Édition du 17 décembre 2024

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Canada

Lettre ouverte à Justin Trudeau sur l’autorisation de la vente d’armement à l’Arabie Saoudite

Article tiré de la lettre de l’Aut’journal

Monsieur le Premier ministre Trudeau,

Nous, soussignés, désirons vous faire part de notre profonde préoccupation vis-à-vis l’octroi de licences d’exportation dans le cadre du contrat de plusieurs milliards de dollars de vente d’armes à l’Arabie Saoudite, en dépit des flagrantes contradictions de ce contrat avec notre politique d’exportation en respect des droits de la personne.

Il est immoral et contraire à l’éthique de fournir une telle quantité d’armement létal à un régime qui affiche un aussi effroyable bilan en matière de droits humains. L’esprit et la lettre de nos lois canadiennes et des lois internationales sur les exportations appuient ce point de vue. Le gouvernement a eu tout le loisir d’affirmer cette position, mais a choisi de ne pas le faire : nous lui demandons plutôt d’abroger les licences d’exportation, tant que la situation préoccupante des droits de la personne ne sera pas résolue.

L’efficacité du système canadien de contrôle sur les exportations dépend de sa capacité à produire des évaluations objectives et fiables des demandes de licences d’exportation. Nous croyons que l’intégrité de ce système a été fondamentalement mise à mal suite à la décision du gouvernement de procéder à la plus importante vente d’armement de l’histoire du Canada à l’un des pires contrevenants aux droits humains au monde.

Ce contrat de 15 milliards de $ avec l’Arabie Saoudite est justement du genre que la politique canadienne de contrôle des exportations est censée empêcher. Le gouvernement du Canada doit appliquer cette politique et des règles qui empêchent la vente d’armes à des gouvernements qui affichent « une historique continuelle de violations des droits humains de leurs citoyens » et qui sont « impliqués ou menacés par des hostilités ». Cette démarche devrait être transparente et avoir préséance sur toute considération d’ordre économique ou stratégique.

Le ministre des Affaires étrangères a déclaré qu’il « n’a pas la preuve » que l’Arabie Saoudite a utilisé des produits fabriqués au Canada contre des civils. Cependant, le seuil défini par notre politique de contrôle pour évaluer un usage répréhensible est basé non pas sur une « preuve » ou une « certitude », mais sur un « risque raisonnable ». Compte tenu du bilan épouvantable de l’Arabie Saoudite en matière de droits de la personne, qui empire de jour en jour, aussi bien en Arabie Saoudite qu’au Yémen, nous considérons que ce risque est évident. Nous remettons donc fortement en question l’efficacité de notre système de contrôle des exportations, qui en a apparemment décidé autrement.

Nous reconnaissons les potentielles retombées économiques d’un tel contrat et sommes conscients des nombreuses considérations d’ordre commercial, stratégique et sécuritaire qui jouent dans notre relation avec l’Arabie Saoudite. Cependant, elles ne devraient pas entrer en ligne de compte quand l’application des règles de la politique de contrôle des exportations met en lumière un « risque raisonnable » de violations continuelles par le gouvernement saoudien de ses obligations humanitaires internationales et en matière de droits de la personne. Connue depuis longtemps pour ses entraves aux droits de ses citoyens, l’Arabie Saoudite est maintenant accusée par un comité d’experts de l’ONU de « crimes contre l’humanité », suite à la campagne « étendue et systématique » contre les civils, menée par la coalition qu’elle dirige au Yémen voisin.

Nous vous recommandons avec insistance de vous poser sérieusement la question, à savoir si notre système de contrôle des exportations a rempli son rôle dans l’autorisation de cette transaction. Nous estimons que non. Le système de contrôle doit assurer que les licences d’exportation ne sont accordées qu’à des usagers qui respectent tous les paramètres en vigueur, ce qui n’est visiblement pas le cas de l’Arabie Saoudite, ni de près ni de loin.

Cette autorisation par votre gouvernement remet aussi en question la capacité du Canada de respecter les termes légaux et l’esprit du Traité sur le commerce des armes, auquel vous avez annoncé l’adhésion prochaine du Canada. Ceci dit, nous espérons que la ratification du TCA sera l’occasion d’améliorer les rouages juridiques et politiques du contrôle canadien sur l’exportation d’armement et à ce sujet, nous sommes prêts à vous aider de tous nos efforts. L’adhésion devrait apporter une plus grande transparence quant aux mécanismes et critères utilisés dans l’évaluation des conséquences de tout projet de vente d’armes sur les droits de la personne.

Monsieur le Premier ministre, nous sommes convaincus d’une chose : la décision d’aller de l’avant dans cette vente d’armes mine non seulement la confiance du public en notre système de contrôle des exportations, mais aussi les valeurs fondamentales qui définissent le Canada comme nation.

Veuillez agréer l’expression de nos vœux les plus respectueux,

Traduction signée Christian Morin, webmestre et membre du comité exécutif des APLP

Roy Culpeper, président, Le Groupe des 78
Fergus Watt, directeur exécutif, Mouvement fédéraliste mondial – Canada
Cesar Jaramillo, directeur exécutif, Projet Ploughshares
Pierre Jasmin, vice-président, Les Artistes pour la Paix
Peggy Mason, présidente, Institut Rideau
Béatrice Vaugrante, directrice générale, Amnistie internationale Canada francophone
Alex Neve, Executive Director, Amnesty International Canada English
Julia Sanchez, présidente et chef de la direction, Canadian Council for International Co-operation (CCIC)
Monia Mazigh, National Coordinator, International Civil Liberties Monitoring Group
Thomas Woodley, Président, Canadiens pour la Justice et la Paix au Moyen-Orient
Paul Hannon, directeur exécutif, Action Mines Canada
Silke Reichrath, Director, Brooke Valley Research for Education in Nonviolence
Pr. John Packer, directeur, Centre de recherche et d’enseignement sur les droits de la personne, Université d’Ottawa
Nicole Filion, coordonnatrice, Ligue des droits et libertés
Metta Spencer, Présidente, Science for Peace
David Harries, directeur, Pugwash Canada

CC : Honorable Stéphane Dion,
Honorable Chrystia Freeland,
Honorable Harjit Sajjan,
Honorable Marie-Claude Bibeau

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