe et juive), qui explique, avec des mots simples, les raisons de ce conflit, qui n’en finit pas de miner le Proche-Orient. Pour Lemonde.fr, il tire quelques enseignements de la campagne pour les élections législatives du 22 janvier, qui devrait, selon toute vraisemblance, permettre au premier ministre Benyamin Nétanyahou, chef du Likoud (droite nationaliste), de se succéder à lui même.

Avec la victoire annoncée de Benyamin Nétanyahou et de son ancien ministre des affaires étrangères, Avigdor Lieberman, chef du parti russophone Israel Beitenu, avec qui il a fait liste commune, c’est la continuité qui l’emporte ?

Ce n’est pas si sûr. Les primaires du Likoud ont donné lieu à une surenchère dans l’outrance et le maximalisme. Les images de ce vote interne, qui était retransmis à la télévision, étaient hallucinantes. Elles donnaient à voir des brutes d’extrême droite, des colons illuminés, qui ne cherchaient qu’à flatter les plus bas instincts de leur électorat. Les membres de l’aristocratie du Likoud, comme Dan Meridor ou Benny Begin, ont été marginalisés. On est confronté désormais à un parti de voyous. Par ailleurs, j’ai le sentiment que le phénomène Lieberman est en perte de vitesse, ce qui peut expliquer qu’il ait fait liste commune avec le Likoud. Il y a un début de dilution de l’électorat russe dans une sociologie plus classique, gauche-droite. C’est une évolution classique : dans les premières Knesset, il y avait un parti yéménite et un parti marocain, qui ont peu à peu disparu.

La nouveauté de cette campagne, c’est la percée de Naftali Bennett, le chef du parti Foyer Juif, l’ex parti national religieux (PNR), situé à l’extrême-droite, qui concurrence la liste Nétanyahou-Lieberman...

Traditionnellement, le PNR menait campagne contre les autres partis religieux. Mais Naftali Bennett est un prospère homme d’affaires qui a fait rentrer un vent de modernisme dans ce vieux parti. Il tient un discours en phase avec son époque, axé sur les notions de performance et de succès. Ce positionnement rompt avec le cachet passéiste du PNR, historiquement lié aux kibboutzim religieux, qui prônaient l’égalité sociale. Bennett est le candidat naturel des colons, mais il présente bien, il est apaisant, contrairement aux candidats hystériques du Likoud. C’est pour toutes ces raisons qu’il mord sur l’électorat de Nétanyahou.

Pourquoi les listes du centre et du centre-gauche, celles des travaillistes, de Kadima, de Tzipi Livni, une ancienne ministre des affaires étrangères, et de Yaïr Lapid, un présentateur de télévision, n’ont-elles pas réussi à se fédérer ?

Etre au centre, ce n’est pas un programme. Dans les partis qui n’ont pas de références politiques fortes, les combats de chefs sont encore plus forts qu’ailleurs. Tzipi Livni et Shelly Yachimovich, la chef des travaillistes, ont été incapables de se mettre d’accord. Yaïr Lapid pourrait avoir dix sièges. Kadima n’est même pas sûr de récolter le nombre minimal de voix pour être présent à la Knesset.

Le Proche-Orient est en ébullition et du fait de la colonisation, la solution au conflit israélo-palestinien qui passe par la création d’un Etat en Cisjordanie et à Gaza, vit peut être ses derniers moments. Or en Israël, de l’avis de la plupart des observateurs, la campagne électorale a été morne, routinière, hermétique aux grands enjeux qui secouent la région, notamment la question de l’occupation. Comment expliquez-vous cela ?

Il y a quelque chose d’une tragédie grecque. Notre pays vit totalement refermé sur lui même, dans la sécurité, la consommation, déconnecté d’une réalité définie avant tout par la colonisation et l’occupation. C’est l’hybris, le pêché de démesure, l’aveuglement dans la puissance. Le monde autour de nous change, le Hamas est sorti renforcé de la dernière guerre à Gaza, les relations avec Washington sont très mauvaises, mais notre classe politique est incapable de se corriger. Elle veut croire que ce qui ne fonctionne pas avec la force, fonctionnera avec davantage de force. C’est le produit d’une mentalité coloniale. J’ai le sentiment d’être sur une barque, dans une mer de plus en plus déchaînée, avec un capitaine ivre et sans boussole.

Benjamin Barthe (propos recueillis), tiré du site du quotidien Le Monde du 19 janvier 2013.

Michel Warschawski

Journaliste et militant de gauche israélien, il est cofondateur et président de l’Alternative Information Center (AIC). Dernier ouvrage paru (avec Dominique Vidal) : Un autre Israël est possible, les éditions de l’Atelier, 2012.

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