Édition du 19 novembre 2024

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Politique québécoise

Lucien Bouchard, Robert F. Kennedy Jr et nous

La stratégie empruntée cette semaine par Lucien Bouchard semble avoir porté ses fruits et aidé l’industrie du gaz de schiste à remporter une bataille dans son offensive visant à influencer l’opinion publique. En accusant les médias d’avoir entretenu un climat de méfiance défavorable à l’industrie, on a mis l’esprit critique sur la défensive et contribué à faire passer un peu de ce message qui ne passe toujours pas : le gaz de schiste sera une source d’enrichissement collectif et « la transition la plus écologique, la plus conforme aux impératifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ».

Après s’être longuement penché sur la question dans l’État de New York, Robert F. Kennedy Jr — qui tenait il y a deux ans un discours similaire à celui de Lucien Bouchard — vient de retirer cette semaine son appui au gaz de schiste. Il dénonce la stratégie de l’industrie qui vise à manipuler l’information, notamment par son influence indue sur l’Agence environnementale américaine (EPA), le colportage de fausses données, la création de faux groupes de pression et l’intimidation des médias.

Appuyé par des experts en relations publiques, des scientifiques liés à l’industrie et autres consultants professionnels bien financés, M. Bouchard a fait de l’acceptabilité sociale le coeur de la nouvelle stratégie de l’industrie. Et pour bien nous prendre aux tripes, il déclare que c’est l’avenir du Québec qui est en jeu.

Après avoir siégé à un comité d’évaluation chargé de faire ses recommandations, Kennedy en vient à des conclusions tout à fait contraires à celles de Lucien Bouchard : les promesses de l’industrie ne seront pas tenues et le prix à payer sera plus élevé que les bénéfices que pourrait en tirer la communauté.

Pendant que M. Bouchard déclare qu’il faudra accepter de prendre des risques, Kennedy cite de nombreuses études démontrant les impacts hautement nuisibles de l’industrie, notamment sur la santé des citoyens par la contamination de l’eau et la pollution de l’air, sans parler de la diminution de la valeur des propriétés, etc.

Pendant que M. Bouchard encourage le gouvernement du Québec à investir dans ce développement, Kennedy formule de sérieux doutes sur toutes les projections de l’industrie quant à la création d’emplois, les redevances et les retombées économiques, confirmant la possibilité d’une bulle financière et dénonçant la surestimation par l’industrie du potentiel gazier du shale de Marcellus.

M. Bouchard s’en prend à la déformation des faits par les esprits de mon espèce, à la démonisation de gens de l’industrie, aux accusations de toute nature et au refus de discuter. Kennedy qualifie l’industrie gazière de l’une des plus agressives des États-Unis...

Car qui refuse de discuter dans cette affaire ? Qui manoeuvre pour exclure les citoyens des tables décisionnelles ? Qui jette le discrédit sur les scientifiques indépendants ? Qui joue de sa toute-puissance pour influencer les décideurs ? Qui continue à nier l’évidence des fuites sur les deux tiers des puits forés ? Qui impose la confidentialité aux propriétaires terriens ? Qui méprise les résidants importunés ? Qui insulte l’intelligence des citoyens bien informés ?

Si le rejet à l’aveugle de tout développement n’est pas une option, le développement à l’aveugle demeure encore et toujours absolument indéfendable dans le contexte énergétique où nous sommes.

Pour prétendre bâtir un avenir meilleur au Québec, l’esprit d’entreprise doit se tourner résolument vers le développement des énergies propres. Ce qui signifie tout mettre en oeuvre pour nous affranchir des énergies fossiles, dont font partie le pétrole et le gaz. Voilà la voie de notre véritable souveraineté énergétique. Il est dommage de constater qu’en dépit de l’avancement de la connaissance, M. Bouchard conserve une vision si rétrograde de notre avenir.

Obnubilé par les mirages que font miroiter les entrepreneurs qu’il représente, et peut-être aussi par les rancoeurs qu’il nourrit à l’égard de ses propres difficultés de premier ministre sans marge de manoeuvre pour atteindre le déficit zéro et les conditions gagnantes qui lui étaient si chères, il fait aujourd’hui malheureusement la preuve qu’au temps de la Révolution tranquille et de la nationalisation de l’électricité, il aurait sans doute pris le parti de la Grande Noirceur et de la Shawinigan Light and Power... C’était au temps où l’oncle de Robert F. Kennedy Jr défiait les citoyens américains, non pas de tenter de tirer profit de ce que leur pays pouvait leur donner, mais bien de se demander comment ils pouvaient servir les intérêts de leur communauté.

Après le feu vert que l’Agence environnementale américaine, dénoncée par Robert F. Kennedy Jr, vient de donner au gaz de schiste, on est en droit de se demander si les influences du puissant lobby présidé par Lucien Bouchard réussiront à obtenir ici les mêmes autorisations de l’Étude environnementale stratégique qui est en cours.

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