6 avril 2022 | tiré de Révolution permanente
Face à la cherté de la vie et aux promesses non tenues par le gouvernement Castillo, une énorme radicalité s’exprime dans la rue
Au moment où le prix du carburant ne cesse d’augmenter, et plus en général le coût des produits de première nécessité, le Pérou traverse un nouvel épisode de polarisation sociale et politique. C’est pourtant la première fois depuis le début de son mandat que Pedro Castillo se voit secoué par une vague très importante de mobilisations et de grèves, en particulier de secteurs de paysans pauvres et des travailleurs des transports notamment informels, issus majoritairement d’une des régions les plus pauvres du pays.
Bien que, le week-end dernier, un secteur des manifestants ait signé une trêve de cinq jours avec le gouvernement central, les lundi 4 et mardi 5 avril, une nouvelle grève nationale des transporteurs de charges lourdes a eu lieu, qui dans certaines régions du pays a été très radicale et a réussi à paralyser plusieurs voies d’accès à la capitale. La grève des travailleurs des transports a également été rejointe par les ouvriers agricoles d’Ica, qui exigent du gouvernement de meilleures conditions de travail.
Les principales revendications des différents secteurs sociaux mobilisés depuis une semaine viennent questionner la politique économique que le gouvernement de Pedro Castillo a mis en place depuis son arrivée au pouvoir. En effet, les mesures économiques prises par le gouvernement, loin d’être une rupture avec la logique néolibérale des gouvernements précédents, ont surtout bénéficié aux grandes entreprises nationales et multinationales. Ces entreprises, se sachant assurées par le soutien du pouvoir central, ont élevé significativement leurs marges sur les produits de première nécessité, notamment le carburant, ce qui a généré une hausse générale du coût de la vie, qui affecte énormément les secteurs les plus précaires de la société péruvienne.
D’autre part, les milliers de paysans pauvres qui ont rejoint la protestation sociale, en particulier dans les hauts plateaux du centre et du nord du Pérou, l’ont fait pour demander au gouvernement de mettre fin aux privilèges des grandes entreprises qui importent des intrants agricoles et des engrais, ce qui rend la production des petits et moyens agriculteurs beaucoup plus chère. On se souvient que Pedro Castillo, peu après le début de son mandat, a organisé une cérémonie pompeuse à Cusco où il a lancé une supposée deuxième réforme agraire qui, selon le président, favoriserait les paysans sans affecter les profits des grands hommes d’affaires liés à l’agrobusiness. Cela démontre, encore une fois, que ce type de politique, qui cherche à allier intérêts des grands patrons et ceux des travailleurs, est irréalisable.
Face à la radicalité de la contestation, le gouvernement Castillo répond par une répression brutale
Face à cette vague de mécontentement social, Pedro Castillo a d’abord réagi en accusant les manifestants d’être des mercenaires et des agents putschistes au service du fujimorisme, « des mercenaires à la solde de l’extrême droite, cherchant à déstabiliser le régime ». Une manière de délégitimer les protestations, alors même quele gouvernement Castillo a lui-même appelé au calme lorsque le tribunal constitutionnel a ordonné la libération de l’ancien dictateur Alberto Fujimori et que des milliers de personnes avaient envahi les rues pour contester cette décision.
Le 1er avril, des milliers de personnes ont envahi la ville de Huancayo et, malgré la violente répression policière ordonnée par le président, elles ont attaqué les principales institutions publiques mais aussi visé la maison de Vladimir Cerrón qui est le fondateur et le dirigeant du parti politique au pouvoir, el Perú Libre.
Lundi soir, face à cette radicalité qui n’est allée qu’en augmentant, remettant en cause la légitimité du gouvernement, élu pourtant sur un programme réformiste de « rupture » avec le néolibéralisme, Pedro Castillo a décrété l’état d’urgence dans les provinces de Lima et de Callao. Au-delà du couvre-feu et de l’état d’urgence, c’est une répression brutale que le gouvernement a ordonnée à l’encontre de celles et ceux sortis protester contre ses promesses non tenues,qui a même dramatiquement mis fin aux jours de quatre manifestants à ce jour.
