tiré de : Entre les lignes et les mots
Le vote illustre le désaccord entre les Mexicains qui sont profondément catholiques dont la vision traditionnellement anti-avortement est enracinée, et ceux qui adhèrent à des mouvements féministes qui prennent de l’ampleur. Or, cette tension s’est ouvertement affichée dans les chambres. La militante féministe Patricia Matus comptait parmi les femmes qui célébraient dans la chambre du législatif lorsque que le vote a été annoncée. « L’ambiance était horrible » a-t-elle dit, décrivant les manifestants pro-vie qui organisaient une messe devant de bâtiment de l’État, une dispute verbale entre un homme et une femme de la fonction publique qui a presque fait retarder le vote, et qui criaient dans la tribune.
« Nous, qui n’avons pas l’habitude de nous faire taire, de rester silencieuses » Matus a dit. « Mais en comptant les votes en faveur, notre silence s’est éclaté dans des cris de joie. »
L’Amérique latine y comprend des lois de l’avortement parmi les plus strictes dans le monde, à l’exception de seulement Uruguay, Cuba, Mexico, et maintenant Oaxaca où on y garantit une procédure médicale au premier trimestre, peu importe la raison. Dans tout le Mexique, l’avortement est légal en cas de viol, mais au-delà de cela, chaque état du pays détermine ses propres lois. En 2007, Mexico avait décriminalisé l’avortement avant 12 semaines de grossesse, sans tenir compte des motifs de la femme qui en fait la demande. Ailleurs, comme au Chili, en Argentine, et en Colombie, l’avortement est disponible que dans des circonstances spécifiques, telles que le viol, l’inceste, la malformation fœtale, ou le risque pour la santé de la mère. Par contre, au Salvador, en République dominicaine et au Nicaragua, l’avortement est complètement interdit.
Cependant, le mouvement pro-avortement en Amérique latine est en croissance a permis à ses pays de revoir leurs lois sur l’avortement durant la dernière année. Ce militantisme féministe, combiné au soutien des membres du parti, MORENA de Mexico, pourrait être témoin des changements apportés sur les lois sur l’avortement à travers le pays, au-delà d’Oaxaca.
Résistances à Oaxaca
Les militants de l’avortement à travers le Mexique étaient sous le choc lorsque les femmes de la chambre législative ont annoncé la nouvelle dans les réseaux sociaux.
« Nous n’avons commencé qu’à voir cette éventualité possible que depuis ces deux dernières semaines, mais honnêtement, nous ne croyons pas que c’était possible » a dit Veronica Cruz, membre de Las Libres, une organisation féministe qui travaille à la défense des droits relatifs à la procréation dans l’état de Guanajato, au Mexique. « Nous comprenons la stratégie des féministes et fonctionnaires locaux à se faire discret afin de ne pas attirer l’attention des groupes anti-droits au moment où ils ont réalisé qu’ils auraient obtenus les votes en faveur de la légalisation. »
Matus a expliqué qu’un réseau de féministes avait organisé un mouvement des droits à l’avortement à Oaxaca. Certains militants ont approché les membres du parti MORENA et les membres du parti social-démocratique du Président Andrés Manuel López Obrador afin de soulever un débat sur l’avortement à la chambre législative.
Bien que le président n’avait pas explicitement priorisé les droits de la femme ou l’accès à l’avortement, son gouvernement a envoyé un tweet pour féliciter l’état d’Oaxaca : « Notre démocratie se voit solidifiée grâce à l’élargissement des droits et la reconnaissance de l’autonomie de la femme de son choix face à son propre corps. »
Une vague plus grande
Afin de maintenir la force du mouvement pro-choix au Mexique, les militants auront à adapter les stratégies qui ont réussis à Oaxaca à chacun des 32 états du Mexique. Plus particulièrement, gagner l’appui des membres de la chambre des états sympathisants, tels que les membres du parti MORENA qui ont appuyé le projet de loi à Oaxaca.
