Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

M. Drainville, attaquez-vous donc au vice cardinal de notre système électoral : la distorsion de la volonté des électeurs

Après avoir fait adopter une loi limitant à 100$ par individu le financement des partis politiques et abaissant le seuil des dépenses électorales de ces derniers, ainsi qu’avoir présenté un projet de loi instituant des élections à date fixe, voici que le ministre des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, annonce qu’il a mis d’autres fers au feu. Mais est-ce les bons, ceux qui devraient être prioritaires ? Nous ne le pensons pas.

Ainsi, il songe à présenter un projet de loi obligeant les député qui changent d’allégeance partisane à affronter l’électorat de nouveau lors d’élections complémentaires à moins qu’il ne siègent comme indépendants jusqu’au déclenchement d’élections générales. On a déjà surnommé « loi anti-vire-capot » cette législation en gestation. L’annonce a, bien entendu, suscité des réactions opposées dépendant de la conception qu’on se fait du concept de la représentation en régime démocratique. Les députés jouissent-ils d’une marge de manœuvre pouvant aller jusqu’à changer de parti ou, au contraire, reçoivent-ils un mandat impératif de leurs électeurs dont ils ne peuvent déroger ?

Ce débat fait écho au geste posé par les trois députés qui ont quitté le Parti québécois pour se joindre à la Coalition avenir Québec pendant la dernière législature. Évidemment, ces transfuges ont fortement indisposé les dirigeants de l’actuel parti gouvernemental. Mais ce n’est pas une raison pour qu’ils accordent autant d’importance à une question somme toute secondaire dans le dossier de la réforme électorale et encore davantage dans celui de l’ensemble de la réforme des institutions démocratiques.

Le focus est mis sur la gouvernance ; non la représentation

Le gouvernement Marois a-t-il oublié que le principe cardinal d’une démocratie représentative, qui repose sur la souveraineté populaire, est le respect de la volonté des électeurs. Les élections ne constituent pas, en effet, une fin en soi mais un processus pour enregistrer la volonté populaire. En conséquence, le but du mécanisme servant à transposer les suffrages populaires en sièges parlementaires, le mode de scrutin, ne peut être que d’assurer le plus fidèlement possible le respect du choix des électeurs.

Le scrutin majoritaire a eu comme effet de détourner vers une fonction accessoire l’usage pour lequel le système électoral a été conçu. Ainsi, le focus est passé de la fonction de la représentation à celle de la gouvernance. Pourtant, comme l’a écrit le politicologue Vincent Lemieux, les exigences de la représentation doivent primer. La gouvernance doit composer avec les contraintes de la représentation et non pas contraindre cette façon pour qu’elle gêne le moins possible la gouvernance. Il faut donc trouver des moyens pour que les deux s’ajustent. C’est ce que permet précisément le scrutin mixte compensatoire, proposé au Québec par le Mouvement pour une démocratie nouvelle, qui combine des éléments du scrutin majoritaire avec ceux de la représentation proportionnelle de façon à corriger les distorsions causées par le premier.

Le PQ a renié l’héritage démocratique de Lévesque

« Démocratiquement infect ». C’est le qualificatif dont René Lévesque a coiffé le mode de scrutin majoritaire uninominal à un tour qui régit nos élections. À celles de 1944, 1966 et 1998 le système a même dérapé complètement car le parti qui a fini second dans les suffrages populaires a gagné l’élection ! Lorsque ça s’est produit en faveur de l’Union nationale, en 1966, Lévesque, alors ministre libéral, avait parlé d’« un sabotage officiel et extrêmement pernicieux des fondements de la démocratie ». Pourtant, en 1998, c’est en faveur du gouvernement péquiste de Lucien Bouchard que ce « sabotage » s’est produit et ce dernier n’a pas posé le moindre geste par la suite pour éviter qu’il ne se reproduise à nouveau. Pis, le PQ a reporté « après l’accession du Québec à la souveraineté » toute réforme du mode de scrutin lors de son congrès suivant. Puis, lors du congrès d’avril 2011, il a biffé cet engagement de son programme avec la bénédiction de Pauline Marois même s’il s’y trouvait depuis 1969 et avait été renouvelé à tous les congrès depuis 42 ans !

Pourtant, le PQ avait adopté le rapport des État généraux sur la réforme des institutions démocratique qui ont eu lieu en 2002-2003. Les 1 000 délégués à ces assises –la plus vaste consultation populaire de notre histoire dans ce domaine- s’étaient alors prononcés à 90% en faveur de l‘adoption d’un scrutin proportionnel. Quelle volte face !

Maintenant le PQ propose de recommencer à zéro un long et exigeant processus qui prendrait plusieurs années et qui serait une répétition des trois qui ont eu lieu depuis 1970 sous les gouvernements Bourassa, Lévesque et Charest, mais qui ont débouché sur un cul-de-sac à cause de l’absence de volonté politique. Ces démarches se sont faites, chaque fois, à grands renforts de commissions parlementaires qui ont reçu des centaines et des centaines de mémoires ; de commissions d’étude qui ont fait le tour du Québec pour consulter la population ; de livres verts et même d’avant-projets de loi. Tellement que le dossier de la réforme du mode de scrutin est le mieux documenté de tous ceux relevant de l’administration provinciale ; mais tout est tabletté, renvoyé aux calendes grecques.

Il est donc évident qu’après quatre décennies de piétinement et de volte-face des partis traditionnels, qui se sont pourtant prononcés à tour de rôle en faveur d’un scrutin proportionnel, le dossier n’est pas plus avancé parce que la volonté politique n’existe pas et que seul prime un opportunisme électoral à courte vue. Présentement, les trois principaux partis représentés à l’Assemblée nationale ne veulent rien savoir de la déformation de l’expression de la volonté populaire qui s’est encore manifestée dans les résultats des dernières élections. Seul Québec solidaire s’en préoccupe et a proposé un scrutin mixte avec compensation pour y mettre fin. À tour de rôle, les partis traditionnels corrigent quelques lacunes dans le fonctionnement du système mais on ignore ses problèmes structurels.

Pourtant, pendant la dernière campagne électorale, on a pu constater que l’urgence de réformer le mode de scrutin a été un des sujets les plus fréquemment abordés par les commentateurs et les citoyens autant dans les médias sociaux que traditionnels. Il était alors saisissant de constater comment le fossé était profond avec les trois principaux partis qui, mus par leur opportunisme électoral à courte vue, ont complètement ignoré cet enjeu capital. De plus, on a pu constater que les expressions favorables à une réforme n’ont fait qu’augmenter ces derniers mois. Assisterons-nous bientôt à un réveil de l’opinion publique ?

De plus en plus de citoyens constatent qu’il s’est développé dans notre système électoral une imposture capitale qui a instauré le chaos. Il n’est plus question de stabilité parlementaire, il n’est plus question même d’alternance au pouvoir. Notre démocratie représentative est à la remorque d’un mode de scrutin majoritaire désaxé qui constitue une véritable boite à surprise et qui produit des résultats fantasques. Toutefois, les partis dominants sont encore confiants de tirer leur épingle du jeu et veulent conserver le statu quo.

Paul Cliche,
Montréal, 22 janvier 2013

Paul Cliche

Auteur du livre Pour réduire le déficit démocratique : le SCRUTIN PROPORTIONNEL et membre fondateur du Mouvement pour une démocratie nouvelle.

Il a été responsable du dossier de la réforme des institutions démocratiques à l’Union des forces progressistes (UFP).

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