Édition du 17 décembre 2024

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Laïcité

Loi sur la laïcité : comment créer un problème là où il n'y en avait pas

Le gouvernement de François Legault a annoncé le dépôt d’une loi sur la laïcité de l’État. Cette loi ne laisse personne indifférent. Certains la portent aux nues comme étant la réponse québécoise à un problème omniprésent, d’autres y voient une atteinte aux droits des citoyens. Preuve que le sujet est complexe, la terminologie elle-même est sujette à de multiples interprétations.

Tiré de The conversation.

La laïcité suppose que « la sphère publique n’a plus de connotation religieuse, la religion étant reléguée à la sphère privée ». Je travaille sur ces questions depuis plusieurs décennies. J’ai publié il y a 20 ans un livre à ce sujet, Politique et Religion, publié dans la collection Que sais-je ?.

Croyances et pratiques religieuses sont libres mais ne relèvent plus du politique. L’État est religieusement neutre et la société a laïcisé des valeurs et coutumes jusqu’alors religieuses, la fête de Noël par exemple.

Une forme plus tranchée de la laïcité est la séparation de l’Église et de l’État. « L’État interdit à l’Église, ou aux Églises, de recourir à la loi pour imposer l’obéissance à leur crédo et l’État s’interdit à lui-même de favoriser une ou des Églises particulières. »

Une création française

Ces deux notions, laïcité et séparation de l’Église et de L’État, ont été créées en France et ont été influencées par l’histoire du système politique français (comme les notions de « droite » et de « gauche »). La France a eu un conflit majeur entre les tenants de la Révolution, souvent anti-catholiques, et l’Église anti-républicaine, monarchiste et voulant conserver un statut privilégié.

La situation s’est envenimée lors de l’Affaire Dreyfus, les Républicains défendant les droits de l’homme, l’Église, les droits collectifs symbolisés par le catholicisme. Une des conséquences a été le vote de la Loi de 1905 sur la séparation entre l’État et l’Église. L’État inclut tous les citoyens, indépendamment de leur religion ou absence de religion, les Églises deviennent des groupements de droit privé.

Même si la séparation s’appliquait également aux religions minoritaires, protestantisme et judaïsme, c’est l’Église catholique qui était visée. Le glissement de laïcité à séparation État-Église se faisait dans une atmosphère de concurrence, sinon de conflit entre l’État, la République, et l’Église catholique.

Rien de tel en anglais. Le mot laïcité n’y existe pas. « Secularism », son vague équivalent, implique simplement que l’État n’est au service d’aucune religion. Même si la séparation Église-État peut y être prévalente, comme aux États-Unis, elle n’empêche pas une présence marquée des Églises dans la vie publique (« God bless America » ou « In God we trust »).

Confusion

Au Québec, qui partage une langue avec la France mais a une histoire très différente, on assiste à une confusion entre laïcité et séparation, on met dans le même sac des comportements très différents les uns des autres.

Le projet de loi sur la laïcité met des limites au port du voile intégral qui couvre le visage (articles 7 à 10 de la loi 21) au moment où les femmes qui le portent sont en contact avec l’État (tribunaux, police, etc,).

Cette surprenante laxité n’a, à mon avis, aucun sens. Le voile intégral non seulement pose un problème de sécurité, mais il met en évidence l’infériorité des femmes. Toute personne qui cache son visage, peu importe la raison, se coupe délibérément de la société. Si la https://lactualite.com/societe/2015/10/02/peut-on-devenir-canadien-sans-montrer-son-visage-et-autres-questions-sur-le-niqab/. Si elle est résidente , il faudra lui préciser les conséquences, comme la non-obtention de la carte d’assurance-maladie ou de permis de conduire. Cela n’est pas lié à la religion mais à un strict minimum, non négociable, de vie en société.

Tous les autres signes vestimentaires, voile sur les cheveux, kippa, turban, col blanc (pour les curés), etc. ne présentent aucun problème de sécurité et ne nient pas les valeurs de la société.

