Édition du 8 avril 2025

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Politique canadienne

Manifestation contre le saccage de l’assurance-chômage à Montréal le 12/02/13

À la recherche du « printemps érable » perdu

+De 200 à 300 personnes ont manifesté ce midi devant l’édifice Guy-Favreau abritant plusieurs ministères fédéraux. On y comptait un grand nombre de personnes syndiquées à la CSN, y compris plusieurs grévistes, et un bon nombre de membres de mouvements de sans travail dont le MASSE. Cette manifestation était l’une parmi une dizaine d’autres ailleurs au Québec. Elle sera suivie, à Montréal, d’une autre partant du même endroit à 14.00H le samedi 23 février à l’initiative de la FTQ-construction sans compter d’autres au Québec le même jour

Cette mobilisation fait suite à d’importantes manifestations depuis plusieurs semaines dans les provinces de l’Est et dans l’Est du Québec. Signalons, en particulier, celles de l’acadienne Îles-de-la-Madeleine et de Tracadie-Sheila dans la péninsule acadienne lesquelles ont rassemblé des milliers de personnes, un nombre impressionnant pour le bassin de population. À la suite des quatre fédérations du travail des provinces de l’Est, celles du Québec, travaillant de concert, et, semble-t-il, au diapason avec la CTC canadienne, ont l’intention d’amorcer une campagne pour l’abolition des contre-réformes à l’assurance-chômage.

Le mouvement syndical parie qu’au fur et à mesure que la contre-réforme fera connaître ses effets dans les régions centres, la mobilisation sera au rendez-vous. Ses effets sur le travail saisonnier commencent à être largement connus, d’où les importantes mobilisations dans les provinces et régions où ce type de travail prédomine à cause de l’importance de la pêche et du tourisme. Faut-il souligner que la nation acadienne, historiquement arrachée à son agriculture prospère à la hollandaise par le nettoyage ethnique du « grand dérangement » de 1755-1765 et recyclée à force de volonté et de bras dans la pêche hauturière, est durement frappée… et se mobilise à grande échelle. Jouent ici non seulement la solidarité prolétarienne et syndicale mais aussi celle entre nations opprimées tout comme cette dernière devrait jouer eu égard au mouvement « Idle no more » en plus de la solidarité écologique de tous les peuples du Canada pour la protections des lacs et rivières et contre l’exploitation des sables bitumineux. Reste que ces contre-réformes touchent aussi le « précariat » des régions centres, par exemple dans la construction, le tourisme et les municipalités sans compter les femmes, la jeunesse et la population immigrée proportionnellement davantage dans l’ensemble des secteurs.

Le sens de cette contre-réforme n’est pas banal. Avec l’ancien ministère du Développement régional d’avant l’ère néolibérale, même la bourgeoisie considérait que c’était l’argent qui devait rejoindre les provinces de l’Est et les régions dites éloignées. Dorénavant ce sont les travailleurs et travailleuses qui ont l’obligation d’aller vers l’Argent dans les zones phares de l’accumulation du capital. Pour les régions connaissant un taux élevé de travail saisonnier, il s’agit d’une potentielle saignée déstructurante les privant de la main d’œuvre la plus dynamique. Comme le dit justement le ministre péquiste Drainville : « Ottawa est en train de dire [aux gens des régions et aux travailleurs saisonniers] : si tu n’as pas d’emploi pendant la saison morte, déménage, mon bonhomme ! Go West, young man ! […] Ils n’ont pas de main-d’oeuvre là-bas, alors ils s’organisent pour en avoir. » (Le Devoir, 11/02/13) sauf que c’est là pur populisme de sa part sachant que le PQ n’aurait ni les moyens — d’autant plus que les contributions québécoises sont bien en deçà des prestations, péréquation automatique qui serait perdue dans le cadre d’un rapatriement purement provincial — ni la volonté politique d’agir autrement, son « préjugé favorable au néolibéralisme » étant largement démontré. Plus cynique encore est le gouvernement Conservateur qui vise délibérément les provinces et les régions qui sont très majoritairement représentées par les partis de l’opposition, surtout par le NPD.

