Les accords des Nations unies sur le climat n’ont pas réussi à réduire les émissions des gaz qui provoquent le réchauffement planétaire. En fait, les mécanismes et les politiques qui ont découlé de ces accords, parmi lesquels figure la REDD+, ont permis de poursuivre, de légitimer et d’intensifier des activités aussi destructrices que les industries minière, pétrolière, gazière et charbonnière, la monoculture d’arbres et l’agro-industrie. Ces industries sont la cause principale de la crise climatique ; elles ont adopté le discours de la ‘durabilité’, du ‘déboisement zéro’, de la ‘responsabilité socio-écologique’, du ‘découplage’ ou des ‘projets économes en carbone’, dans le cadre d’une économie ‘verte’. Or, nous savons qu’au-delà de la propagande destinée à blanchir leurs images, le système extractiviste et le capitalisme mondial institutionnalisé mènent toujours au saccage de la Terre-mère, ainsi qu’au pillage, à la violence, à la destruction et à la criminalisation de ses communautés, ses peuples, ses terres et ses territoires.
Les défenseurs de l’économie ‘verte’ prétendent nous faire croire qu’une ‘croissance durable’ est possible, que l’on peut ‘se découpler de la nature’ avec les modes de production capitalistes, et qu’il est possible de ‘compenser’ ou d’atténuer la pollution et la destruction d’un endroit par la ‘recréation’ ou la ‘protection’ d’un autre. En appliquant une logique injuste et colonialiste, l’économie ‘verte’ soumet la nature et les peuples autonomes en leur imposant des restrictions sur l’utilisation et le contrôle de leurs territoires, afin de remplir les poches de quelques-uns, même lorsque les communautés possèdent des titres de propriété sur ces territoires.
Les ‘services environnementaux’ sont un des piliers du nouveau capitalisme mondial. Ils comportent la financiérisation, la marchandisation, l’asservissement et l’esclavage de la nature, en la soumettant à la logique du capital. Le marché du carbone, la compensation de biodiversité et les marchés de l’eau font partie de cette forme de capitalisme. Les ‘services environnementaux’ et le modèle économique hégémonique sont interdépendants.
Une des formes sous lesquelles se présente ce modèle est le programme pour la Réduction des émissions dues au déboisement et à la dégradation des forêts (REDD), élargi pour inclure la conservation des forêts, leur gestion durable et l’accroissement des ‘stocks’ de carbone (REDD Plus ou REDD+), et maintenant aussi l’agriculture dite ‘intelligente vis-à-vis du climat’. Les défenseurs de REDD+ espèrent que la CdP 20 jettera les bases pour l’inclure formellement dans le prochain accord international sur le climat, lors de la CdP 21 qui se tiendra à Paris en 2015. Quoi qu’il en soit, des projets et des programmes de ce genre existent depuis plusieurs années déjà, et ne cessent de se multiplier. Plusieurs entreprises, ONG et gouvernements, et les fonds de carbone de la Banque mondiale et de l’ONU, tiennent à faire avancer cette affaire.
Dans la pratique, du moment que les forêts sont surtout dans des territoires indigènes et que les paysannes et les paysans sont ceux qui nourrissent le monde, ces projets transforment les territoires indigènes et les terres agricoles en ‘puits’ de dioxyde de carbone et en ‘banques’ d’eau et de biodiversité.
D’autre part, le système est absurde aussi du point de vue de la lutte contre le déboisement, puisque, plus il y aura de déboisement et de dangers pour les forêts, plus les projets REDD+ seront justifiés et mis en œuvre afin de vendre cette marchandise ‘rare’ qu’est le carbone. Ainsi, grâce à REDD + la capacité des forêts et des sols de piéger du carbone et de le retenir, la capacité de photosynthèse des plantes, celle de produire de l’eau, de croître ou de créer de la biodiversité sont quantifiées, monétarisées, accaparées, privatisées et transformées en objets de spéculation comme n’importe quelle marchandise.
Le commerce des ‘services environnementaux’ favorise aussi l’impunité des pollueurs et des destructeurs car, au lieu d’être soumis aux lois qui interdisent de polluer et de déboiser, ils ‘compensent’ ; en plus, le système ne combat pas le changement climatique : au lieu de l’attaquer, il le provoque. Le besoin de ne plus extraire de combustibles fossiles, de freiner l’agriculture et la monoculture industrielles et de veiller au respect du droit des peuples indigènes, des peuples tributaires des forêts et des paysans de gérer et contrôler leurs territoires, ne figure pas à l’ordre du jour des négociations, de sorte que la spirale continue et s’accélère.
