Deuxième partie : les habits neufs de l’empereur
Avec le développement des mouvements ouvriers au 19e siècle, les oligarchies avaient senti le besoin de s’appuyer sur la démocratie libérale pour justifier leur emprise. Ainsi elles se servaient des urnes comme justification à leurs politiques et pouvaient opposer deux formes de pouvoir populaire : celui des masses laborieuses brouillonnes et excitées, celui de la démocratie parlementaire et des partis conservateurs bon teint qu’elles soutenaient.
Mais aujourd’hui, même la comédie démocratique ne leur est plus nécessaire et la distinction entre partis de gauche favorables au progrès social, qu’elles associaient au chaos, et partis de droite en faveur de la progression individuelle et capitaliste, qu’elles associaient à la liberté, ne leur est plus nécessaire. Le discours prétend libérer la population de la supposée superficialité de la distinction gauche-droite sous le rassemblement d’une nouvelle société pragmatique « en marche » vers des lendemains qui chantent en puisant tant à gauche qu’à droite. C’est-à-dire en favorisant les droitistes et socio-libéraux, qui se disent de gauche, mais sont de droite et en les additionnant à la droite dure.
Tout cela en se faisant fort de détruire les partis traditionnels pour avancer sans masque : on a besoin d’élire un dictateur et l’étiquette partisane n’est plus nécessaire. Le prince-président Macron ne s’en cache même pas qui déclarait que la France avait besoin d’un roi, donc d’un souverain qui s’empare au bénéfice de l’oligarchie économique de la souveraineté, laquelle ne devrait pourtant résider que dans le peuple.
On trouve quelque chose de semblable aux États-Unis, où le candidat Trump n’était pas le préféré de l’establishment républicain puisqu’il ne respectait pas le modus operandides institutions partisanes. Qu’à cela ne tienne, l’oligarchie ne s’embarrasse plus des distinctions partisanes. Elle ne s’en est jamais vraiment souciée, dans la mesure où les banquiers et les industriels ont toujours fait mousser leurs intérêts auprès de représentants de gauche dits modérés et tenté de les soudoyer, mais elles continuaient de se poser vertueusement près des défenseurs du conservatisme, la droite traditionnelle. Maintenant, elle se permet de passer outre en soutenant qu’il n’y a plus ni gauche ni droite, relayée par ses porte-voix tonitruants que sont les Fox News, BFM-TV et autres commentateurs « sérieux ». En effet, les « chiens de garde de la démocratie » plutôt que d’en être choqués, en sont tout émoustillés.
Au Québec, l’illusion de la distinction partisane entre les trois grands partis n’est maintenue que pour la forme, car on se bouscule pour se mettre à genoux devant le capitalisme international. Un chevalier de l’industrie, comme François Legault (chef de la Coalition Avenir Québec), plaît énormément par son discours simpliste. Il fait le jeu de l’oligarchie en prétendant gommer le clivage gauche droite pour ne proposer que des mesures droitistes : baisse des impôts et réduction de l’État, ou asservissement de l’État à la raison capitalise. Cela n’est pas bien différent du credo que récite le Parti libéral du Québec. De son côté, le Parti Québécois, anciennement associé à la social-démocratie, continue de s’en réclamer tout en poussant ses partisanEs à récuser l’opposition droite-gauche afin de réaliser l’unité nationale, sorte de discours de soumission afin de les amener au pouvoir, lesditEs partisanEs salivant à la perspective d’être dirigéEs par un autre chevalier de l’industrie, employeur notoirement antisyndical, Pierre-Karl Péladeau, qui fut d’ailleurs leur chef pendant une brève période (mai 2015 à mai 2016). De son côté, Québec Solidaire, qui refuse d’abandonner cette distinction nécessaire entre progrès social et profit individuel, stagne dans les sondages autour de 10 %. Il faut dire que les commentateurs politiques, tout comme ils le font en France à l’égard de la France insoumise, sont très affairés à renforcer la perception selon laquelle une telle vision du monde est ringarde.
On trouve donc en la France un véritable laboratoire pour la caste hégémonique, où elle teste les nouveaux habits de l’oligarchie triomphante. Elle prétend une fois de plus réaliser la quadrature du cercle en éliminant les si vilaines querelles déchirant les attardéEs qui distinguent encore la gauche et la droite. Nouveau miroir aux alouettes, nouveau saint Graal, la formule renaît sans cesse pour abolir par le discours ce qui est inévitable dans la vie réelle : l’opposition entre la prédation capitaliste et la justice sociale, mais peu osent dire que l’empereur est tout nu.
LAGACÉ, Francis
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