« Le mouvement de l’avortement au Mexique concentre ses efforts dans des luttes locales et régionales » car les lois sur l’avortement peuvent être approuvées par les gouvernements étatiques ou fédéraux, dit Daniela Tejas, co-coordinatrice de Fondo MARIA, un fond pour l’avortement basé à la Ville de Mexico. Maintenant qu’Oaxaca a décriminalisé l’avortement, « nous devons observer la réaction et encourager les autres états » a dit Tejas. « Mais plus important encore, nous devons être en mesure de reproduire le soutien obtenu de la part du parti MORENA dans les autres états. »
Maintenant, tous les jours à Buenos Aires, les femmes portent le bandana vert issu du mouvement pro-avortement. Le mouvement pro-choix de l’Amérique latine, communément appelé « le courant vert » a commencé en été 2018 en Argentine, lorsque les féministes ont descendu dans les rues, devant le congrès du pays au moment où la chambre des représentants et le sénat du pays délibéraient sur un projet de loi visant la légalisation de l’avortement. Bien que le projet de loi avait échoué au sénat, le sujet de l’avortement est devenu moins tabou. Maintenant, tous les jours à Buenos Aires, les femmes portent le bandana vert issu du mouvement pro-avortement. Une des sénateurs qui avait appuyé le projet de loi en 2018 était l’ancienne présidente Cristina Fernández de Kirchner, présentement candidate à la vice-présidence. Malgré le fait que Kirchner n’avait pas soutenu l’avortement durant sa présidence, elle l’a fait avec prudence an tant que candidate à la vice-présidence. Alors que les élections présidentielles approchent ce mois-ci, les féministes argentins sont probablement plus en faveur de la bannière Fernández-Fernández que l’actuel Mauricio Macri, plus conservateur.
Les féministes argentins poursuivent la lutte pour légaliser tous les avortements au premier trimestre de la grossesse, et le mouvement pro-choix qui en a résulté s’étend à travers le continent. En mi-septembre, les militants pro-choix ont manifesté à Quito lorsque l’assemblée nationale de l’Équateur a voté contre la projet de loi qui aurait élargi l’accessibilité à l’avortement pour toutes les femmes qui ont été violées. Malheureusement, le courant vert n’a pas encore atteint toute l’Amérique latine. Au Salvador, Evelyn Hernández n’était qu’une adolescente lorsqu’elle a été condamnée à 30 ans de prison pour une fausse couche qu’elle avait provoquée, aux dires des procureurs. Bien qu’elle soit libérée, l’État poursuit toujours une affaire contre elle. Entre temps, en République dominicaine, le cas d’une patiente de 16 ans atteinte de la leucémie « Esperancita » a déclenché un débat lorsque les médecins lui avaient refusé un traitement de chimiothérapie pour les risques qu’il poserait à sa grossesse. En 2017, après réflexion, les législateurs dominicains ont stoppé un projet de loi qui aurait permis aux femmes d’accéder légalement à l’avortement en cas de viol, d’inceste, de malformation fœtale, ou de risque à la santé de la mère.
L’opposition à l’avortement demeure forte à travers l’Amérique latine, même dans des endroits comme à Oaxaca. Les organisations pro-vie ont publié les noms des membres du parti MORENA qui ont voté pour légaliser l’avortement à Oaxaca et compilent les noms des sénateurs des autres états qui pourraient soutenir l’avortement. Le 28 septembre, des milliers de Mexicains pro-vie et catholiques se sont regroupés à la cathédrale métropolitaine de Mexico pour prier, tandis que des féministes manifestaient pour la Journée mondiale du droit à l’avortement,
Les bandanas verts que portaient les féministes mexicains lors du congrès du 25 septembre à Oaxaca symbolisent la liaison transnationale du courant vert. Les bandanas verts que portaient les féministes mexicains lors du congrès du 25 septembre à Oaxaca symbolisent la liaison transnationale du courant vert. En Argentine, sur le bandana vert est écrit « Campagne nationale du droit à l’avortement légal, sécuritaire et libre : éducation sur la sexualité pour décider, contraception pour ne par avorter, avortement légal pour ne pas mourir. » Les féministes chiliens portent un foulard vert sur lequel on peut lire « Avortement libéré, sécuritaire et gratuit : les trois causes, ce n’est pas assez » faisant référence à la décision du gouvernement chilien de légaliser l’avortement seulement sous trois circonstances – viol, malformation fœtale, ou de risque à la santé de la mère. En Équateur, les féministes portent un foulard vert qui indique « Équateur, libérez l’avortement. »
Et au Mexique, le bandana vert dépeint les mains entrelacées de deux femmes, une tatouée et l’autre portant le bandana vert de l’Argentine, aux côtés de slogans populaires pro-avortement « L’avortement légal maintenant » et « L’avortement légal dans tout le Mexique »
Les militants jeunesse, depuis des enfants accompagnés de leurs parents aux foules d’étudiants du secondaire et nouvellement gradués, se sont pointés en masse aux ralliements pro-avortement en Amérique latine. Avec des slogans en peinture aérosol comme « la maternité sera désirée ou ne le sera pas » et chantant « avortement légal à l’hôpital » les jeunes militants ont su raviver un mouvement social pro-choix qui rappellent les Conférences mondiales sur la femme des Nations unies des années 1970 et 80.