Un exemple clair de la nature néfaste des projets de type REDD+ est l’accord passé entre les États de Californie (États-Unis), du Chiapas (Mexique) et de l’Acre (Brésil), qui prétend que les industries polluantes de Californie puissent continuer de polluer à condition d’acheter des crédits d’émission générés par les activités REDD+ en Acre et au Chipas. Bien que l’Acre soit présenté comme le ‘modèle de l’économie verte’, la réalité est différente : l’exploitation du bois et le commerce du carbone dévastent les territoires et violent les droits des peuples des forêts (1), comme le signale le réseau DHESCA des droits de l’homme, après la mission qu’il a accomplie en Acre en 2013 (2).
Parmi d’autres exemples figure le cas de la communauté N’hambita du Mozambique, qui a signé un contrat avec l’entreprise anglaise Envirotrade pour que celle-ci commercialise les crédits de carbone REDD+ : les membres de la communauté, au lieu de cultiver des vivres devront ‘cultiver du carbone’ dans leurs territoires pendant 99 ans (3). Les cas du Kenya (4), du Congo (5), de la Papouasie-Nouvelle-Guinée (6), du Cambodge (7), du Brésil (8) et d’autres encore montrent que les projets REDD+ peuvent impliquer des expulsions, des arrestations et des confiscations de territoires.
De nombreuses communautés ont déjà été obligées, par des pressions ou par la ruse, à signer des contrats qui impliquent la perte de leurs droits sur leurs terres et territoires ancestraux (9). En outre, les projets de type REDD+ ne garantissent pas que les entreprises extractives n’entreront pas dans ces territoires. Par exemple, le programme équatorien de type REDD+ dénommé ‘Socio Bosque’, oblige les communautés à prendre soin des forêts pendant 20 ou 40 ans pour que l’État puisse être sûr que les ‘services environnementaux’ seront conservés et pourront être commercialisés, mais il permet l’extraction pétrolière ou minière dans les mêmes zones (10).
Néanmoins, le système REDD+ annonce qu’il veut combattre le déboisement, assurer la participation locale, améliorer la gestion des forêts, élever le niveau de vie, accroître le développement des populations locales et même, dans certains cas, définir les droits territoriaux et combattre le changement climatique. Or, les innombrables programmes nationaux et sub-nationaux, accords bilatéraux et multilatéraux et projets REDD+ qui existent au monde démontrent de mieux en mieux que tout cela n’est que mensonges et que leur but est d’accumuler davantage de capital et de contrôler davantage de territoires. Les communautés concernées directement ou indirectement par des projets REDD+, qu’ils soient mis en œuvre par l’État ou par des entreprises pollueuses qui tirent profit des crédits de carbone générés par ces projets, n’ont pas été vraiment informées de ce que représentent les engagements de ce genre. Les projets REDD+ ont déjà été définis par leurs promoteurs au moment de les présenter aux communautés, de sorte que celles-ci n’ont pas, dans les faits, l’option de les accepter ou non ; ou bien, on les trompe tout simplement et elles tombent dans le piège. Il arrive même que les promesses qu’on leur fait ne soient pas tenues.
Tout comme REDD+, l’agriculture soi-disant ‘intelligente vis-à-vis du climat’ n’est pas une solution au changement climatique : c’est une nouvelle tentative des transnationales biotechnologiques et agro-industrielles de breveter et contrôler les semences et les terres agricoles.
Ce système recommandé par la FAO et la Banque mondiale, entre autres, vise à ce que les paysans adoptent certaines méthodes de culture et utilisent des semences transgéniques ‘prêtes pour le climat’, mais il les dépouille de leurs champs, de leur autonomie, de leur souveraineté alimentaire et de leurs connaissances ancestrales. La Vía Campesina a dénoncé que l’agriculture ‘intelligente vis-à-vis du climat’ est la suite d’un projet lancé avec la Révolution verte dans les années 1940 et poursuivi dans les années 1970 et 1980 par les projets de réduction de la pauvreté de la Banque mondiale ; ces projets ont décimé les économies paysannes, surtout celles du Sud, ils ont fait perdre aux paysans leur souveraineté alimentaire et les a rendus dépendants des pays du Nord pour l’alimentation de la population (11).
De nos jours, par exemple, un programme de la Banque mondiale pour le Kenya cherche à générer des crédits de carbone en exigeant d’appliquer ‘des méthodes durables de gestion des terres’ ; ces méthodes comportent l’utilisation de semences d’une variété de maïs hybride que Syngenta vend sur place, et poussent les paysans à abandonner les variétés indigènes (12). Les partisans de cette solution fausse et dangereuse veulent transformer les champs, les sols et les cultures en crédits de carbone, ce qui s’accompagnerait d’une accélération de l’accaparement de terres et de la suppression de droits.
