Tous les moyens sont bons pour défendre les accords commerciaux. Pour venir en aide à l’accord entre le Canada et l’Union européenne, qui bat de l’aile en Europe, la ministre du Commerce international Chrystia Freeland n’a pas assez de l’appui des deux ex-premiers ministres Pierre-Marc Johnson et Jean Charest, qui interviennent régulièrement en sa faveur sur la place publique. Elle s’est attaché un revenant, Pierre Pettigrew. Il occupait la même fonction qu’elle dans le gouvernement Chrétien, et fera du lobbyisme auprès des gouvernements européens afin de les convaincre de ratifier l’accord.
Cette même Chrystia Freeland a déployé une douteuse et très faible argumentation en faveur du libre-échange. Elle a pourtant assisté à des consultations sur le Partenariat transpacifique — mais aussi sur les accords commerciaux dans leur ensemble — pendant lesquelles elle a entendu des gens très sensés lui expliquer, de façon unanime (du moins à Montréal), que ces accords accroissent la précarité, avantagent outrageusement les entreprises transnationales, menacent les services publics, sont nocifs pour l’environnement, etc.
Quelle leçon en a-t-elle retenue ? Elle a préféré rendre compte uniquement de ce que l’on dit à l’étranger : « Nous voyons passer cette vague sur l’Europe et chez nos voisins au sud. Elle parle d’élever des murs, de fermer les frontières au commerce et aux immigrants. C’est une attaque contre nos sociétés ouvertes nourries par les populistes de droite et de gauche », a-t-elle dit lors de la Conférence de Montréal en juin dernier. Parler d’intolérance, de fermeture face aux immigrants et de populisme, alors qu’elle n’a strictement rien entendu de tel pendant les consultations qu’elle a organisées, ressemble dangereusement à de la malhonnêteté intellectuelle.
Pierre-Marc Johnson n’y va pas de main morte lui non plus. Il a affirmé devant le Conseil du patronat de Bavière en juillet dernier que les opposants au libre-échange faisaient de la déformation, que le débat en Allemagne « a été marqué par une absence d’informations, des demi-vérités et parfois carrément des mensonges, chez les opposants », et que ces derniers étaient comparables aux climatosceptiques et aux promoteurs de la cigarette ! Comme si les bienfaits du libre-échange étaient une vérité scientifique prouvée...
La mauvaise foi des défenseurs du libre-échange, qui manient l’injure plutôt que de présenter des arguments répondants aux nôtres, dévoile leur vulnérabilité.
Le journaliste de Radio-Canada Gérald Fillion citait quant à lui une étude des chercheurs Edward Mansfield et Diana Mutz de l’Université de la Pennsylvanie, qui affirment que les États-Uniens opposés au libre-échange s’appuient sur des croyances plutôt que sur des données concrètes et sur des réflexes isolationnistes, nationalistes et ethnocentristes. Ce qui a fait dire à l’économiste Joseph Stiglitz, d’un ton moqueur, dans La Presse du 23 août, que pour toutes les personnes de ce genre, « le mécontentement qui se manifeste relève de la psychiatrie, pas de l’économie ».
Utiliser des arguments aussi grossiers pour attaquer ses adversaires montre un réel désarroi chez les libre-échangistes. Et le portrait qu’ils font de leurs opposants correspond bien mal à la réalité. Je suis de ceux qui luttent depuis des années contre ces accords gigantesques, négociés dans le plus grand secret, et encore secrets après leur publication, tant leur langage juridique demeure abscons, même pour les experts. Nous avons toujours examiné leur contenu avec soin, lu d’énormes quantités de leurs pages rébarbatives, discuté longuement de leurs conséquences, examiné les effets des précédents accords. Selon nous, la force de nos arguments doit s’appuyer sur la rigueur de nos analyses.
Nous avons dénoncé le principe d’une justice privée à laquelle seules les grandes entreprises ont accès ; l’ouverture des marchés publics à la concurrence étrangère et ses effets sur une privatisation devenue irréversible ; la mauvaise protection de certains secteurs contre la marchandisation, comme l’éducation, l’eau, la culture et la santé ; l’effet néfaste de la concurrence entre les travailleurs de tous les pays ; les conséquences dommageables pour l’environnement par la prédilection pour les circuits longs ; le soutien à l’agro-industrie axée sur l’exportation, s’opposant au principe de la souveraineté alimentaire. Et bien d’autres aspects encore.
Il n’y a pas de désinformation ici. Plutôt un débat démocratique qu’on refuse de faire, alors qu’on souhaite ratifier les accords sans consultation de la population, ou en ne tenant pas compte de celles qui ont été faites. Ces accords ne sont pas expliqués, sinon par le biais d’une propagande réductrice. Par exemple, la sénatrice Céline Hervieux-Payette a révélé que l’affirmation, répétée cent fois, selon laquelle l’accord entre le Canada et l’UE créerait 80 000 emplois, n’a jamais été démontrée. Et aucune étude gouvernementale sérieuse et objective n’a fait un bilan des accords déjà conclus.
« Ceux qui le disent sont ceux qui le sont », nous répétait-on quand j’étais petit pour nous défendre contre les enfants qui nous lançaient des insultes injustifiées. La mauvaise foi des défenseurs du libre-échange, qui manient l’injure plutôt que de présenter des arguments répondants aux nôtres, dévoile leur vulnérabilité. Le libre-échange selon eux est un dogme qui n’a pas à être discuté, un point c’est tout. Le populisme et la désinformation sont sans aucun doute surtout de leur côté.