« Le jeune mouvement féministe qui se nomme le courant vert et qui provient de l’Argentine reprend ses forces » a dit Cruz, qui reconnaît que le mouvement féministe en Amérique latine n’est pas un phénomène nouveau, mais qu’il est plutôt devenu récemment populaire. « Le mouvement féministe au Mexique donne une nouvelle bouffée d’air frais et par-dessus tout, insuffle plus de dynamisme avec la venue de beaucoup de jeunes. »
Un mouvement revitalisé
Cet air frais a réanimé le mouvement féministe au Mexique au-delà du militantisme pro-choix seulement. En mars dernier, le mouvement #MeToo a pleinement frappé le Mexique lorsque les femmes ont commencé à afficher sur les réseaux sociaux leurs vécus d’agression et de harcèlement. Le mouvement est venu en vagues, au rythme des femmes issues de différentes profession qui ont commencé à dénoncer les hommes de chaque secteur d’activités : d’abord les écrivains, puis, les professeurs, médecins, avocats, et plus.
Le mouvement #MeToo représentait un point tournant important au sein du féminisme mexicain. Historiquement, le Mexique a connu des taux de violence incroyablement élevés envers les femmes. Seulement en 2018, les Nations unies ont noté 898 fémicides, le second plus haut chiffre pour un pays de l’Amérique latine. Quant à la violence sexuelle, il s’agit d’un problème tout autre : dans un rapport de 2016, l’Institut national des statistiques, de la géographie et de l’information du Mexique, a rapporté que 4,4 millions de femmes ont été victimes d’abus sexuel à l’enfance ; 32,8 millions ont été maltraitées par des obstétriciens ; et 41,3 pour cent des sondées étaient des survivantes de violences sexuelles.
Selon Information Group on Reproductive Choice, l’avortement insalubre constitue la quatrième cause de mortalité maternelle au pays. Les cinq premières causes de la mortalité maternelle au monde sont l’hémorragie, la septicémie, l’avortement insalubre, l’éclampsie, et l’arrêt de progression du travail.
« Il y a certainement un positionnement à saveur féministe dans l’ordre du jour public » a déclaré Tejas. « Mais il y a aussi un regain des groupes qui opposent la lutte féministe et nous devons lutter en portant une attention particulière à notre sécurité. »
Ce weekend, soit quelques jours après la décriminalisation de l’avortement d’Oaxaca, des milliers de Mexicaines ont descendu dans les rues à manifester en vue de la Journée mondiale du droit à l’avortement. Depuis Veracruz à Monterrey en passant par Mexico, les femmes se sont rassemblées pour tenir en l’air leurs bandanas verts, symbolique pañuelazos. Le mot-clic (hashtag) #GritoGlobalPorAbortoLegal (Un cri mondial pour l’avortement légal) était une tendance sur Twitter, ainsi que #AbortoLegalYa (L’avortement légal maintenant) et #AbortoLegalParaTodoMexico (L’avortement légal dans tout le Mexique).
Si cette semaine peut servir d’exemple, Oaxaca pourrait être le premier effet entraîné par l’arrivée du courant vert au Mexique. Comme l’a dit Cruz, « je crois que, dans cette même vague, et dans la prochaine, nous verrons plus d’états qui feront comme Oaxaca. »
Cecilia Nowell, NACLA, 3 octobre 2019
https://nacla.org/news/2019/10/03/oaxaca-abortion-decriminalization-green-tide
traduction : Lor Shirley Tran
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