Tiré de À l’encontre.
Au lieu du riz, du manioc et du maïs, les victimes de la famine dans les districts d’Ampanihy et d’Ambovombe cuisent des cactus et des tubercules sauvages afin de lutter contre la faim, ajoutant de la cendre ou de l’argile blanche pour enlever le mauvais goût des plantes. Elles en deviennent malades. Selon l’Unicef, la malnutrition est associée à au moins 44% des décès d’enfants de moins de 5 ans à Madagascar.
Si Amnesty se garde de dresser un bilan humain du drame, faute de statistiques officielles fiables, plusieurs personnes interrogées dans le cadre du rapport déclarent que des gens sont morts de faim dans leur communauté. A l’image de Votsora, un fermier âgé d’une cinquantaine d’années, qui assure que dix personnes sont mortes dans son village, dont cinq membres d’un même foyer morts de faim le même jour.
Les femmes et les enfants, premières victimes
La famine est causée par d’importantes pertes de récolte dues à une longue période de sécheresse. Et depuis quelques mois, les tempêtes de sable balaient le sud de l’île, couvrant les champs de sable rouge et polluant les sources d’eau. « Les habitants commencent à cuisiner et se laver avec de l’eau de mer. L’eau potable est devenue si rare », explique la jeune activiste malgache Marie Christina Kolo.
Avant cet épisode historique de sécheresse, le Grand Sud était déjà en crise. Selon le Rapport mondial sur les crises alimentaires, réalisé par plusieurs agences des Nations unies et des ONG, la pandémie a étouffé l’activité économique dans la région, qui permettait aux paysans de trouver des voies alternatives pour gagner de l’argent en cas de récoltes insuffisantes. Aujourd’hui, plus de neuf habitants sur dix se trouvent en dessous du seuil de pauvreté.
Les femmes et les enfants sont, comme souvent, les premières victimes de cette catastrophe humanitaire. Selon les recherches d’Amnesty International, un grand nombre d’enfants arrêtent l’école, soit pour soutenir leurs familles financièrement en allant mendier, soit parce que les parents refusent de les envoyer en classe affamés. Moa, 17 ans, raconte : « A cause de la faim, je ne suis pas à l’aise, et quand les professeurs expliquent, j’ai toujours la tête ailleurs. » Dans le Grand Sud, seule la moitié des enfants vont à l’école primaire, contre 95% dans la région de la capitale Antananarivo.
Les femmes souffrent également de manière disproportionnée de la sécheresse, car elles sont généralement chargées de la collecte de l’eau et de la nutrition de la famille. Selon un témoignage, les mères s’endettent en premier en recherchant de la nourriture pour leurs familles. Avant la famine actuelle, déjà, plus de la moitié des femmes de la région se mariaient avant de devenir majeures, parfois dès l’âge de 8 ans. Selon les données récupérées par Amnesty International, le nombre de cas d’abus et d’exploitation des enfants a augmenté dans les derniers mois et continuera d’augmenter au moins jusqu’à la fin de la famine.
A l’ombre du changement climatique, les catastrophes se multiplient
Dans son rapport, publié ce mercredi 26 octobre et intitulé « Il sera trop tard pour nous aider quand nous serons morts », l’ONG martèle que la sécheresse qui sévit actuellement à Madagascar et ses conséquences « ne doivent pas être traitées par le gouvernement malgache et la communauté internationale comme une urgence humanitaire », compte tenu de « l’ombre du changement climatique » qui plane sur cette tragédie.
« Madagascar se trouve en première ligne de la crise climatique. Cela se traduit par le fait qu’un million de personnes sont confrontées à une sécheresse d’une ampleur catastrophique et en butte à des violations de leurs droits à la vie, à la santé, à la nourriture et à l’eau. Cela implique le risque de mourir de faim », alerte Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
Dans le Grand Sud de Madagascar, les catastrophes humanitaires risquent de se multiplier avec le dérèglement climatique, les conditions météorologiques extrêmes devenant plus fréquentes et les épisodes de sécheresse plus longs. Autre facteur aggravant : la déforestation de l’île, qui a déjà détruit 90% de la forêt originelle de Madagascar, favorise la formation des tempêtes de sable qui dessèchent les champs et polluent les sources d’eau.
A quelques jours de l’ouverture de la COP26, Amnesty International souligne que le cas malgache illustre les profondes inégalités entre les pays qui souffrent le plus du changement climatique et les nations industrialisées qui émettent le plus de gaz à effet de serre. Afin de garantir les droits fondamentaux des Malgaches, l’organisation lance un appel clair à la communauté internationale : prendre des mesures « concrètes et courageuses » pour limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré par rapport au niveau de l’ère préindustrielle.
« Ces avertissements concernant la crise climatique devraient alarmer les dirigeants mondiaux et les amener à cesser de traîner les pieds », déclare Agnès Callamard, qui exhorte les pays les plus polluants et « ceux qui ont le plus de ressources disponibles » à « fournir une aide financière et technique supplémentaire pour aider les personnes à Madagascar à mieux s’adapter aux conséquences du changement climatique ». (Article publié dans le quotidien Libération le 27 octobre 2021)
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