Même les plantations industrielles d’arbres sont maintenant camouflées pour les faire passer pour ‘intelligentes vis-à-vis du climat’. L’avancée des plantations à grande échelle d’eucalyptus, de pins, d’acacias, d’hévéas et de palmiers à huile est en fait un processus d’intensification de l’accumulation de capital que les grandes entreprises mettent en œuvre dans les territoires. Ces plantations étant considérées comme des ‘puits’ de carbone, elles sont aptes à bénéficier aussi des crédits de carbone. Ainsi, dans l’État d’Aceh du nord de l’Indonésie, un projet REDD+ qui s’étend sur 770 000 hectares a été mis en œuvre par l’ONG Fauna & Flora International, la société conseil en matière d’émissions Carbon Conservation et le gouverneur d’Aceh de l’époque. Le descriptif du projet affirme qu’une manière de ‘compenser’ la perte de forêts dans la zone désignée pour REDD+ est de faire appel aux estimations concernant la ‘capacité de piégeage de carbone’ des plantations de palmiers à huile, pour pouvoir anticiper combien de crédits pourraient être générés. De leur côté, les communautés locales ont affirmé à maintes reprises qu’elles n’avaient pas été consultées, qu’elles n’avaient reçu aucun bénéfice du projet et que, par contre, le grave problème de la propriété de leurs terres n’était toujours pas résolu (13).
Les projets et les programmes de REDD+ et d’agriculture ‘intelligente’ sont formulés, soutenus et financés par des entreprises pétrolières comme Shell ou minières comme Rio Tinto, par des entreprises forestières ou papetières comme Green Resources et Suzano, par des agro-industries comme Wilmar, Monsanto et Bunge, par des organismes multilatéraux comme le PNUD et la FAO, par des transnationales de la conservation comme Wildlife Works, WWF, The Nature Conservancy ou Conservation Internationale, par des consultants, par des banques publiques et privées et par de nombreux gouvernements. Or, ces mécanismes conspirent contre les vraies solutions de la crise climatique car ils détournent l’attention des changements qu’il faudrait introduire dans les modes de production et de consommation pour parvenir à des économies et des sociétés sans combustibles fossiles.
Ne nous laissons pas tromper par les mensonges grossiers des campagnes publicitaires. Nous savons que les négociations sur le climat, de plus en plus contrôlées par le pouvoir des grandes entreprises, n’essaient pas de sauver le climat, ni de protéger les forêts et les sols, ni d’éradiquer la pauvreté ou de respecter les droits des peuples indigènes. Au contraire, elles protègent lâchement les transnationales déprédatrices et renforcent un modèle destructeur et patriarcal. Pire encore, elles manipulent l’information pour accuser les petits agriculteurs et les peuples tributaires des forêts d’être les principaux coupables du déboisement et du changement climatique parce qu’ils cultivent des parcelles pour leur subsistance, alors que les habitants traditionnels des territoires sont ceux qui ont permis de conserver les forêts, les sources d’eau et les écosystèmes.
Nous ne pouvons pas permettre que les fausses solutions du changement climatique, comme le système REDD+ et l’agriculture dite ‘intelligente vis-à-vis du climat’, détruisent l’équilibre de la Terre-mère.
Nous devons nous opposer aux programmes de ce genre et au paiement pour ‘services environnementaux’, qui cherchent à perpétuer le capitalisme.
Nous devons continuer à promouvoir la transformation du modèle actuel de production, et lutter contre les politiques que l’on impose aux peuples. Ces politiques font passer la reproduction du capital avant la reproduction de la vie. Les luttes des indigènes, des paysans, des citadins, des pêcheurs, des bergers, des femmes, des hommes et des jeunes pour la défense des droits et des territoires nous montrent la voie à suivre. Les peuples qui s’opposent à l’extraction pétrolière et minière, aux services environnementaux, aux projets agro-industriels et à la monoculture sont en train de suivre le bon chemin face aux changements du climat. Au lieu de criminaliser ces peuples, il faut les respecter et reconnaître leurs efforts pour contribuer au changement global.
Nous devons nous organiser pour défendre les territoires indigènes, pour défendre les populations qui dépendent des forêts, pour défendre leur autonomie quant à la gestion de leurs territoires, pour défendre la Terre-mère.
Pour les raisons exposées, nous disons OUI à la défense des territoires, à la défense des populations qui vivent dans les forêts, qui en dépendent et en font partie, à leur autonomie sur leurs territoires et à la défense des droits de la nature.
PLUS DE PROJETS D’EXTRACTION !
NON AUX SERVICES ENVIRONNEMENTAUX !
LUTTER CONTRE REDD+ C’EST COMBATTRE LE CAPITALISME !
NON À LA CRIMINALISATION DES PEUPLES QUI DÉFENDENT LEURS TERRITOIRES !