Contrairement à ce qui était attendu par le gouvernement, ces tentatives de diabolisation du mouvement de contestation ont eu le résultat inverse de celui escompté ; au contraire, cela a permis de massifier le mouvement. Malgré les menaces anti-démocratiques et liberticides, la force de la protestation n’a pas faibli, et la remise en cause ouverte du président Castillo par les manifestants a amené ce dernier à reculer. En fin de compte, la répression commandée par Castillo a fini par exacerber les esprits, générant des mobilisations massives qui se sont soldées par des affrontements avec la police nationale.
Face au fiasco qu’ont été ses déclarations, et en levant finalement le couvre-feu et l’état d’urgence, l’exécutif est allé jusqu’à présenter des excuses aux manifestants et à envoyer une délégation de ministres pour discuter avec les secteurs en lutte, pour chercher à apaiser l’explosion.
Afin d’endiguer la colère sociale qui nourrit la mobilisation en cours et qui fragilise l’actuel président, l’exécutif a annoncé une augmentation du salaire minimum et a fait savoir - afin de garder la face devant les entrepreneurs du secteur du transport - que l’État baisserait la TVA afin que les entreprises puissent baisser les prix, notamment du carburant. Bien sûr, les privilèges commerciaux dont bénéficient les grandes entreprises sur les produits agricoles d’importations, ainsi que les marges faites par ses entreprises, n’ont pas été remises en cause, ce qui continue justement de dégrader les conditions de vies des petits paysans.
Capitulation et droitisation d’un gouvernement aux promesses anti-libérales : la colère ou les désillusions des secteurs les plus pauvres au Pérou
Jusqu’à présent, les principaux opposants au gouvernement venaient des rangs de l’extrême-droite parlementaire, qui au travers de la procédure de destitution engagée contre le président Castillo, avaient tout fait pour tirer vers la droite le fragile gouvernement de Castillo, d’une telle force que jusqu’à présent, aucune mesure progressiste promise par le président ex-syndicaliste n’a été mise en place.
Cette rapide droitisation du gouvernement a mené le président à s’aligner sur des positions néolibérales en matière économique, abandonnant complètement ce qui devait être, selon les dires de Castillo, « un gouvernement de rupture avec l’ordre néolibéral » en plus de se poser en défenseur de la constitution de 1993 (constitution écrite et imposée par la dictature d’extrême droite d’Alberto Fujimori). L’agenda réactionnaire de l’extrême droite péruvienne s’est même imposé au sein de la majorité parlementaire, où une part significative des députés de la majorité présidentielle ont fini par voter des motions à l’initiative de l’extrême droite, afin de s’opposer aux politiques d’égalité de genre à l’école ou pour garantir le monopole privé de l’enseignement supérieur.
Cependant, cette fois-ci, les secteurs populaires appauvris par la profonde crise économique et les paysans ruinés par les politiques de libre-échange que Castillo a maintenues en place sont sortis pour protester. Cette nouvelle donnée marque un approfondissement dans la crise sociale et politique traversée par le Pérou car les secteurs qui ont principalement manifesté cette fois-ci venaient des hauts plateaux centraux et plus précisément de la région de Huancayo, qui est l’une des régions où Pedro Castillo a paradoxalement gagné lors des dernières élections avec 64 088 voix, soit 22,398% des votes valides, ce qui lui a permis de se positionner en première place dans la région.
Dans la région de Huancayo, le parti politique Perú Libre a également été fondé en 2008, et c’est ce parti qui a porté Pedro Castillo au siège présidentiel. Se revendiquant de la gauche réformiste, son leader et fondateur Vladimir Cerrón se définit ouvertement comme un partisan du régime de Poutine et de l’expérience stalinienne. Face à la profonde crise que traverse la gauche péruvienne, cette organisation est parvenue à se positionner au sein du gouvernement régional de Junín pendant deux périodes, sous la direction de son fondateur, Vladimir Cerrón (2011 et 2019). Toutefois, sept mois après le début de son second mandat, Cerrón est suspendu de ses fonctions en raison d’accusations de corruption. Il est d’ailleurs l’un des principaux promoteurs de l’unité avec la bourgeoisie nationale et d’un supposé « secteur commercial étranger responsable ». Cette politique néfaste, que le gouvernement Castillo soutient et tente de mettre en œuvre, a conduit l’exécutif à tenter de se réconcilier avec les grands capitalistes, auxquels le président, a jusqu’ici donné toutes les garanties institutionnelles pour qu’ils continuent à augmenter leurs profits au prix de la violation des droits de la classe ouvrière et des secteurs populaires les plus appauvris.
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