Signalons d’emblée que bien qu’étant lié à la question électorale et traduisant le rejet massif dans la jeunesse de ce que représente le candidat du PRI Enrique Peña Nieto (EPN), le mouvement n’est en rien conjoncturel et aura des répercussions bien au-delà du processus électoral. Rappelons brièvement la chronologie des événements : le 11 mai, lors de son passage à l’université Iberoamericana (une des plus importantes universités privées du pays) où une rencontre était prévue avec les étudiants, EPN fait face à un mouvement de contestation très large parmi les étudiants.
Ces derniers le critiquent durement pour ses liens avec l’ex-président néolibéral de sinistre mémoire, Salinas de Gortari, et pour être le candidat de Televisa et TV Azteca, le duopole télévisuel qui ne ménage pas ses efforts pour l’imposer comme nouveau président. L’ex-gouverneur de l’État de Mexico est également pris à partie pour sa responsabilité dans la sauvage répression de San Salvador Atenco en 2006 (2 morts, 26 viols et des centaines de détentions violentes et arbitraires). Il sera forcé de quitter la « Ibero » dans la précipitation et par la petite porte, poursuivi par la multitude étudiante lui criant « Todos somos Atenco » et « La Ibero no te quiere ».
« Je suis le 132 »
Cet événement, qui surgit là où on l’attendait le moins (dans une université privée qui avait par ailleurs reçu avec enthousiasme le candidat de gauche, Andrés Manuel López Obrador AMLO) marque une rupture. Les dirigeants du PRI, avec l’aide de la « télécratie », tentent de minimiser et de manipuler les faits qui, grâce aux réseaux sociaux, ont une répercussion immédiate dans l’ensemble du pays. Aux accusations d’être une minorité non représentative et extérieure à l’université, les étudiants répondent par une vidéo diffusée sur Youtube dans laquelle 131 d’entre eux révèlent leur identité en montrant leur carte d’étudiant, prouvant leur appartenance à ce centre d’étude.
L’invitation à être le numéro 132 rencontre un écho immédiat. Le 18 mai des centaines d’étudiants provenant tous d’universités privées, se rendent devant les installations de Televisa pour exiger de la chaîne qu’elle diffuse une information non manipulée sur les événements. Cette manifestation marque la naissance du mouvement « je suis le 132 » qui s’élargit à l’ensemble du pays.
Le 19 mai, le mouvement connaît un nouveau saut quantitatif avec la première marche anti-EPN qui réunit plus de 50 000 personnes à Mexico et des milliers de manifestants dans une vingtaine de villes du pays. Le lendemain, une manifestation convoquée par le Mouvement pour la Régénération Nationale (MORENA) réalise une concentration importante sur le Zócalo de Mexico pour soutenir la candidature d’AMLO. Des rassemblements similaires ont lieu aux quatre coins du pays. A cette liste de mobilisations qui semble sans fin il faut encore ajouter la Rencontre Nationale des Étudiants avec AMLO, qui a réuni des milliers d’entre eux sur la Place de Tlatelolco (où des centaines d’étudiants ont été massacrés par l’armée le 2 octobre 1968) au cours d’un meeting empreint d’émotion.
Vers une confrontation avec le régime
Avec l’entrée en scène des principaux centres d’études et universités publics du pays et la tenue de la première réunion de coordination inter-universitaire (public/privé), réalisée le 30 mai à l’Université Nationale Autonome de Mexico (UNAM) qui rassemble des milliers d’étudiants provenant de 54 universités du pays, le mouvement entre dans une phase de définition politique. Celui-ci avance des revendications démocratiques comme la tenue d’élections propres et le rejet des manipulations médiatiques en vue d’imposer le candidat du PRI.
Le mouvement se déclare non-partisan mais pas apolitique et décide d’encourager la participation politique, notamment électorale, ainsi que la surveillance du vote pour empêcher une fraude électorale similaire à celle de 2006. Cette définition permet d’assurer l’indépendance politique du mouvement, son autonomie et son caractère pluraliste. Mais le pluralisme du mouvement est sans ambiguïté par rapport à la situation actuelle et ce dernier se prononce clairement contre un retour du PRI au pouvoir de la même manière qu’il se prononce contre l’actuel modèle économique et politique néolibéral, également incarné par le PAN, qu’il désigne comme étant responsable de la tragédie actuelle.
Le moment tant attendu, celui de l’irruption intempestive d’une nouvelle génération révolutionnaire, semble enfin arrivé. L’arrivée du « printemps mexicain » bouleverse le rapport de force et ouvre la porte à la possibilité d’une véritable révolution politique (et non pas sociale et encore moins socialiste) par en bas qui mettrait l’actuel régime en crise. La jonction qui a lieu ces derniers jours avec d’autres secteurs, notamment des syndicats, qui ont maintenu une résistance héroïque au cours des dernières années, rend ce scénario toujours plus réaliste.
Un retour du PRI serait une véritable catastrophe et un vote massif en faveur d’AMLO le 1er juillet est indispensable pour l’empêcher. La poursuite du processus d’organisation et de mobilisations le sera tout autant face à un éventuel gouvernement d’AMLO, qui sera interclassiste et représentera un bloc social hétérogène et extrêmement large. Le « véritable changement », comme l’appelle AMLO, ne peut signifier que la fin du régime oligarchique et néolibéral incarné tant par le PRI que par le PAN. La gauche révolutionnaire et socialiste doit prendre toute sa place dans ce combat. Il représente une chance historique pour elle de se renforcer et de peser à nouveau au niveau national.
Héctor Márquez est correspondant de solidaritéS à Mexico
* Paru en Suisse dans « solidaritéS » n° 210 (21/06/2012). http://www.solidarites.ch/journal/