REJOIGNEZ LA MARCHE VERS LE SOMMET DES PEUPLES !
Premiers signataires
Acción Ecológica, Ecuador
Aliança RECOs – Redes de Cooperação Comunitária Sem Fronteiras
Alternativa Intercambio con Pueblos Indígenas, Estado español
Asamblea Nacional de Afectados Ambientales, Mexico
Bia´lii, Asesoría e Investigación, A.C., Mexico
Carbon Trade Watch
Ceiba / Friends of the Earth, Guatemala
Censat / Friends of the Earth, Colombia
Centro de Investigación, Documentación y Asesoría Poblacional (CIDAP), Peru
Centro de Mujeres Aymaras Candelaria, Patacamaya, Bolivia – South America
Cesta / Friends of the Earth, El Salvador
Coeco Ceiba / Friends of the Earth, Costa Rica
Colectivo de Miradas Críticas del Territorio desde el Feminismo, Ecuador
Colectivo Voces Ecológicas (COVEC), Panama
Consejo Cívico de Organizaciones Populares e Indígenas de Honduras (Copinh), Pueblo Lenca, Honduras
Conselho de Missão entre Povos Indígenas (COMIN), Acre e Sul do Amazonas, Brazil
Conselho Indigenista Missionário (CIMI), Brazil
Corporate Europe Observatory (CEO)
Friends of the Earth, Latin America and the Caribbean (ATLAC)
Friends of the Earth, Brazil
Fórum Mudanças Climáticas e Justiça Social, Brazil
GroundWork / Friends of the Earth, South Africa
Grupo de Estudos em Produção do Espaço Amazónico (UFAC)
Movimento dos Pequenos Agricultores (MPA), Brasil
Movimento Mulheres pela P@Z !
Núcleo de Pesquisa Estado, Sociedade e Desenvolvimento na Amazônia Ocidental (UFAC)
Observatorio ciudadano de servicios públicos, Guayaquil, Ecuador
Oilwatch Latin America
Oilwatch International
Otros Mundos Chiapas / Friends of the Earth, México
Red de Ambientalistas Comunitarios de El Salvador (RACDES), El Salvador
Red Latinoamericana contra los Monocultivos de árboles (RECOMA)
REDES / Friends of the Earth, Uruguay
Redmanglar Internacional
Regional Latinoamericana de la UITA
Sindicato dos Trabalhadores e Trabalhadoras Rurais de Xapuri – Acre, Brasil
The Corner House, UK
Transnational Institute (TNI)
World March of Women
World Rainforest Movement (WRM)
Pour une liste actualisée des signatures : voir LimaCOP20 : To reject REDD+ and extractive industries, to confront capitalism and defend life and territories
Pour vous rallier à cet appel, veuillez envoyer le nom de votre organisation ou groupe et celui de vote pays à NoREDDCop20@wrm.org.uy.
Notes
1. Mouvement mondial pour les forêts tropicales (WRM). Brésil : la destruction permanente des forets et de la biodiversité dans l’Etat d’Acre est considérée comme un « modelé d’économie verte » dans l’Amazonie brésilienne. Bulletin 183. Octobre 2012.
2. Plateforme DHESCA Brésil, http://www.escr-net.org/es/node/364729.
3. Vía Campesina. Mozambique, Commerce de carbone et REDD + : Les Paysans « cultivent » du carbone pour les pollueurs. 22 juin 2012.
4. REDD-Monitor. Illegal evictions of the Embobut Forest in Kenya. 15 janvier 2014.
5. Griffiths, Tom. “Seeing REDD ? Forests, Climate Change Mitigation and the Rights of Indigenous People and Local Communities”. Mai 2009.
6. The Economist. “Money grows on trees”. 6 juin 2009.
7. REDD-Monitor. Military clearing of community forests in Oddar Meanchey, Cambodia. 13 juin 2014.
8. Mouvement mondial pour les forêts tropicales (WRM). Un projet de réduction de la déforestation au Paraná, Brésil, et la persécution des communautés. Bulletin 169. Août 2011.
9. Voir, par exemple : Les Amis de la Terre, The Great REDD Gamble, 2014.
10. CEDIB. PETROPRESS 21. Août 2010. Industrias extractivas y el programa REDD. El que peca y reza, empata.
11. Via Campesina. Démasquer l’agriculture intelligente face au climat. Septembre 2014.
12. Institute for Agriculture and Trade Policies. An Update on the World Bank’s Experimentation with Soil Carbon. Octobre 2012.
13. REDD-Monitor. Série d’articles sur le projet à Aceh, Indonésie, Ulu-Masen
Documento de Projeto Ulu-Masen. Project design note for CCBA Audit. Décembre 2007