Une stratégie anticapitaliste en devenir

Si le mouvement syndical se mobilise sérieusement — il faudra pour cela que la base pousse très fort sur la bureaucratie comme en ce moment en Acadie — cette lutte pourrait devenir pan-canadienne tout comme pourrait le devenir celle contre les sables bitumineux en synergie avec « Idle no more ». En plus d’un ennemi commun, le gouvernement Conservateur, ces luttes sont complémentaires car le développement rentier basé sur l’exploitation des ressources naturelles est très peu créateur d’emplois en comparaison des considérables investissements qu’il requiert tant en installations et machinerie qu’en infrastructures puisque les sites concernés sont très souvent en régions nordiques. On pourrait même dire que ce type de développement, en plus d’être crûment anti-écologique, est créateur de chômage tant il draine les ressources financières disponibles vers des cathédrales nordiques, des rubans d’asphalte, des éléphants blancs et des trous noirs qui ne créent que l’illusion de l’emploi le temps de leur construction… et la nécessité de forcer le déplacement temporaire des sans travail des régions délaissées par le capital vers les nouveaux Eldorado. Comme ce branlement de combat bouleverse davantage les nations opprimées (et les provinces les plus pauvres), il met potentiellement en relief la lutte nationale la plus susceptible d’ébranler les colonnes du temple canadien, la lutte pour l’indépendance du Québec. Même le PQ l’a compris à sa manière populiste.

Quant à Québec solidaire, non seulement a-t-il pour l’instant la tête enfouie dans la politique au jour le jour mais il ne fait aucun lien stratégique entre la lutte pour l’indépendance, la lutte pour le plein emploi et la lutte climatique. Pour dire le vrai, la mention de chacun de ces trois enjeux est terriblement délaissée dans sa politique de communication. Pour en rajouter, la réflexion stratégique de la direction de Québec solidaire se ratatine à celle sur les alliances électorales et encore là la dimension électoraliste en constitue l’essentiel. Quant à sa compréhension de l’indépendance, elle se réduit à une affaire constitutionnelle et peut-être linguistique à condition de ne pas penser à la francisation des cégeps à laquelle s’oppose Québec solidaire. Pour les dimensions socio-économiques et écologiques, l’indépendance n’est comprise que comme un moyen d’y intervenir avec d’autres priorités et non comme une synergie de luttes dont celle sur l’indépendance est le fer de lance. Quel est l’éléphant dans la pièce qui empêche de saisir l’indépendance nationale comme signifiant d’abord et avant tout l’expropriation des banques, plus fédéralistes les unes que les autres, et tutti quanti afin de briser le mur empêchant l’atteinte du plein emploi écologique ? Est-ce que ce sont le carriérisme de pacotille, la fragile sécurité des permanences, l’hypocrite reconnaissance sociale des gens d’en haut des petites ou « grandes » bureaucraties populaires et syndicales exploitant la peur et le conservatisme des gens d’en bas amplifiés par la honte du colonisé ?

Toutes ces bureaucraties, encouragées par le miroir inversé du sectarisme gauchiste, que le soulèvement du printemps érable avait momentanément contraint à l’unité, redoublent d’ardeur pour en revenir aux petites manifestations chacune pour soi et bien contrôlées. Vendredi, samedi, dimanche et puis mardi ont vu leur petite manifestation de 200 à 300 personnes chacune et dont la composition sociale respective ne se ressemblait guère d’où le potentiel unitaire raté. Il y a certes de bonnes excuses et même de très bonnes pour expliquer ce dispersement de l’impuissance. On veut la visibilité pour son groupe, pour ses revendications, pour les cibles spécifiques visées. Il y a la culture du groupe y compris de son style de manifestation lesquels méritent respect et préservation. Et puis comment s’accommoder, au nom de la « diversité des tactiques », de l’esprit de confrontation à la dure des anarcho-maoïstes faisant la joie des monopoles médiatiques et dont le résultat réellement existant est d’éloigner de la rue la militante et le militant de bonne foi sans compter la grande foule des 22 de chaque mois du printemps érable. D’autant plus que cet avant-gardisme d’opérette fournit aux bureaucraties l’excuse rêvée de leur immobilisme. Que le manque d’unité militante contre un ennemi commun est dommageable. On se dit qu’un zeste d’esprit stratégique doublé d’une bonne dose de rejet anti-bureaucratique ferait toute la différence. La mobilisation du 26 février contre le sommet bidon de l’éducation sera-t-elle une occasion de re-convergence pour suggérer ce que serait un Québec libéré qui re-taxerait le capital des banques pour assurer la gratuité de l’éducation ?

Marc Bonhomme, 12 février 2013

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