Dans la chasse prévue par la loi contre les signes religieux, un seul article (art. 6), le plus court, leur est consacré. « Le port d’un signe religieux est interdit dans l’exercice de leurs fonctions aux personnes énumérées. » La croix est-elle un signe religieux ? Il semble que oui dans la loi, mais le texte n’est pas explicite là-dessus.

Pour assurer l’application de la loi, le gouvernement va-t-il créer un Office québécois de l’ostentation où des inspecteurs seront capables de différencier entre des bandanas et des foulards, avec des instruments de mesure pour distinguer ce qui est admissible de ce qui ne l’est pas ? Le vêtement est-il automatiquement un signe d’endoctrinement ? Est-il possible que des enseignants, habillés comme tout le monde, fassent de l’endoctrinement religieux, voire politique sans aucun correctif prévu, alors que leurs collègues portant des signes distinctifs, mais remplissant leur rôle professionnellement, seront mis à la porte ?

Pourquoi pas des accommodements raisonnables ?

Le projet de loi, loin d’assurer la laïcité de l’État - depuis quand la tenue vestimentaire d’un employé remet-elle en cause la neutralité de l’État ? -, loin d’affirmer la séparation Église-État, me semble relever d’une troisième catégorie : la séparation entre religion et société.

Depuis la Révolution tranquille, le Québec, qui avait vécu sous la tutelle de l’Église catholique, a quitté son giron. Un grand nombre de Québécois estiment que tous devraient en faire autant et se débarrasser de leurs croyances et coutumes religieuses. Il ne s’agit plus de protéger la sphère publique d’une influence indue des Églises mais d’assurer que les religions, comme système de croyances, et non pas les Églises comme institutions, soient marginalisées.

Une réponse originale à la question des relations entre religion et société avait été fournie par les accommodements raisonnables. Il est à la mode de les critiquer mais l’avantage était d’essayer de trouver un terrain d’entente raisonnable qui permette de respecter, dans la mesure du possible, les intérêts des deux parties, le plus souvent un employeur et un employé religieux.

Les accommodements raisonnables laissaient la porte ouverte à des compromis et ne constituaient pas, contrairement à une opinion répandue, l’imposition de normes minoritaires à la majorité. Les remplacer par une législation ne peut qu’exacerber les tensions.

Il y a quelques années j’avais proposé à un étudiant musulman qui jeûnait pour le Ramadan de manger dans la salle de cours sans attendre la pause, trois quarts d’heure plus tard. Devant son étonnement, je lui ai précisé qu’il ne s’agissait pas d’amener un BBQ pour faire cuire un méchoui, mais de manger discrètement un sandwich et de consommer une boisson dès la fin du jeûne, ce qu’il a fait.

Réguler une telle entente aurait inutilement compliqué les choses. Qui a droit à des jours de jeûne ? Quel est le temps à prévoir pour autoriser une telle dérogation, une heure, une demi-heure, dix minutes ? Une réglementation aurait créé un problème bureaucratique.

Cet exemple, et on pourrait le multiplier, montre que des ententes, au coup par coup, sans référence aux grands principes, peuvent fonctionner beaucoup plus efficacement que des législations quasi impossibles à appliquer.

La loi sur la laïcité ne vise pas l’émancipation de l’État par rapport aux Églises mais à séparer la religion de la société. Il est révélateur que le gouvernement québécois n’arrive pas à trancher entre les diverses conceptions de la laïcité. Dans son allocution du 30 mars 2019, le Premier Ministre Legault a parlé de « séparer la religion de l’État », traduit en anglais par « separate church and State ».

Si même le promoteur de la loi utilise des expressions contradictoires, faut-il s’étonner que la loi créera plus de problèmes qu’elle n’en réglera ?

Julien Bauer

Professeur de science politique, Université du Québec à Montréal (UQAM).

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