Début septembre, les derniers doutes concernant l’impartialité du TEPJF ont été dissipés. Le Mouvement Régénération Nationale (MORENA) d’Andrés Manuel López Obrador (AMLO) et la coalition électorale « Mouvement Progressiste », qui ont porté la candidature d’AMLO, ont été définitivement déboutés de leur demande d’annulation des élections. Malgré les évidences et les quantités de preuves apportées par le centre-gauche (sans prétendre à l’exhaustivité mentionnons l’achat massif de votes, l’utilisation d’incroyables quantités d’argent de provenance illicite et le dépassement millionnaire des frais de campagnes autorisés), le TEPJF a déclaré valides et « exemplaires » les dernières élections. Après les fraudes de 1988 et 2006 qui empêchèrent l’arrivée au pouvoir du centre-gauche, la résolution du TEPJF met probablement fin aux espoirs de ceux qui pensaient qu’une transformation du pays par la voie institutionnelle était encore possible.
Que signifie le retour du PRI au pouvoir ?
Félipe Calderón, dont la politique militariste de « guerre contre la drogue », lancée à la remorque du gouvernement étasunien, provoqua la mort de 60 à 80 000 personnes et le déplacement de plusieurs dizaines de milliers d’autres, quitte le pouvoir après un sexennat désastreux. Face à l’usure du Parti Action Nationale (PAN) après deux gouvernements successifs, l’oligarchie néolibérale et pro-yankee a misé sur le retour du PRI, incarné par Enrique Peña Nieto (EPN), pour assurer la continuité du régime et la poursuite des politiques de saccages au service du capital transnational. Parmi les politiques de choc annoncées durant sa campagne, signalons la révision de la Loi sur le Travail qui fera table rase des conquêtes historiques des travailleurs mexicains en flexibilisant de manière radicale les conditions d’embauche. D’autres mesures anti populaires, comme la réforme fiscale ou la privatisation du pétrole, font également partie des « réformes structurelles » qu’EPN entend bien imposer.
Toutes ces mesures auront pour conséquences immédiates de rendre encore plus difficile le quotidien d’une population qui a vu ses conditions d’existence et de survie se péjorer à l’extrême. Face à cette situation, une augmentation des luttes et des conflits sociaux est prévisible à court terme. Pour contenir une situation sociale toujours plus explosive, la poursuite de la politique de « sécurité » décidée à Washington apparaît comme une nécessité absolue pour le régime. Pour ce faire EPN s’est arrogé les services du colombien Óscar Naranjo Trujillo, ex-Directeur Général de la Police Nationale Colombienne. Ce dernier, en plus de son appartenance à la DEA, est considéré comme l’un des artisans du « terrorisme d’État » en Colombie. Il est également soupçonné par de nombreuses ONG d’entretenir des liens avec des organisations criminelles.
Quelles réorganisations à gauche ?
Les partis de la gauche institutionnelle regroupés dans la coalition électorale « Mouvement Progressiste », ont accueilli avec soulagement la résolution du TEPJF déclarant officiellement vainqueur EPN. La priorité étant pour eux de mettre fin au conflit postélectoral afin de pouvoir négocier postes et positions avec le nouvel homme fort du pays. Ces derniers n’ont en aucun cas vocation à entreprendre une lutte frontale contre le régime. Lors d’un meeting tenu le 9 septembre qui a à nouveau fait le plein sur le Zócalo de Mexico, AMLO a annoncé sa séparation « sans rupture » avec les partis composant le « Mouvement Progressiste ».
Au cours de cette assemblée il a annoncé la poursuite du travail de construction de MORENA qui tiendra un congrès national en novembre au cours duquel sera probablement décidée sa transformation en parti politique doté de reconnaissance juridique. AMLO a également annoncé que MORENA ne reconnaîtra pas EPN comme Président et a présenté un plan de « désobéissance civile » qui frappe par son caractère extrêmement « légaliste » et qui se contente de dénoncer de manière symbolique le caractère illégitime du Président tout en renonçant de fait à entreprendre une lutte de masses pour empêcher pratiquement son intronisation le premier décembre.
L’annonce d’AMLO qui renonce de fait à poursuivre la bataille contre l’intronisation d’EPN en fait reposer le poids exclusif sur le mouvement étudiant « Je suis le 132 » et sur la « Convention Nationale contre l’Imposition ». Il est évident que pour être à la hauteur de la situation un front unique faisant appel aux 16 millions de personnes ayant voté pour AMLO aurait été nécessaire. En lieu et place, sa proposition d’un nouveau parti pluri-classiste dont le programme ressemblera fortement à celui du Parti de la Révolution Démocratique (PRD) des origines semble notoirement insuffisante.
Pour les secteurs de la gauche anticapitaliste qui ont appuyé la candidature d’AMLO l’heure de faire des choix semble donc arrivée. Face à la poursuite des politiques néolibérales les plus brutales et aux luttes qui s’annoncent de manière inexorable, la construction d’un parti des travailleurs indépendant doté d’une base de masse et défendant un programme de classe doit être la priorité. La jeune Organisation Politique du Peuple et des Travailleurs (OPT), fondée il y a un an à peine à l’initiative du combatif Syndicat Mexicain des Électriciens (SME) et rejoint depuis par d’autres organisations syndicales et populaires, en représente aujourd’hui la forme embryonnaire. C’est probablement à la construction d’une organisation de ce type, seule à même de représenter une alternative aux partis de la gauche institutionnelle, que doit s’atteler la gauche socialiste et révolutionnaire.
Héctor Márquez, correspondant de SolidaritéS à Mexico